Pourquoi se moquer de l'Italie?
Vous avez probablement tous lus ces derniers temps des articles alarmistes à propos d'un projet gouvernemental italien visant à mettre en place un organe de contrôle des vidéos sur Internet. Une autorité (que certains voudraient déjà appeler Coglioni Senza Argomenti —ou Couillons sans arguments— CSA, tiens, tiens) serait ainsi chargée officiellement de contrôler la diffusion des images sur tous les sites de partage. Plus fort, le projet déposé par Paolo Romani, ministre délégué aux Communications du Gouvernement Berlusconi, imposerait aux sites de diffusion de vidéos l'obtention d'un agrément sans lequel ils pourraient être condamnés à une amende allant jusqu'à 150 000 euros.
Bien entendu cela suscite un fort tollé, des deux côtés des Alpes. Immédiatement, l'opposition italienne a réagi, condamnant avec fermeté ce qu'elle considère comme une atteinte à la liberté d'expression: «La loi assujettit la retransmission d'images sur le web aux mêmes règles caractéristiques que la télévision, qui requièrent une autorisation préalable à toute diffusion par le ministère de la Communication», s'est récrié l'ancien ministre des Communications Paolo Gentiloni. «Ce décret est un véritable scandale», a-t-il ajouté. «L'Italie rejoint le club des censeurs que forment la Chine, l'Iran et la Corée du Nord», a commenté Vincenzo Vita, un autre membre de l'opposition.
En France, on se gausse. Bien sûr, du temps a passé depuis Aigues-Mortes et ses massacres de ritals mais il y a toujours un petit air de supériorité gaulois un brin agaçant vis-à-vis de l'Italie (pour une fois, je ne suis pas neutre).
Pourtant le chef de l'Autorité des télécoms italienne a critiqué formellement mardi 26 janvier le projet de décret: «Il y a des aspects à revoir parce qu'ils ne sont pas cohérents avec la directive communautaire adoptée en 2007», a expliqué Corrado Calabro, président de l'Ag Com.
En effet le décret est présenté comme une transposition en droit italien de la directive de 2007 intitulée «Services de médias audiovisuels à la demande» ou SMAD qui gère notamment les autorisations et les obligations à imposer aux services proposant des programmes à la demande.
Or le texte européen exclut expressément dans son attendu 16 l'extension d'un tel régime de contrôle et d'autorisations au web communautaire.
Quand on peut se moquer de la France
C'est ici qu'on s'arrête de se moquer des Italiens car en France, nous avons connu la même situation il n'y a pas si longtemps sans que le CSA (évidemment) ou l'ARCEP (l'autorité des télécoms française) ne bouge publiquement le petit doigt, à la différence de ce qui se passe en Italie donc.
Bref rappel: en plein été 2008, la transposition de la Directive SMAD occupe certains cabinets ministériels et administrations cultivées et leur travail aboutit à un texte qui ne manque pas d'étonner certains cabinets ministériels et administrations sans doute moins cultivées mais plus «économiques». Ces derniers alertent immédiatement l'industrie du web communautaire: «le projet de transposition française de la directive SMAD couvre les sites communautaires et donc les condamne à des quotas, des obligations d'investissement, des autorisations, des grilles de diffusion».
Damned. C'est l'été donc. Que faire alors? On se tatoue l'attendu 16 de la directive sur le front et on va voir tous ceux qui veulent bien nous écouter. L'ARCEP et le CSA , m'en souviens pas...
Cela va durer des mois, le texte gouvernemental (projet de loi audiovisuelle) qui transpose la Directive SMAD est remodelé et affiné mais lorsqu'il passe par l'Assemblée il est alors bien amoché. Finalement en janvier 2009, le Sénat sauve l'Internet en adoptant plusieurs amendements tendant à bien marquer une frontière nette et claire entre l'internet et la télévision et ainsi à ne pas soumettre les contenus créés par les utilisateurs à un contrôle préalable et systématique du CSA.
Echapée belle
Ces amendements ont été adoptés grâce au soutien de la Commission des affaires économiques, de la Commission des affaires culturelles, du Groupe Union Centriste, du Groupe CRC-SPG et de plusieurs sénateurs «indépendants». Comme on le dit souvent ici, on a en France des Sénateurs hautement technophiles et tant mieux.
Enfin la loi est adoptée en février 2009 (il y a moins d'un an donc) et consacre la séparation entre les services de médias audiovisuels à la demande (catch-up tv, VOD) et les sites de contenus générés par les utilisateurs (UGC). L'industrie internet française se dit rassurée tout en gardant à l'esprit qu'à plusieurs reprises avant l'adoption de la loi, des actions concertées au plus haut niveau ont tenté d'élargir les missions du CSA, de fragiliser le cadre juridique d'Internet défini par les parlementaires dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique et de contredire la directive SMAD que le projet de loi audiovisuelle était censé transposer ...
On souhaite aux Italiens la même chose et rappelons nous qu'en France on n'est pas passé loin et que l'orage de la surveillance reviendra. On parlera Loppsi (la loi qui veut empêcher plein de choses dangereuses notamment sur Internet mais qui doit faire attention aux moyens à employer) d'ailleurs la semaine prochaine.
Juste un mot sur Clearstream, les deux réactions qui comptent sont en vidéo sur des sites Internet (sans autorisation du CSA) : ici et là.
Giuseppe di Martino
Image de une: Reuters