Pour Emmanuel Macron, la rentrée se traduit par une sortie. Celle de l'état de lévitation, dans lequel il flottait depuis son élection.
Il se voulait le «maître des horloges»? La démission de Nicolas Hulot, cette semaine, l'a contraint à subir l'agenda politique du n°3 de son gouvernement.
Le président souhaitait montrer qu'avec son élection, «la France est de retour dans le monde»? Il caricature, depuis l'étranger, son propre peuple, ces tribus de Gaulois «réfractaires au changement». Comme si la fronde était dans les gènes, comme s'il fallait dépolitiser une colère qui, après tout, n'aurait rien à voir avec les choix gouvernementaux, puisqu'elle serait atavique.
Il proclamait une présidence toute en hauteur, loin de l'anecdotique et du quotidien? Le voici obligé de défendre, depuis Helsinki, la nomination de son ami Philippe Besson –écrivain embedded dans sa campagne présidentielle– au poste de consul de France à Los Angeles.
Il comptait réinstaurer de la «solennité» dans l'exercice présidentiel, suivant le modèle «gaullo-mitterrandien»? Le voici soupçonné d'entretenir un phénomène de cour, où les membres du clan de la campagne sont dûment récompensés: outre Philippe Besson, Bruno Roger-Petit fut nommé porte-parole de l'Élysée, Stéphane Bern fut chargé du patrimoine en péril, et l'on en passe.
Le chef de l'État va devoir démontrer que cette solennité n'est pas la monarchie, que le lustre n'est pas le luxe, que la distance n'est pas le mépris. Et que la nomination n'est pas la cooptation.
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Les règles, une antiquité du «vieux monde» pour Macron?
Dans cette frontière floue entre partisans et courtisans, entre compétences et récompenses, le parachutage de Philippe Besson à Los Angeles pose une autre question.
Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de modifier les règles? En effet, jusqu'ici, seul un fonctionnaire pouvait être nommé à ce poste. Mais un décret adopté au creux de l'été au Conseil des ministres (le 3 août), autorise l'exécutif à s'affranchir de ce type de considérations pour une vingtaine de consulats.
D'après le porte-parole du gouvernement, cela permet d'ouvrir davantage les candidatures, notamment aux personnalités du monde de l'entreprise, «car on ne pratique plus la diplomatie comme il y a un siècle».
Soit. Mais au-delà des personnes, ce mécanisme rappelle furieusement celui qui a conduit Alexandre Benalla à intégrer le cercle le plus restreint de la sécurité présidentielle.
Peu expérimenté, mais très proche du chef de l'Etat –dont il a fait la campagne–, il avait lui aussi été nommé au mépris, sinon des règles, au moins des usages: ni policier, ni gendarme, il assurait une fonction pourtant traditionnellement dévolue au Service de protection des hautes personnalités (renommé service de la protection), dépendant du ministère de l'Intérieur.
Les règles, une antiquité du «vieux monde»? «You don't always have to follow the rules», lançait Emmanuel Macron à un étudiant américain. La proximité plutôt que le CV.
Agacement et désir de vengeance
Le président conserve malgré tout de puissants atouts. Certes, il est désormais dépassé dans les sondages par son Premier ministre, mais il reste soutenu très fermement par sa majorité. Et parmi les ministres, personne ne se risque à faire entendre sa petite musique. Dans le concert des éléments de langage envoyés après la démission de Nicolas Hulot (en résumé: «son bilan est très bon, mais il n'était pas fait pour être ministre, et nous gardons le cap de l'écologie»), il n'y eut aucune fausse note chez les macronistes.
Pourtant, le chef de l'État est désormais confronté à un risque, en cette période de turbulences. Que tous ceux qui se sont sentis humiliés, bafoués, rabaissés par le «nouveau monde»... se vengent.
L'on en a vu une esquisse, cet été, au moment des motions de censure, déposées à l'Assemblée. Les Républicains et la France insoumise ont fait cause commune contre «la dérive du pouvoir». Jean-Luc Mélenchon et Christian Jacob quasiment bras dessus, bras dessous contre le macronisme.
Les journalistes aussi. Boutés hors de la salle de presse de l'Élysée, critiqués, méprisés, ils ne semblent plus décidés à subir les foucades, comme en témoigne cette enquête de Vanity Fair.
Sans oublier François Hollande. Ce vendredi, dans une allusion transparente, l'ancien chef de l'État a dénoncé «l'arrogance des puissants, la célébration de l'argent, la diminution des droits sociaux avec des retraités qui sont montrés du doigt».
Le remaniement à venir va forcément grossir la cohorte des mécontents: ceux qui seront sortis de l'équipe, bien sûr, mais aussi ceux qui seront déçus de ne pas y entrer.
Inquiet des fragilités de son dispositif politique, Emmanuel Macron serait-il davantage un «Gaulois réfractaire au changement» que son peuple?
Sur la route du pouvoir en 2019, la réforme des retraites, les lois bioéthiques et les élections européennes constitueront autant de cahots risqués.
Enfin, Emmanuel Macron voulait trancher avec la pusillanimité de ses prédécesseurs? Le voici à danser d'un pied sur l'autre au sujet du prélèvement à la source. La réforme, voulue par François Hollande, avait déjà été décalée d'un an. Elle est désormais en sursis, comme l'a indiqué le chef de l'État depuis la Finlande, suspendue à des «réponses très précises [pour] être sûr de ce que nos concitoyens vivront le jour où on le mettra en place si on le met en place».
Pourtant, l'opinion publique est en majorité favorable à cette réforme, selon un sondage OpinionWay pour Les Échos.
Inquiet des fragilités de son dispositif politique, Emmanuel Macron serait-il davantage un «Gaulois réfractaire au changement» que son peuple?