Société

Le pape François face aux attaques du haut clergé ultraconservateur

Temps de lecture : 9 min

Un ancien nonce de Washington a publié un brûlot mettant en cause le pape François, informé selon lui dès 2013 des agissements du cardinal Theodore McCarrick, accusé d'abus sexuels sur mineurs et sur subordonnés adultes, qu'il aurait couverts.

Le pape François pose avec des artistes de Mexico sur la place Saint-Pierre au Vatican, le 29 août 2018. | Alberto Pizzoli / AFP
Le pape François pose avec des artistes de Mexico sur la place Saint-Pierre au Vatican, le 29 août 2018. | Alberto Pizzoli / AFP

Et si le haut clergé ultraconservateur avait choisi les dernières affaires de pédophilie aux États-Unis pour porter le coup de grâce au pape François? Au Vatican, tout le monde est pétrifié après la publication, le 26 août, d’un réquisitoire inouï d’une dizaine de pages rédigé par l’ancien nonce (ambassadeur) à Washington, Carlo Maria Vigano, un Italien de 77 ans qui accuse le chef de l’Église catholique d’avoir couvert les abus sexuels du cardinal Theodore McCarrick, ancien et puissant archevêque de Washington. Selon le nonce Vigano, qui l’aurait directement informé, le pape François savait tout des mœurs de ce cardinal. Or, il n’a rien fait pour purger l’Église américaine. Il doit donc, estime le nonce, démissionner.

La charge est lourde et ne vient plus de l’extérieur, comme dans la plupart des affaires de pédophilie, notamment d’associations de victimes. Elle constitue un premier règlement de comptes, d’une violence cinglante, au plus haut niveau de la hiérarchie catholique. L'opinion mondiale est prise à témoin d’une offensive conservatrice sans précédent dirigée contre un pape affaibli par ces affaires d’abus sexuels, obligé de réagir lors d’une conférence de presse dans l'avion qui le ramenait d'Irlande le dimanche 26 août. François a choisi provisoirement de répondre par le silence, mais a dû admettre qu’il ne pouvait sous-estimer cette attaque de l’ancien nonce Vigano, dont l'agumentaire se déroule en quatre temps:

  • Primo, selon Vigano, le pape François a choisi dès le début le cardinal américain McCarrick –qui avait joué un rôle décisif dans son élection de mars 2013– comme son conseiller personnel pour les États-Unis. Ses pratiques prédatrices étaient pourtant notoires, parfaitement connues du nouveau pape comme de presque toute la hiérarchie épiscopale américaine.
  • Deuxio, c’est ce cardinal sulfureux qui aurait dicté depuis cinq ans toute la politique de nominations progressiste des évêques aux États-Unis. «Pas d'évêque de droite», car ils seraient «idéologisés», mais plutôt «des pasteurs», lui aurait dit le pape François.
  • Tertio, dès 2009, le pape Benoît XVI avait pris des sanctions contre le cardinal McCarrick. Mais très puissant sur le plan financier, celui-ci a refusé d'obtempérer. C'est contraint seulement par la pression médiatique aux États-Unis que le pape François a dû se résoudre à le mettre à pied le 28 juillet dernier, autrement dit à lui retirer son titre de cardinal et lui imposer «une vie de prière et de pénitence».
  • Quatro, selon Vigano toujours, cette affaire prouverait l'existence d'un puissant «réseau homosexuel» dans le haut clergé catholique, dont certains prêtres, évêques et cardinaux seraient «très actifs», soutenus par d'autres prélats «progays» qui travaillent à «subvertir la doctrine catholique» en ce domaine.

Faut-il prendre au sérieux ces accusations d’un ancien nonce qui met en cause un pape comme jamais un autre ne l’avait fait avant lui et qui nuit objectivement à sa crédibilité au moment où il traverse une épreuve sans précédent liée aux affaires de pédophilie? L’Église catholique en a vu d’autres, même à l’époque moderne, et les journaux italiens rappellent ces jours-ci, non sans cruauté, les pages les plus noires du dernier concile Vatican II, au début des années 1960, quand les évêques et cardinaux les plus réactionnaires (Ottaviani, Lefebvre, etc) faisaient le siège, avec virulence, contre le pape Jean XXIII (1958-1963) et ses réformes progressistes.

Une Église qui serait «envahie par les réseaux homosexuels»

On retrouve dans le réquisitoire de l’ancien nonce Vigano, diplomate réputé aigri et cynique, la trame de tous les clichés utilisés par les milieux les plus conservateurs contre François, pape jésuite, latino et réformateur: il aurait tout su des affaires de pédophilie et n’aurait rien fait; son prédécesseur Benoît XVI, lui, aurait été autrement plus actif pour traquer et sanctionner les prêtres criminels; et enfin l’Église serait envahie par les réseaux homosexuels et, incapable de résister à leur pression, le pape François serait en train de leur céder ce que la doctrine catholique, sur ce thème et celui de la sexualité en général, a de plus cher.

Tous les médias traditionalistes, en France, à Rome, dans le monde, rappellent donc en chœur l’affaire Battista Rica, du nom de ce diplomate homosexuel qui avait défrayé la chronique quand le pape l’avait nommé directeur de la maison Sainte-Marthe où il réside, puis de la banque du Vatican. Ils s’insurgent contre la nomination de l’Irlandais Kevin Farrell comme préfet du «dicastère» (ministère) pour les laïcs, la famille et la vie. Selon la rumeur, ce jeune prêtre, venu lui aussi du diocèse de Washington, aurait partagé le lit du cardinal McCarrick. Les adversaires du pape ont trouvé une autre cible favorite en la personne de James Martin, jésuite américain à qui ils reprochent un plaidoyer pour un meilleur accueil des homosexuels dans l’Église, qui aurait reçu un soutien enthousiaste du pape François.

Les milieux ultraconservateurs catholiques ont donc trouvé leur ultime angle d’attaque contre ce pape progressiste. François ferait du «cléricalisme» l’unique responsable des abus sexuels perpétrés par des prêtres qui se sentent investis d’un pouvoir supérieur pour asservir la volonté de leurs victimes, enfants, jeunes ou adolescents à peine majeurs. Mais cet argument ne suffit plus aux conservateurs.

Ceux-ci mettent désormais en cause la puissance d’un soi-disant «lobby homosexuel» dans l’Église. Lisons Sandro Magister, l’un des vaticanistes italiens les plus acharnés contre le pape, sur son blog Settimo Cielo: «Si on continue de classer ces scandales sous l’étiquette d’abus sexuels sur mineurs, il faut surtout questionner la présence répandue, dans le clergé et parmi les évêques, d’homosexuels qui violent non seulement l’engagement public à la chasteté qu’ils ont pris à leur ordination, mais qui en outre auto-justifient leurs actions et se soutiennent entre eux, s’entraidant et se promouvant les uns les autres».

Plusieurs proches du pape dans la tourmente

Le cas de l’ex-cardinal américain McCarrick serait emblématique à ce sujet et ainsi instrumentalisé par les plus conservateurs. La violence exercée sur des mineurs ne l’avait pas empêché d’être à la pointe de la hiérarchie catholique américaine dans la rédaction de la «Charte de Dallas» de 2002, visant à la «tolérance zéro» après la première vague d’abus sexuels sur mineurs de la part de prêtres qui avaient comme épicentre l’archidiocèse de Boston.

Par ailleurs, il est lui est reproché d'avoir entretenu des relations sexuelles avec des jeunes du même sexe, le plus souvent des séminaristes de son diocèse. Certains des «protégés» de McCarrick occupent des fonctions prestigieuses aux États-Unis et au Vatican et incarnent le changement que le pape François voudrait imposer à l’Église de ce pays: il s’agit de Blaise Cupich et Joseph Tobin, archevêques progressistes de Chicago et de Newark, promus cardinaux, détestés par les catholiques américains électeurs de Trump. Actuel archevêque de Washington, Donald Wuerl, est aussi accusé, comme ancien évêque de Pittsburg, par le Grand Jury de Pennsylvanie dans le rapport rendu public le 14 juillet, d’avoir couvert des dizaines de prêtres coupables d’abus. De liens sur lesquels les adversaires conservateurs du pape ne manquent évidemment pas de s'appuyer.

Le fameux Conseil des neuf cardinaux (le C9) siégeant autour de François n’est pas épargné. Proche ami de François, le cardinal chilien Ezzazuriz est dans la ligne de mire de la justice de son pays pour son rôle dans le scandale pédophile touchant l’ensemble de l’épiscopat chilien. Le cardinal hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, coordinateur du C9 et homme de confiance le plus absolu du pape, doit à son tour rendre des comptes: son évêque auxiliaire et dauphin à Tegucigalpa, Juan José Pineda, vient d’être limogé pour des relations sexuelles répétées avec des séminaristes de son diocèse.

Pression conservatrice

Ainsi, le filet se resserre t-il autour du pape. Son entourage le plus proche n’est plus épargné, aux États-Unis comme au Vatican. Rien ne dit qu’il soit tenté de démissionner demain, encore moins qu’il puisse être directement impliqué par la justice comme le réclament certains. Mais quelque chose a changé. Un tournant est pris. La pression conservatrice ne va plus se relâcher et l’enchaînement de ces scandales d’abus sexuels ne va plus cesser de fragiliser ce pontificat réformateur qui semblait bénéficier d’un grand concours de sympathie et de popularité. Lors du dernier voyage du pape en Irlande fin août, des assemblées étaient presque vides.

Il semble loin, ce jour de juillet 2013 où, en plein scandale Ricca, le pape François osait dire à propos des homosexuels: «Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger?». Ce mot devait donner le ton à un règne de tolérance et de «miséricorde». Il est devenu celui du ralliement de tous les conservateurs qui reprochent à ce pape de dénaturer sa fonction et s'indignent de la tolérance excessive qu’il manifesterait non seulement pour les personnes homosexuelles, mais aussi pour les femmes obligées d’avorter ou pour les couples divorcés et remariés qui veulent reprendre le chemin de la participation au banc de communion à l’église.

Il paraît loin aussi ce texte du synode des évêques de 2014 demandant que l’Église «reconnaisse que les homosexuels ont des dons à offrir à la communauté chrétienne». Loin ce mot de compassion du pape en janvier 2018 à un jeune homosexuel chilien victime d’un prêtre pédophile: «Juan Carlos, le fait que tu sois gay importe peu. Dieu t’a fait ainsi et Il t’aime ainsi et cela ne m’intéresse pas. Le pape t’aime comme tu es! Tu dois être heureux comme tu es!»

Déjà cité pour ses positions favorables à un meilleur accueil des homosexuels dans les lieux catholiques, le jésuite James Martin vient même de déclarer à Crux, le premier portail d’informations catholiques aux États-Unis: «L’idée d’une épuration des prêtres gays est aussi ridicule que dangereuse. Une telle épuration viderait les paroisses et les ordres religieux de milliers de prêtres et d’évêques qui mènent une vie saine de service et qui restent fidèles à leur célibat».

Encore plus étrange et régressive est cette déclaration que le pape François a faite le 26 août, de retour d’Irlande, en réponse à des journalistes qui l’interrogeaient sur les jeunes gays: «Quand l’enfant est encore jeune, il y a beaucoup de choses à faire par la psychiatrie». Après la polémique qui s’en est aussitôt suivi, le Vatican a censuré cette phrase du compte-rendu officiel des propos du pape. Au début, on aurait attribué cette faute à un pape trop bavard. Aujourd’hui, on serait tenté d’y voir le retour du refoulé chrétien sur l’homosexualité.

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