Pendant longtemps, les scientifiques, cliniciens et autres travailleurs sociaux étaient à peu près tous du même avis: avoir grandi dans la précarité, et notamment dans des environnements violents, impactait négativement et durablement les capacités cognitives des individus. Ce qui, par conséquent, prédisait aussi tout un tas de paramètres existentiels –mauvaise santé, pauvreté, durée de vie salement raccourcie, etc.– rognant fortement vos chances de réussite.
Sauf que depuis quelques années, des nuances apparaissent dans ce consensus et il semblerait qu'avoir passé une enfance riche en stress permettrait de développer des aptitudes et des capacités mentales particulièrement adaptées à la résolution de problèmes «écologiquement adaptés» à de tels contextes. En particulier, les enfants maltraités pourraient devenir des adultes particulièrement sagaces quand il s'agit de détecter des mensonges, des tromperies, des duperies et autres pièges tendus par des congénères pas très bien intentionnés.
C'est la direction que prend une étude publiée dans le numéro de juillet de la revue Evolutionary Behavioral Sciences. Menée par Willem Frankenhuis, Marieke Roelofs et Sarah de Vries, elle est d'autant plus intéressante qu'elle fait le distinguo entre l'adversité psychosociale liée à la précarité générale de l'environnement (vivre dans un quartier difficile, par exemple) et les difficultés spécifiques d'un milieu familial dysfonctionnel (maltraitances et abus).
Il en ressort que seul ce type de contexte familial semble induire une amélioration du «module de détection des tricheurs» dont nous serions tous plus ou moins dotés dès la naissance. En l'espèce, parce que des enfants maltraités ont tout intérêt à être particulièrement perspicaces dans la «lecture» de leurs parents ou faisant fonction («va-t-il me battre ou m'humilier si j'avoue que j'ai séché l'école, même s'il me promet le contraire?»), cet apprentissage pourrait leur être bénéfique tout au long de leur existence. Au risque que cela se solde par l'altération d'autres capacités (de concentration, par exemple) qui leur étaient écologiquement moins utiles au cours de leur développement.