Le créateur des Ateliers, des restaurants Robuchon à travers le monde –une trentaine d’adresses multi-étoilées– a succombé à un cancer du pancréas à Genève, en Suisse. Il se savait condamné et avait commencé à céder les parts de son groupe développé en France, en Asie, aux États-Unis et en Chine. Il se préparait à ouvrir des restaurants à New York, à Genève et à Miami, diffusant à sa manière l’essentiel de ses spécialités gourmandes –600 plats à son actif: une œuvre immense.
Tarte friande aux truffes © Gourmet TV Production
Sa carrière de cuisinier leader, Meilleur Ouvrier de France en 1980, avait commencé dans le Poitou, sa région natale, où il avait entrepris dans de modestes tables une carrière d’exception. C’était un grand technicien aux fourneaux, un admirable connaisseur des recettes anciennes et un novateur à sa manière: «Ma tête dit à mes mains ce qu’elles doivent faire», disait-il.
À l’âge de 28 ans, il dirigeait les cuisines d’un grand hôtel parisien qui employait 80 sous-chefs, commis et apprentis. Devant ses seconds, il montrait tous les plats, les détails de cuisson, des assaisonnements et des présentations: tous l’admiraient en secret. Durant sa vie entière, il a placé ses adjoints dans des restaurants de France, de Grande-Bretagne, d’Asie, de Chine.
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Prince de la transmission culinaire, il a formé trois mille professionnels de la table et il a fait obtenir des étoiles à ses seconds dont Alain Pégouret chez Laurent et Frédéric Anton, huit ans à ses côtés au Jamin, trois étoiles au Pré Catelan au Bois de Boulogne.
En 1996, il a cédé son restaurant du Trocadéro à Alain Ducasse, son confrère fraternel. Le poitevin renonçait alors à la course aux étoiles pour s’occuper de travaux culinaires au Japon, sa seconde patrie, et pour créer des Ateliers autour du monde – une formidable innovation.
L'œuf de poule mollet et friand au caviar et saumon fumé © Gourmet TV Production
Prenant modèle sur les bars à sushis nippons et les bars à tapas espagnols, ces Ateliers innovants –deux à Paris, un à Londres, un à Tokyo, un à Shanghai, un à Taïwan– sont des restaurants destinés à toutes les classes sociales (menu à Paris à 49 euros). Les réservations ne sont pas obligatoires et l’on peut venir se restaurer dès 11 h 30 du matin et à partir de 18 h 30 le soir. Joël Robuchon voulait ouvrir sa palette gourmande au plus grand nombre et s’affranchir des codes rigides du Michelin. Sa fameuse purée lissée au beurre (45 %) est donnée aux clients, même au dessert.
La purée de pommes de terre lissée au beurre © Gourmet TV Production
Dans certaines villes comme Tokyo, il a maintenu la haute cuisine d’élégance et de recherches exigée par ses investisseurs. Sa dernière création à Paris, le restaurant Dassaï, du nom d’une marque de sakés, panache ses plats de cuisine française (tartare de saumon) et des spécialités niponnes dont des sushis et sashimis mitonnés par des chefs japonais – une sorte d’entente cordiale.
La disparition de l’inventeur de la gelée de caviar à la crème de chou-fleur laisse un vide sidéral, le septuagénaire timide était loin de prendre sa retraite. Son enseignement culinaire, ses principes de rigueur et d’éthique, ses recettes majeures (le steak tartare moelleux épicé) sont reproduites par ses disciples dont Frédéric Simonin à Paris, Christophe Cussac au Métropole de Monaco (deux étoiles) et Mélanie Serre, la cheffe d’avenir étoilée de l’Atelier Étoile au Drugstore Publicis.
La salade niçoise © Gourmet TV Production
Le groupe d’une trentaine de restaurants et Ateliers sera dirigé par Guy Job, PDG, son bras-droit historique pour les ouvertures, et par des chefs en titre nommés par Robuchon lui-même.
L’Institut Culinaire Joël Robuchon devrait ouvrir en 2020 dans son village natal de Montmorillon près de Poitiers: un investissement de 65 millions d’euros, l’œuvre de la vie de ce chef, promu Officier de la Légion d’Honneur par Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.
Après le décès de Paul Bocuse en 2017, la France des gourmets est à nouveau en deuil.