La peur est un sentiment que Jo-Wilfried Tsonga ne semble pas connaître. Vendredi 29 janvier, en demi-finale de l'Open d'Australie, le joueur de tennis français affronte celui qu'il appelle respectueusement «le plus grand joueur de tous les temps», mais il ne sera évidemment pas impressionné par Roger Federer et son auréole. Dans un pays où, selon le cliché usé jusqu'à la corde, les sportifs n'ont pas de mental, Tsonga regorge de confiance en lui et croit fermement en ses chances de faire tomber la statue du Commandeur. D'autres auraient des pudeurs de petit garçon, lui ne se gênera pas pour donner un coup d'épaule si nécessaire.
Jo-Wilfried Tsonga, 24 ans, 10e mondial, aime bomber le torse, haranguer les foules et jouer un tennis de démolisseur. On voudrait le comparer à Yannick Noah, dernier Français à avoir remporté un titre du Grand Chelem, à Roland-Garros en 1983, mais généalogiquement, il descend plutôt en droite ligne de Boris Becker, l'ancien n°1 mondial allemand surnommé Boum-Boum.
Déménageur
Même manière de vouloir en imposer à son adversaire avant ou pendant un match. Même physique de poids lourd. Même style de jeu tout en force, sorte de boxing-tennis qui déménage. Même facilité à expédier un rival au tapis comme Nadal mis K.O. par Tsonga il y a deux ans en demi-finale de cet Open d'Australie. Même capacité à électriser une foule. Même faculté à savoir forcer son destin.
Becker avait su rencontrer la gloire dès l'âge de 17 ans en devenant le plus jeune vainqueur de l'histoire de Wimbledon. Tsonga a dû attendre plus longtemps pour émerger au plus haut niveau en raison de graves problèmes physiques qui ont menacé sa carrière après une prometteuse victoire à l'US Open juniors en 2003. La liste de ses pépins donnerait une migraine à un médecin. Ses genoux, ses abdominaux et surtout son dos n'ont cessé de le martyriser jusqu'en 2007, une hernie discale le clouant sur son lit de douleur entre 2004 et 2005. Alors que Richard Gasquet, son camarade générationnel médiatisé depuis l'âge de 9 ans, captait toute la lumière, Jo-Wilfried Tsonga se retrouvait relégué dans une ombre inquiétante. N'allait-il pas devoir abandonner son rêve de devenir joueur professionnel?
Sa convalescence fut longue. Un homme l'a aidé à la traverser, Eric Winogradsky, son entraîneur resté depuis à ses côtés. Les débuts de leur association ne furent pas faciles, Tsonga rechignant à perdre les kilos superflus qui l'empêchaient de vraiment solidifier sa structure musculaire afin de prévenir les blessures. «J'aime bien manger», aime répéter ce solide gaillard d'1,88m pour 91kg aux origines congolaises par son père et sarthoises par sa mère. Leur association s'est ensuite transformée en une complicité presque filiale, notamment lorsque Winogradsky lui ouvrit les portes de sa famille à des moments où Tsonga se retrouvait seul à Paris, blessé et incapable de jouer au tennis, mais contraint à de lourdes séances de kinésithérapie.
Chemin de croix
Entre retours et rechutes, mais toujours soutenu par la Fédération française de tennis (il refusa plus tard une offre généreuse d'Arnaud Lagardère et de son «team» par simple fidélité à la FFT), sa progression au classement ressembla à un long chemin de croix. Loin des sunlights de la Rod Laver Arena de Melbourne, il emprunta le chemin des tournois secondaires, loin de proposer les meilleures conditions d'organisation, mais passage obligé pour grimper au classement. Un jour, il se retrouva ainsi au fin fond de la Russie, logé dans un hôtel... de passe, comme il l'avait savoureusement raconté à L'Equipe il y a deux ans. «Au-dessous de la porte de ma chambre, il y avait vingt centimètres de jour, dans le couloir il se passait des trucs... Je ne veux même pas savoir ce que c'était. Il y avait aussi la pendule au-dessus du lit qui fait tic tac, tic tac, et que tu ne peux jamais arrêter. Mais t'as la rage, t'as envie de gagner des points au classement, alors tu passes au-dessus de tout le bazar. Enfin, presque tout. J'avais eu là-bas un problème de visa, je crois qu'il avait expiré d'un jour, et les mecs avaient débarqué avec les Kalachnikov. Le truc sympa, quoi.»
Sa carrière ne décolla vraiment qu'en 2007, année d'un huitième de finale à Wimbledon, puis se catapulta dans une autre dimension en janvier 2008 lors d'un Open d'Australie à tout casser. En finale, il s'inclina face au Serbe Novak Djokovic, mais rencontra brutalement la célébrité. Ce petit tremblement de terre laissa des traces. Sa famille goûta modérément l'intrusion intempestive des médias. Ses parents gardent encore le souvenir traumatisant de la bousculade qui accueillit leur arrivée à Melbourne pour la finale de 2008. Cette fois, quel que soit le résultat de la demi-finale de leur fils, ils ne feront pas le long déplacement.
Le show et le froid
En novembre 2008, son succès au tournoi de Bercy confirma son nouveau statut d'icône nationale. Conseillé par Morgan Menahem, son agent, également celui du basketteur Tony Parker, Jo-Wilfried Tsonga ne fut pas trop ébranlé de son côté par cette soudaine exposition. Son charisme réel rencontra un écho immédiat auprès du public et des sponsors. La personnalité de ce champion en devenir est pourtant plus paradoxale et ambiguë qu'on l'imagine. Autant il aime se donner et communiquer sur le court, autant il lui arrive de se fermer en dehors. Face à la presse, il peut s'avérer un «client» redoutable tant il rechigne parfois à se livrer. Chaleureux un jour, distant le lendemain, glacial exceptionnellement, on ne sait jamais trop quel Tsonga va surgir. La faiblesse de son niveau d'anglais -une vraie maladie chez les joueurs français- fait, elle, le désespoir des journaux étrangers qui voudraient en savoir plus sur lui. Mais cela ne semble guère le soucier. C'est comme ça et pas autrement.
Sur le court, la courbe de ses humeurs est également sinusoïdale. D'un calme olympien dans les moments les plus chauds, il peut perdre aussi beaucoup d'énergie en s'énervant inutilement, comme avec les photographes cette semaine à Melbourne. «Il a encore beaucoup de choses à améliorer et c'est assez “effrayant” compte tenu de son niveau actuel, analyse Arnaud Di Pasquale, responsable du haut niveau masculin à la Fédération française de tennis. Mais il sait ce qu'il fait et où il va. Parfois, il a trop confiance en lui, mais il vaut mieux ça que l'inverse.» Reste donc à savoir si cette assurance naturelle ébranlera «le meilleur joueur de tous les temps»...
Yannick Cochennec
Image de une: Jo-Wilfried Tsonga à Roland-Garros en 2009, REUTERS/Andrew Winning
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