L’Europe connaît cet été de graves sécheresses, provoquant de nombreux incendies et des restrictions en eau. Les transformations climatiques nous habitueront bientôt à ces situations de crise qui deviennent récurrentes.
Même Rome est touchée, une ville pourtant entourée de marécages et dont l’approvisionnement n’a jamais été un souci depuis l’Antiquité. La Rome antique a su alimenter en eau une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitantes et habitants, notamment grâce à un système hydraulique particulièrement développé. Les témoignages les plus frappants en sont bien sûr les aqueducs, encore présents dans les territoires de l’ancien empire romain.
Une idée souvent répandue veut que les aqueducs aient été abandonnés avec la chute de l’Empire romain, et que l’époque médiévale ait perdu le savoir hydraulique antique. La réalité est un peu différente, et l’histoire de l’approvisionnement en eau au Moyen Âge montre à quel point celle-ci est essentielle non seulement à la vie en général, mais aussi aux relations sociales et à la politique.
La chute de Rome, version aquatique
Il est vrai que les soucis politiques que connaissent les Romains au VIe siècle n’ont pas franchement aidé au maintien des infrastructures, qui nécessitaient un entretien régulier.
En 537, lors du siège de Rome par les Goths, les assiégeants coupent les quatorze aqueducs alimentant la ville, qui dans ces années-là connaît une diminution très importante de sa population. La coupure des aqueducs n’aide pas, et les quartiers qui ne sont plus alimentés en eau se vident progressivement. De façon générale, les monuments publics ne sont plus entretenus et de nombreux aqueducs servent de carrière de pierres. La ville par excellence perd ses aménagements.
Certains ont pourtant bien conscience que cette déliquescence matérielle ne fera qu’accélérer le déclin. Le pape Grégoire, élu en 590, demande aux autorités impériales de réparer les aqueducs. Mais Rome n’est plus si centrale pour l’empereur, qui se trouve alors à Ravenne. Le pape, seule véritable autorité dans la ville, ne parvient pas rétablir les aménagements hydrauliques.
Enluminure représentant le pape Grégoire, entre 1170 et 1200 | Via Wikimedia Commons
Avec le déclin des villes au début du Moyen Âge, certains aqueducs ne sont plus autant utilisés qu’avant. Moins entretenus, leurs matériaux finissent par être récupérés. Les pierres de l’aqueduc de Cologne servent par exemple à réaliser des colonnes de l’église carolingienne d’Aix-la-Chapelle.
La destruction des aqueducs pose parfois de réels problèmes. La population de Chartres est par exemple contrainte de s’alimenter à la Seine en contrebas depuis la destruction de ses deux aqueducs en 603.
Les aqueducs restants sont souvent réservés à l’élite, la haute aristocratie: à Reims, à la fin du VIIe siècle, l’archevêque parvient à prolonger l’aqueduc romain jusqu’à son palais pour alimenter sa salle de bain et ses piscines.
Le puits, un lieu de sociabilité au Moyen Âge
Malgré tout, certains aqueducs antiques restent en activité et approvisionnent les villes. Surtout, on construit de nouvelles canalisations hydrauliques, qui adaptent les connaissances héritées de l’Antiquité –même s'il s'agit de réalisations moins impressionnantes que le pont du Gard.
Des réseaux de distribution d’eau à grande échelle se mettent en place à mesure que les villes se développent à nouveau, d’abord à travers des canalisations à ciel ouvert, puis souterraines. Les établissements monastiques, les grands seigneurs ou encore les hôtels-Dieu cherchent à obtenir l’eau courante. Le système se développe pour alimenter des fontaines au XIIe et surtout au XIIIe siècle, où l'on peut se fournir en eau potable. En 1273, Provins adopte même l’eau courante chez tous les habitantes et habitants –moyennant évidemment paiement.
Cela reste pourtant l’exception. Dans la plupart des villes, les citadines et citadins lambda se fournissent surtout au puits, public ou privé –un lieu de sociabilité essentiel dans la ville. À Venise, ville où l’approvisionnement en eau potable est particulièrement crucial, les puits sont souvent la propriété des familles patriciennes. Elles les mettent à disposition dans leur cour et le quartier peut venir s’y servir.
Ce n’est évidemment pas un calcul innocent: ces grandes familles renforcent à travers l’eau leur réseau de fidélité et leur clientèle. La population des quartiers et leur attachement à telle ou telle faction repose sur ces dons intéressés, ces actes d’évergétisme que chaque grande famille se doit d’accomplir.
Grâce aux papes, le retour des aqueducs
À la fin du Moyen Âge, certains cherchent cependant à ressusciter les aqueducs: ce sont les papes, revenus à Rome au XVe siècle. Depuis leur retour d’Avignon, ceux-ci multiplient les travaux dans la Ville éternelle, pour redorer le blason d’une Rome qui a diminué en taille et en nombre d’habitantes et habitants. Elle est une ville peu salubre, agitée, mais à laquelle la papauté demeure inébranlablement attachée.
Il s’agit de lui redonner du lustre, de rappeler son passé glorieux–et au passage, de la rendre habitable. Les papes percent des rues, restaurent le Forum, construisent des palais et mettent enfin à exécution le plan du pape Grégoire, en restaurant les aqueducs alimentant la population romaine.
Plan de Rome en 1493 | Via Wikimedia Commons
Le retour des aqueducs à Rome est un acte de santé publique autant qu’un acte politique. Les papes du XVe siècle se veulent les continuateurs de l’Antiquité romaine, tout en se faisant accepter par la population. Et quoi de mieux que de restaurer ces monuments aussi impressionnants qu’utiles à tout le monde?
Aujourd’hui, la situation romaine est bien différente. Ces dernières années, les autorités municipales faisaient fermer les fontaines et surtout prévoyaient de couper l’eau courante huit heures par jour. La faute à la sécheresse, bien sûr, mais aussi à des canalisations anciennes et mal entretenues.
Avec la situation financière italienne, la mairie romaine ne semble pas prête de faire l’investissement que les papes du XVe siècle avaient consenti pour la ville. Pourtant, ce serait là aussi un acte de santé publique autant qu’un assez bon calcul politique.