La France est en vacances, et qui fait tourner l’économie? Les jeunes. En stage, en CDD, en alternance, ils économisent pour leurs études, ajoutent des lignes à leur CV, accumulent les emplois pour s’en sortir. Pendant que les «seniors» se reposent, des «juniors» s’épuisent au travail, et comme leurs aînés et aînées, ils et elles foncent vers le burn-out.
Un appel sur les réseaux sociaux, et en vingt-quatre heures à peine, une trentaine de témoignages afflue. «Bonjour, j’ai 26 ans, et je suis passé très près du burn-out l’été dernier.» «Bonjour, j’ai fait un burn-out à 23 ans au sein de l’Éducation nationale.» «Bonjour, j’ai fait un burn-out il y a deux ans et demi. J’avais 25 ans.»
À LIRE AUSSI On commence à détester son job à partir de 35 ans
Un jeune sur dix déjà vidé par le travail
Le phénomène est difficile à saisir. Aucune statistique n’existe sur le surmenage des jeunes. C’est un problème de définition. Le syndrome d’épuisement professionnel n’en accepte aucune qui soit définitive, même aujourd’hui. De fait, la psycho-traumatologue Evelyne Josse explique que le burn-out s’appréhende avant tout comme «un ensemble de symptômes». Parmi ceux-ci, une exténuation générale, physique, psychique et émotionnelle due au trop-plein de travail ou à d’autres facteurs professionnels.
Les médecins et la classe politique se divisent quant à la liste précise de ces symptômes. Récemment, la dispute a empêché sa reconnaissance comme maladie professionnelle. Le député de La France insoumise François Ruffin s’y est essayé avec une proposition de loi en janvier. Il s’est cassé les dents, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, jugeant que le burn-out n’était pas lié «à 100% au milieu professionnel». Pas de définition, donc pas de reconnaissance et pas, non plus, de données précises. D’après une étude du cabinet Technologia datée de 2014, 16% des 15-29 ans présentent au moins un symptôme d’épuisement professionnel. 64% des 18-34 ans affirment être stressés ou stressées au travail. 12% des 18-34 disent, déjà, se sentir vidés ou vidées affectivement par leur travail.
«Je me suis dit que c’était temporaire»
Julien* avait 23 ans quand le burn-out lui est tombé dessus, dès son premier emploi. Une «crise d’angoisse» qui l’a cloîtré chez lui pendant une semaine, incapable de reprendre le boulot, de décrocher le téléphone ou de parler, tout simplement. Julien avait pourtant trouvé ce que certains et certaines passent une vie à chercher: le moyen d’allier passion et métier. Pour lui, c’était le basket. Mais on lui a trop demandé, et il a craqué.
Le bac en poche, le jeune homme avait trouvé un contrat d’avenir dans un club de basket au niveau régional du Grand Ouest. Il est «embauché pour préparer les entraînements et d’autres événements du club» pendant trois ans. En échange de quoi, il peut suivre une formation pour devenir éducateur sportif.
«Je suis allé voir des psychologues. Ils ont tout de suite voulu me donner des cachets, antidépresseurs et anxiolytiques... ça m’a fait un déclic»
Mais au fur et à mesure, Julien «se retrouve à gérer de l’administratif», des tâches qui n’étaient pas prévues dans son contrat d’embauche. Un cercle vicieux se met en place, et la pression monte: «Il y avait trop de tâches différentes. Je ne savais plus quel était mon rôle. Dès que je n’arrivais pas à finir quelque chose, je recevais un mail. J’avais des coups de fil tous les jours». Les six derniers mois, l’aspirant entraîneur travaille six jours par semaine. Minimum. «De 8h à 22h en semaine, de 9h à 19h le samedi.» Les entraînements avec les jeunes succèdent aux journées de secrétariat, qu’il prend en main, comme la gestion du club et sa communication. Julien ne dit rien. Il encaisse: «Je me suis dit que c’était temporaire, que j’allais le faire».
Surgissent, d’un coup, les dernières vacances d’été de son contrat. Plus aucune activité sportive à encadrer. Le basketteur se retrouve seul au secrétariat du club. Il doit en profiter pour travailler sa formation d’entraîneur. Mais il n’y arrive plus, et au moment de prendre ses congés, il s’enferme chez lui. «Ça a été deux mois assez compliqués, se souvient-il. J’ai été mis en arrêt. Je suis allé voir des psychologues. Ils ont tout de suite voulu me donner des cachets, antidépresseurs et anxiolytiques... ça m’a fait un déclic. Je ne voulais pas rentrer là-dedans. J’ai refusé, et je me suis remis en question.»
Harcèlement et imposture
Pour Marie*, il n’y a pas eu de surcharge de travail, au contraire. Pour son premier CDI, la chargée de communication dans un grand groupe de l’énergie a pris goût à ses missions. Mais voilà, son responsable a profité de son jeune âge «pour charger la mule». «Il m’a mis sous pression, raconte-t-elle. Il m’a fait comprendre qu’il était normal qu’à mon âge et qu’étant célibataire, je passe mes journées et mes nuits au travail.»
Le mal-être a duré deux ans avant que, finalement, elle ne fasse un burn-out: «C’était le soir des attentats de novembre 2015. Un sujet de crise comme j’avais déjà eu à en traiter. J’ai d’abord pensé à l’entreprise avant de penser à moi et j’ai pris un certain nombre de mesures même si elles n’étaient pas nécessaires». Marie se fait alors réprimander par sa hiérarchie, et par le responsable en question. «Des mots assez durs, du harcèlement par texto, par message vocaux» provoquent chez elle une «crise d’angoisse». «J’ai été incapable de respirer pendant toute une soirée, se remémore-t-elle. C’est délicat… C’est là que j’ai compris qu’il y avait un problème.» Marie avait 25 ans. Depuis, la jeune femme a changé de travail mais elle concède «avoir peur en permanence que cela se reproduise».
«Je faisais des crises d’angoisse au boulot et à certains moments, je partais dans les toilettes toutes les cinq minutes pour pleurer»
Claire*, elle, n’a subi ni surcharge de travail, ni harcèlement moral. Simplement, son travail comme documentaliste ne lui convenait pas. Une première expérience arrivée après une dernière année d’études «éprouvante». Elle avait à peine 25 ans. «Je ne sentais pas le poste auquel j’avais postulé, confie Claire, émue. Mais je me suis dit que c’était quand même bien d’essayer car je n’avais rien d’autre et ça me permettait d’enchaîner assez vite sur le marché du travail.»
Le poste en question était proposé par une médiathèque privée, orientée sur le commerce et le management. Claire essaie de dépasser son appréhension initiale, mais elle n’y parvient pas. «Je n’arrivais pas à gérer. Je me disais que c’était complètement nul, que j’étais une “imposture”. Je faisais des crises d’angoisse au boulot et à certains moments, je partais dans les toilettes toutes les cinq minutes pour pleurer.» Au bout de quatre mois, la documentaliste craque devant ses parents qui l’envoient chez le médecin, et elle est mise en arrêt pour un mois. Elle s’en sort avec l’aide de son docteur, de sa psychiatre et de collègues qui obtiennent, pour elle, un aménagement du poste.
«Drogués par l’adrénaline»
Des jeunes cramés dès le premier emploi, comment l’expliquer? Pour la psychologue Evelyne Josse, «le jeune moussaillon a plus de risque de souffrir du mal de mer que le vieux marin expérimenté». Souvent excités et excitées par les défis professionnels qui se présentent à eux et elles, les jeunes «se droguent avec leur propre adrénaline», analyse-t-elle. Une sensation qu’ils et elles «ont tendance à vouloir prolonger». Résultat: ces jeunes dépassent la phase de stress propre à tout début de carrière sans percevoir les signaux avant-coureurs du surmenage.
Perte de confiance en soi, désintérêt pour le travail, fatigue permanente… Les professionnels et profesionnelles désignent ce cercle vicieux sous le terme de «burn-in». Une phase de dépression générale qui conduit au burn-out si elle n’est pas prise en charge à temps. «Pour faire une métaphore très simple, il s'agit du moment où la personne commence à mettre au feu ses ressources», décrit sur Europe 1 Adrian Chaboche, médecin et coauteur de Fatigue: Et si on apprenait vraiment à se reposer?.
Les jeunes ne sont pas non plus aidés ou aidées par leur hygiène de vie, complète Evelyne Josse. La psychologue pointe «l’alimentation peu équilibrée ou le manque de repos». D’autant que les nouvelles et nouveaux entrants sur le marché du travail pâtissent des difficultés économiques propres à ce moment de la vie. Autonomes, sans matelas financier, les plus jeunes s’endettent aussi, parfois, pour payer leurs études. Une étude de la Croix-Rouge de mai 2017 précise qu’un ou une étudiante sur trois de moins de 25 ans vivrait sous le seuil de pauvreté. Autant de facteurs de stress qui pèsent sur leur vie professionnelle et entretiennent le «burn-in».
«La santé passe avant tout»
Pour éviter d’en arriver là, la meilleure solution, c’est de parler de son mal-être. «Ma plus grosse erreur a été de contenir tout ça pendant trop longtemps, admet Marie. Ça a été de ne pas en avoir parlé autour de moi, à mes proches ou dans mon travail.» De nombreuses personnes peuvent aider celles et ceux qui se pensent proches du burn-out. Le médecin du travail d’abord, qui pourra repérer les symptômes, réorienter vers une prise en charge spécialisée ou, tout simplement, demander un aménagement de la charge de travail. Les élus et élues du personnel ensuite, à même de réorienter vers un ou une professionnelle.
En dehors du travail, l’association France Burn-out propose une aide en ligne. Enfin, les collègues, la famille, les amis et amies… Car s’il peut être délicat de leur faire part de cette souffrance, ils et elles peuvent apporter une première écoute et aider à prendre du recul. Surtout, conclut Claire, «il ne faut pas laisser traîner. Il vaut mieux s’arrêter que de faire une connerie et de le regretter. La santé passe avant tout».
*Les prénoms ont été modifiés.