Les détails ont fuité au compte-gouttes jusqu’au jour J. Je savais seulement que j’allais «passer à la casserole» le 14 avril, soit trois semaines pile avant mon mariage mixte prévu sur les rives du Danube. Pour être honnête, je m’attendais au pire. Un enterrement de vie de garçon (EVG) genre bizutage d’école de commerce avec entonnoir de tequila dans le gosier ou démo de frotteman dans la rue histoire de dévoiler l’étendue de ma virilité. Mes partenaires de soirée étaient prévenus. S’amuser, oui. Passer pour le pire des abrutis, non merci.
Au crépuscule, je débarque sur la place Blaha Lujza où mes six copains m’attendent avec des bières et un t-shirt rouge pétant «Attention, enterrement de vie de garçon en cours» qui me tiendra chaud jusqu’à l’aube. Premier palier plutôt gentillet: karting en sous-sol près de notre lieu de rendez-vous. Des essais au podium, notre petite bande descend une pinte et un shooter par tête entre chaque étape. Un arrêt munitions plus tard, nous voilà partis canettes de bière en main sur le boulevard Erzsébet Körút.
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Œufs et coups de fouet
Une ribambelle de défis m’attend. Le plus cocasse? Vendre une douzaine d’œufs à des filles contre quelques pièces pour acheter puis offrir un bouquet de fleurs à une femme de plus de 50 ans. Chemin faisant, je dois tendre mon maillot à des demoiselles signant le haut au marqueur non sans avoir au préalable esquinté ma colonne en charriant deux filles volontaires sur mon dos tel un escargot. Ah, et interdiction de prononcer le nom de ma future épouse sous peine d’enchaîner plusieurs pompes.
L’une de mes dernières missions consistait à courir torse-nu autour du Monument du Millénaire dominant la très touristique place des Héros. Le sprint aurait pu virer au drame si je ne m’étais pas mieux retenu tout en m’étalant comme une crêpe sous les yeux de mes camarades à deux foulées de l’arrivée. Pas de quoi contrarier la suite des événements même si ma cage thoracique s’en souvient encore. Après un mini-golf souterrain aux trous absurdes, direction un club de strip du «quartier de la fête».
La place des Héros de Budapest | Attila Kisbenedek / AFP
Au Hallobár, institution budapestoise de l’effeuillage inaugurée en 1976 et lieu apprécié des cohortes d’EVG découvrant Buda, l’affaire débute tambour battant dans une salle VIP imitation cabaret où trois créatures accortes rivalisent de regards aguicheurs en se dénudant histoire d’attiser nos bas instincts. La dernière se pointe (ô surprise) en robe de mariée qu’elle retire avec la désinvolture d’une pro et m’intime de monter sur scène couvert par les brâmes de mes potes dignes d’une harde de cerfs en rut.
Le piège se referme: coups de fouet titillant mon dos, tête entraînée vers les seins de la demoiselle, simulation de cunnilingus et de levrette, rires de l’assistance me voyant contraint de jouer les toutous... Ma «partenaire» d’origine tzigane et moi plaisantons du ridicule de la situation tout en échangeant quelques banalités en magyar jusqu’à ce que le spectacle s’achève sous une nuée d’applaudissements. J’apprends qu’elle se produit en show intimiste contre 10.000 forints (30 euros) balancés rubis sur l’ongle.
Grisé par l’atmosphère de néons fluo aux confins de GTA Vice City et Go Go Tales d’Abel Ferrara, je contemple une assemblée de queutards bavant au pied de l’estrade où se dandinent les danseuses. Soudain, mes amis admirant le ballet de poitrines et de fessiers galbés nous tannant pour s’exécuter en privé me demandent de choisir une fille avec laquelle je me retrouverai nez à nez derrière un rideau. Un type crie dans le box d’à-côté comme s’il jouissait pendant qu’une jeunette ondule sur moi. Malaise.
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Combat de boue et AK-47
Vers deux-trois heures du matin, nous nous éclipsons avec quelques whisky-coca dans le nez et l’un de mes potes vivant tout près s’acharne pendant des plombes sur son digicode avant de rentrer chez lui. La soirée se clôt calmement aux aurores sans champagne au frais, sans parade beauffisime en limousine, sans costume de bébé, sans perruques peroxydées, sans flingue gros calibre et sans véhicule militaire. Rien à voir avec le film Budapest dépeignant les EVG en Hongrie façon resucée de Very Bad Trip.
La trame s’inspire de deux diplômés d’HEC devenus piliers des week-ends de débauche pour hommes (et femmes) sur le point de se ranger après avoir créé la première boîte française spécialisée en 2009. Peu chère et festive, Budapest permet au duo comme à des dizaines de concurrents ayant suivi le mouvement d’appâter une quantité démesurée d’escadrons déambulant au gré des apéros-croisières sur le Danube, des escape games dans la Mecque du secteur et des remous des bains thermaux. Comptez environ 400 euros par personne, billets d'avion aller-retour en low-cost et ensemble d’activités inclus.
Coordinateur de ma session club de strip, Kevin Breleur concocte des programmes pour futurs mariés et mariées de Budapest à Barcelone en passant par Prague, Riga, Vilnius, Cracovie et Varsovie depuis deux ans et demi avec son frangin Meddy. Paintball, combat de boue sexy, attaque de molosse en mode «man versus dog», stand de tir et conduite de char sont les vedettes de son catalogue hongrois. Il m’arrange les deux dernières activités, qui m’emballent largement plus que l’option berger allemand.
Le vendredi, mes mains flageolent et mes tympans sifflent lorsqu’on m’invite à manipuler des pétoires allant du 357. Magnum à l’AK-47 tandis qu’un couple d’anglophones rivalise de précision sur les cibles. La kalachnikov est étonnamment légère comparativement aux énormes dégâts dont on la sait capable. L’instructeur recadre sur le maintien des armes et la manière de presser la détente entre deux blagues. Verdict? Je ne serai jamais Jack Bauer bien qu’auteur de deux headshots assortis d’une balle au milieu de l’estomac de ma fausse victime mais connais désormais le sentiment d’ivresse du porteur de flingue.
Le lundi suivant, les pluies diluviennes tombées le matin même bloquent les tanks quinquagénaires de fabrication soviétique dans leur garage de Domonyvölgy à trois quarts d’heure de la capitale magyare. Ces beaux bébés de respectivement 16.000 et 36.000 centimètres cubes reléguant le vacarme d’un semi-remorque au rang d’une inoffensive mobylette MBK martyrisent régulièrement le circuit accidenté aménagé à proximité, prisé des groupes et théâtres deux jours durant des scènes tank de Budapest. L’équipe du film s’est éclatée avec le plus modeste des monstres affichant 11,5 tonnes sur la balance.
«Barcelonisation»
Pas peu fier d’avoir contribué à un long-métrage français, Gergő le conducteur de char se souvient des prises du matin au coucher du soleil, de la curiosité des villageois, du traitement de star dont bénéficiait Manu Payet, du staff colossal du réalisateur Xavier Gens et des deux heures de préparation nécessaires au calage de la séquence où un tank écrabouille une voiture. Avant Budapest, plusieurs émissions locales de télé-réalité avaient déjà jeté leur dévolu sur ce complexe axé sensations fortes où l’on croise une palanquée de quads, d’hélicoptères et de buggys mobilisés pour des expéditions dans les parages.
Kevin et Meddy ont failli tomber au moins trois fois du tank, enchaînant bosses et monticules à pleine vitesse, comme en témoignent les vidéos folles que le premier me montre sur le chemin du retour vers Budapest. Les frangins martiniquais conquis par l’effervescence de la ville lors de l’EVG d’un ami supervisé de A à Z par leurs soins ont délaissé la fonction publique histoire d’investir le créneau des bachelor parties. Sur les 300 à 350 groupes venant s’encanailler aux beaux jours dans la capitale européenne du porno, les Breleur prennent en charge le quart des escouades qui remettent parfois le couvert hors contexte EVG.
En ce qui me concerne, je suis bien content d’avoir évité le costume de Borat, la mare de vomi sur le trottoir banane jusqu’aux oreilles, le biture-tour de Budapest en beer-bike enivrant le cadre sup’ hexagonal, les âneries d’Anglais bourrés comme des coings exaspérant le VIIe arrondissement et les vrombissements d’un carrosse XXL narguant la consommation aux cent d’une Twingo en vingt bornes. «Barcelonisée» par le tourisme festif de masse et l’airbnbisation, Budapest compose désormais avec un défilé d’enterrements de vie de garçon (et de jeune fille) aussi lucratif qu’alarmant pour son image.