France

Clearstream, un feuilleton navrant, du début à la fin

Temps de lecture : 3 min

Le jugement de l'affaire Clearstream est à l'image du dossier et de ses acteurs: farfelu et inquiétant.

L'affaire Clearstream a bel et bien existé. Enquêteurs, magistrats, victimes, personne n'a rêvé. Mais la machination n'a pas été pensée, ni voulue. Elle n'a pas eu de chef. Pas d'instigateur. Aucun grand manipulateur politico-financier, dans l'ombre, n'a fait bourrer les listings de la fameuse chambre de compensation luxembourgeoise de noms fantaisistes, en y ajoutant, pour nuire plus directement, celui du futur candidat à l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy.

En relaxant Dominique de Villepin —sous réserve d'appel— du chef d'accusation de complicité, même par «abstention», le tribunal, présidé par Dominique Pauthe, consacre l'aspect farfelu, digne des Pieds Nickelés, d'une histoire qui a pourtant fait couler beaucoup d'encre, et que beaucoup de Français jugent inquiétante. C'est au moins aussi grave que si les magistrats de la 11e chambre correctionnelle, après une longue instruction, s'étaient persuadés que l'ancien Premier ministre, ou un autre personnage, avait effectivement organisé, façonné et mis en musique une énorme calomnie. Car celle-ci, désormais, se retrouve en lévitation dans notre paysage politique et policier. Libre de tout machiavélisme. Objet du seul hasard.

Que restera-t-il de cette histoire?

Voilà: existent des listings bancaires, dans nos sociétés, qui se gonflent de faux assez grossiers, mais personne, apparemment, n'en a commandité la falsification. Ils vont, viennent, détournent un magistrat instructeur de tâches plus urgentes en le mettant aux prises avec un «corbeau», ils monopolisent des enquêteurs, qui s'épuisent à vérifier des fantasmes, ils s'incrustent dans la capitale et dans la République. Ils sont forcément nuisibles, corrupteurs, sujets à chantage possible. Ils minent l'adhésion des citoyens, et d'abord des responsables de l'appareil d'Etat, à l'idéal démocratique. Puis ils disparaissent de notre actualité, de nos mémoires, laissant un mauvais arrière-goût. C'est ce qui va advenir. L'affaire Clearstream va disparaître de notre présent, de notre passé communs, faute, justement, d'instigateur. Des historiens auront beau se pencher dessus, plus tard, des auteurs additionner les livres d'enquête. Il ne se sera rien passé.

Ne restera qu'un feuilleton, navrant ou hilarant, selon le degré d'humour de chacun, un polar échevelé; un gros cas d'école sur les dérives psychologiques de personnages placés au cœur notre appareil policier et militaire. Des fous! Doux dingues dangereux, qui aiment jouer avec des allumettes, sans que les contrôleurs du système ne s'en alarment vraiment. Il est en effet angoissant, maintenant que personne ne s'avance plus pour endosser le rôle de l'inspirateur du complot, de constater que des hommes comme Jean-Louis Gergorin, ancien haut-dirigeant d'EADS et Imad Lahoud, mathématicien en lisière de mythomanie, aient pu à eux seuls, ou à peu près seuls, concevoir et conduire une telle machination, sans que leurs motivations apparaissent clairement, même après un procès et ce jugement du 28 janvier.

Double errance mentale

Car laver Dominique de Villepin de tout soupçon revient à nous laisser, stupéfaits, face aux acteurs secondaires de cette histoire. A nous obliger à reprendre leur parcours dément, et sans contrainte, dans les coulisses du pouvoir. A revenir au moment, en 2003, où la DGSE, notre service de sécurité extérieure, se cherchant des spécialistes des recherches financières informatisées, s'empresse de recruter Imad Lahoud... qui sort d'une inculpation pour escroquerie. Un personnage fantasque, pour le moins. Matheux ou informaticien, on ne sait pas très bien. Ancien «trader» —ce qui doit fasciner, déjà en 2003. Bien sûr, nos espions recrutent rarement de vertueuses dames d'œuvre, mais tout de même, ce candidat-là présentait déjà quelques handicaps de véracité existentielle. Il dit vouloir se racheter, collaborer à une œuvre patriotique. C'est aussi simple que ça: on le croit.

Le voilà aspiré. Croisé avec Jean-Louis Gergorin, lui aussi proche des «services», personnage influent, grande intelligence, mais enclin à la paranoïa —selon les attendus du tribunal. En pleine crise de ce mal, en plus, car il est convaincu que son maître et ami, Jean-Luc Lagardère, le patron historique d'EADS, qui vient de mourir, a en fait été assassiné par des Russes manoeuvrant via des sociétés bancaires... Les listings Clearstream, qui apparaissent alors, sont donc le fruit d'une double errance mentale, celle d'un faussaire ambitieux et illusionniste, celle d'un grand spécialiste de l'armement gagné par les affres de la théorie du complot. Le tout avec, au balcon, la hiérarchie de nos services secrets.

A mesure que les listings s'enflent de noms variés, d'actrices, de confrères journalistes, puis, d'hommes politiques, ce qui ne met toujours pas la puce à l'oreille des professionnels, le feuilleton tourne au guignol. Le général Rondot, l'espion qui note tout dans ses cahiers, et laisse ceux-ci bien en évidence, rend compte au Premier ministre et à sa ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie, à la Défense.

Longtemps, on va croire les listings vrais, ou vraisemblables. L'afflux de noms, tout le bottin, ou tout le Gotha, de Paris, ne trouble pas, ou pas assez. Ni Dominique de Villepin, informé, qui aurait pu battre le rappel du réalisme. Ni le ministère de la Défense, qui doit pourtant avoir l'habitude des montages et des faux grossiers. Ni même le juge Renaud Van Ruymbeck, alléché par le lien possible, lui fait-on croire, avec l'affaire des vedettes pour Taïwan...

Sans comploteur en chef, l'histoire des listings n'est rien d'autre qu'un immense marais d'amateurisme, une collection d'actes individuels hystériques, laissés sans surveillance, et ce n'est pas des plus réconfortants, quant à la santé de nos modes d'alertes.

Philippe Boggio

Image de une: arrivée de Villepin au palais de Justice de Paris, le 28 janvier. REUTERS/Gonzalo Fuentes

La réaction de Villepin à la sortie du tribunal

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