Culture

Hadopi: une loi plus CONTRE Internet que POUR la création

Temps de lecture : 4 min

Le texte de loi consacre le divorce entre l'Etat, les majors et les consommateurs connectés.

Prise USB. Image CC FLickr Vizzual-dot-com
Prise USB. Image CC FLickr Vizzual-dot-com

Contrairement à ce que son nom indique, la loi «Création et Internet» ne réglera pas le problème de la création sur Internet. Cette loi qui instaure une haute autorité appelée Hadopi, compte faire baisser les échanges (via les réseaux P2P principalement) de fichiers numériques jugés illégaux par la menace d'une suspension de l'abonnement Internet. Et la logique voudrait, selon les industries du contenu (cinéma et musique en tête), que ces pirates - avertis ou sanctionnés - reprennent alors le droit chemin du système commercial classique: je vends, tu achètes et je gagne de l'argent. Non seulement cette loi arrive tardivement, cible une technologie qui sera vite dépassée et crée une usine à gaz juridique mais surtout il y a erreur sur l'analyse. Le divorce est bien plus grand entre les sociétés industrielles et des nouveaux consommateurs, les racines du mal plus profondes et il faudra plus qu'une simple loi — bancale — pour retisser du lien.

Un débat plus politique que culturel

L'économie du disque est l'une des premières, avec la presse, à avoir pris de plein fouet la révolution numérique. Ce qui peut expliquer les erreurs commises à l'époque. Ainsi lorsque Napster a déboulé, l'industrie s'est acharnée à faire fermer ce nouveau service à coups de procédures judiciaires. Au lieu d'imaginer comment adapter leurs modèles économiques à ces nouveaux usages. Même les grands patrons des Majors de l'époque reconnaissent aujourd'hui qu'ils auraient mieux fait de mettre leur argent dans la créativité plutôt que dans le juridique.

Cette tendance s'applique aussi à la France. Souvenez-vous de cette campagne du Syndicat national de l'édition phonographique de 2004 avec ce doigt d'honneur derrière des barreaux pour expliquer que télécharger illégalement pouvait conduire en prison. Mais plus largement, le débat a été placé dès le départ sur des bases politique et idéologique. Et que ce soit la loi DADVSI en 2005-2006 ou la loi Création et Internet d'aujourd'hui, il ne faut pas s'étonner si les discussions perdurent sur ce malentendu. Et qu'on n'arrive pas à sortir de l'hypocrisie et la mauvaise foi induites par l'affrontement idéologique entre les méchants capitalistes des Majors d'un côté et les gentils anarcho-téléchargeurs de l'autre. D'autant qu'en caractérisant ce week-end de «gus dans un garage» les membres de l'association La Quadrature du Net qui refuse ce texte de loi, l'Etat retombe dans les travers de la suffisance vis-à-vis des acteurs du net.

Pris à leur propre piège d'inflation consumériste

Majors et indépendants continuent d'avoir cette image d'ogre capitalistique, de nébuleuses tentaculaires qui s'intéressent plus au fric qu'à l'artistique. Or, il s'agit plutôt de PME, désormais obligées par la crise de se recentrer sur l'artistique. Ce qui n'est pas forcément un mal en soi. Mais il faudra du temps, des idées et de la bonne volonté de part et d'autre pour faire évoluer les mentalités.

Je reste persuadé que cette image négative a été amplifiée avec la révolution numérique, par un simple réflexe de survie des consommateurs. Consciemment ou inconsciemment, ils n'ont pas voulu racheter leur CDthèque en fichiers numériques. Parce que c'est ce que beaucoup d'entre eux avaient déjà fait en rachetant en CD leur discothèque. Et ils ont vu le coup venir : il leur faudrait repayer leur catalogue pour la troisième fois. Et c'est probablement ce que l'industrie du disque se préparait à faire: susciter une nouvelle fois la demande du consommateur pour revendre ce qu'elle avait déjà vendue. Cela avait marché une fois, il n'y avait pas de raisons que cela ne se reproduise pas. Sauf que la technologie est passée par là et que les internautes ont pu eux-mêmes numériser les titres et les mettre dans leur ordinateur et à disposition des autres sur des réseaux de partage.

Prenant les maisons de disques à leur propre piège de l'inflation consumériste. De fait, ce sont elles qui demandent à abolir les règles d'un jeu qu'elles ont suscité mais qu'elles ne maîtrisent plus.

Une législation n'évite pas les conneries

La loi n'empêchera pas les mêmes erreurs de se répéter. Il est navrant de voir que certains n'ont pas appris des errements de l'industrie du disque. Ainsi de grands groupes capitalistes à la tête de chaînes de télévision ont tout fait pour planter Wizzgo, un système de magnétoscope numérique qui permettait d'enregistrer les émissions sur les ordinateurs. Le réflexe juridique a une nouvelle fois primé sur celui de la créativité. Problème: les responsables ne proposent rien en échange d'aussi simple et peu cher, laissant la porte ouverte à l'arrivée de nouvelles solutions technologiques, tout aussi illégales.

Il n'y a guère que l'industrie du jeu vidéo qui prenne le problème avec une logique différente de celle à laquelle nous ont habitué le disque et le cinéma: elle poursuit les revendeurs, les grossistes, ceux qui gagnent de l'argent à contourner le système. Mais elle ne s'attaque jamais aux consommateurs, refusant d'entrer dans la schizophrénie qui consiste à s'en prendre à celui qui la fait vivre.

Internet, c'est plus que des bits dans des tuyaux
La loi «Création et Internet» remet sur le devant de la scène un vieil affrontement entre producteurs de contenus, producteurs de contenants (FAI, plateformes d'échanges, opérateurs mobiles...) et internautes. Avec au centre des flux économiques allant des uns aux autres. Mais du coup, on n'oublie qu'Internet s'est avant tout fondé sur des notions de partage, de gratuité et d'ouverture. Des notions absentes de ces débats formalistes.

Et pourtant, le web est perçu de plus en plus comme un besoin fondamental. Aujourd'hui, la vision «droitdelhommiste» de l'accès à Internet n'est pas le seul fait de quelques eurodéputés en mal de notoriété. Dans le très sérieux «Wired», Daniel Roth, en traçant le portrait du très haï patron de Comcast Brian Roberts, reprend cette thèse: «Internet est ressenti comme quelque chose d'essentiel, comme l'eau ou l'électricité, et les consommateurs commencent à penser la bande passante comme un droit constitutionnel».

Avec une loi comme Création et Internet, le système économique cherche à encadrer une forme d'émancipation aux systèmes d'échanges commerciaux actuels, à centraliser le web comme s'il s'agissait du minitel. C'est un peu comme si un ministère de la Chasteté avait voulu brider la révolution sexuelle de 1968. Bon courage.

Matthieu Josse

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La lutte contre la piraterie pour les nuls
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Image de une: Prise USB. Image CC FLickr

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