J’ai maintenant 36 ans, et me voilà entourée d’amies qui ont la trentaine, célibataires pour la plupart. Ces deux dernières années, j’ai été frappée de voir à quel point nombre d’entre elles songeaient à congeler leurs ovocytes. Ce n’est pas pour des raisons de carrière, mais de partenaire, qu’elles n’ont pas encore trouvé, ou qui se dérobe à leur souhait. Pour mes amies, comme pour un nombre de plus en plus important de femmes, la congélation d’ovocytes est une perspective rassurante au beau milieu d’un parcours de vie où l'incertitude domine.
Le Conseil d’État l'a bien compris: il vient tout juste de proposer un cadre à cette conservation, qu’il juge «indéniablement pertinente» vu «le contexte social qui voit l’âge de la première grossesse reculer». Certaines de mes proches se sont déjà renseignées, d’autres ont déjà entamé des démarches, mais la majeure partie garde en tête cette possibilité comme une sorte de solution ultime mais vague dans leur esprit, qu’elles actionneraient à la dernière minute, sans bien savoir quelles seraient alors les chances de grossesse que leur fourniraient les quelques ovocytes qu’elles récolteraient. C’est pour elles (et sans doute un peu pour moi aussi) que j’écris cet article. Et il va doucher les espoirs.
Très loin du 100% de réussite
L'autoconservation est légale en France depuis la loi relative à la bioéthique de 2011. La loi permet d’y avoir recours lorsque la fertilité risque d'être affectée par une pathologie ou un traitement médical (ce qui représente l’immense majorité des cas: 800 patientes y ont eu recours en 2015) ou dans le cadre du don d’ovocytes. Les femmes sans enfant qui acceptent de donner leurs précieuses gamètes peuvent, depuis un décret d’application de 2016, en conserver quelques-unes pour elles-mêmes, si elles en produisent plus de cinq par ponction. La loi est si récente en France qu’il n’existe pas encore de chiffres sur les chances de réussite de grossesse de ces femmes qui donnent à leur trentaine, et réutilisent ces œufs quelques années plus tard.
On connaît en revanche le taux des fécondations in vitro, qui sont donc faites à partir d’ovocytes congelés ou d’ovocytes frais, et ce chiffre est très loin du 100% de réussite. Une femme qui aura subi une ponction de ses ovocytes en dessous de 25 ans aura 27% de chances d’accoucher, selon l’Agence de biomédecine. Entre 35 et 37 ans, il tombe à moins de 20%, entre 38 et 39 ans, à 14,4%, et entre 40 et 42 ans, à 7,4%.
«L’utilisation d’embryons ou de gamètes congelées est associée à des chances de grossesse variant de 10% à 22% par tentative»
La littérature internationale donne une idée du taux de réussite pour les femmes qui ont utilisé des embryons congelés, et notamment la technique de la vitrification, mais ces données ne sont guère plus rassurantes. Après trois tentatives (pas une, mais trois), les chances d’être enceinte sont de 31,5% pour les femmes qui vitrifient leurs œufs à 25 ans, 25,9% à 30 ans, 19,3% à 35 ans, et 14,8% à 40 ans selon une étude de 2013, parue dans la revue Fertility and Sterility.
Une étude publiée en 2016 par la clinique espagnole Ivi, impliquée dans ce commerce, montrait un taux légèrement meilleur, mais pas très élevé non plus: seulement 22,9% des patientes âgées de plus de 36 ans ont pu donner naissance ainsi à un bébé à l'issue du transfert d'embryons obtenus par FIV à partir de leurs ovocytes décongelés.
«L’utilisation d’embryons ou de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes matures) congelées est associée à des chances de grossesse variant de 10% à 22% par tentative», indique l’Inserm.
Les techniques s’améliorent, mais les femmes sont-elles au courant qu’elles ne font pas des miracles? Savent-elles même suffisamment tôt que leurs chances de grossesse déclinent drastiquement après un certain âge?
Le processus médical est lourd
«Beaucoup de femmes ne savent pas qu’après 35 ans cela peut devenir difficile d’avoir un enfant, explique Françoise Merlet, médecin référent pour l’assistance médicale à la procréation (AMP) à l’Agence de la biomédecine. Il faut informer les femmes sur ce déclin de la fertilité. C’est complètement injuste mais il y a une horloge biologique. La fonction des ovaires décline à partir de 35 ans. Cela s’aggrave après 38 ans et 40 ans. C’est un leurre pour ces femmes de penser qu’elles auront de façon certaine un enfant avec quelques ovocytes conservés. Il ne faut pas penser que la fécondation in vitro est une méthode magique. Vous rajoutez à cela une étape de congélation ovocytaire… Cela ne peut pas être une garantie.»
Pourtant, parmi les femmes qui font un don d’ovocytes, certaines caressent l’espoir que la part des œufs qui va leur être mise de côté leur permettra un jour de faire un enfant, si elles ne trouvent pas d’ici là le bon compagnon. C’est le cas de Julie*, 35 ans, qui a «toujours voulu des enfants» et pensait «que les choses se feraient naturellement dans l'âge classique», en vain. Son désir de maternité inassouvi a commencé à l’angoisser à l’hiver 2016-2017, lorsque des publicités sur la congélation d’ovocytes ont assailli son fil Facebook.
Elle commence alors à se renseigner sur les possibilités à l’étranger, avant de se rendre compte que le coût est élevé, trop élevé pour elle, ce qui la forcerait à emprunter de l’argent, ce qu’elle ne souhaite pas. Lorsqu’une de ses amies lui parle du don d’ovocytes et de la possibilité d’en garder quelques-uns pour elle-même gratuitement, le déclic se fait. «C’était un geste qui devenait altruiste, et puisqu’il y avait un hôpital pas loin de chez moi qui le proposait, j’ai envoyé un mail et ils m’ont répondu immédiatement.»
Le processus médical est lourd. Julie a posé trois demi-journées de congé pour aller à tous les rendez-vous médicaux avant la ponction. Il faut ensuite se faire des piqûres, pendant douze jours. Julie a eu trois échographies de contrôle, avant la ponction elle-même, sous anesthésie générale. Elle a produit neuf ovules féconds, dont cinq sont pour le don. Mais Julie est plutôt chanceuse: à presque 35 ans, rares sont les femmes qui parviennent à donner plus de cinq ovocytes après une ponction. Et pourtant, avec quatre ovocytes gardés pour soi, les chances que ça débouche sur une naissance plus tard sont très faibles.
Un manque d'informations criant
«Un ovocyte congelé a 4% de chances de donner un enfant», estime le professeur Michaël Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction et préservation de la fertilité à l’hôpital Antoine-Béclère. À 36 ans, il faut au moins onze ovocytes pour avoir 30% de chances que cela fonctionne, détaille-t-il. Il faudrait donc produire une trentaine d’ovocytes pour avoir toutes les chances de son côté, mais ces chiffres ne sont jamais atteints, car le processus est long et lourd.
Tout en étant favorable à une ouverture légale de la conservation des ovocytes pour des raisons sociétales, Michaël Grynberg ne décolère pas contre ces cliniques à l’étranger qui promettent monts et merveilles aux patientes qui ne produisent que deux ou trois ovocytes par ponction. «On sait qu’il faut entre quinze et vingt ovocytes, mais pour certaines patientes, cela signifie alors trois ou quatre ponctions… Le problème c’est qu’entre 3.000 et 4.000 euros la tentative, si on leur disait qu'il en faut quatre, les femmes n’accepteraient jamais de signer pour 12.000 euros.»
«La réalité c’est qu’elles n’ont pas de mec ou que les mecs les prennent pour des connes»
Pour les médecins que nous avons interrogés, la clé réside dans une information claire et donnée suffisamment tôt. «Ce qu’on a en consultation c’est sans arrêt “je ne savais pas”. C’est pas possible d’avoir autant de femmes qui ne savent pas... Et les hommes je ne vous en parle même pas… On ne pourra pas forcément faire des miracles avec tout le monde, mais le but c’est que chacun fasse des choix avec le maximum d’infos. Une éducation globale des hommes et des femmes est nécessaire», plaide Michaël Grynberg, qui déplore le manque de solidarité de certains hommes: «Les femmes ne sont pas spécialement carriéristes… La réalité c’est qu’elles n’ont pas de mec ou que les mecs les prennent pour des connes, ils leur disent “on va attendre” puis se cassent car eux ne sont pas pressés…». «On dit toujours qu’il faut informer les femmes mais il y a aussi une part des hommes qui ont du mal à s’engager», abonde Françoise Merlet.
En attendant que la société change, les femmes s’achètent un espoir. Et un peu de confort mental. Comme Julie, pour laquelle ce don a eu une «importance psychologique énorme»: «J’avais besoin d’agir». Elle compte d’ailleurs bien remettre le couvert, puisque la loi autorise à donner deux fois. «Et si cela ne marche pas, je ne pourrai pas m'empêcher de me dire que quelque part j’aurais quand même donné la vie… Il y aura toujours cette possibilité qui semble romanesque.»
*Son prénom a été modifié.