La note à l’école fait régulièrement débat sous nos latitudes. D’un côté, on la condamne, car non seulement elle serait subjective, mais elle démotiverait les enfants, les humilierait et servirait des finalités telles que la préservation des élites ou le maintien d’un pouvoir de l’enseignant ou enseignante sur sa classe. De l’autre, on la plébiscite, arguant notamment qu’elle donnerait des messages clairs, participerait à encourager une émulation au travail et récompenserait les élèves qui le méritent.
Ces arguments, qu’ils soient représentatifs d’idées reçues ou issus de résultats de recherches, sont devenus des poncifs qu’il s’agit de dépasser. Ultime déclinaison de cet affrontement, se demander s’il faut garder ou remplacer la note à l’école par un système alternatif est aujourd’hui un faux problème.
Omniprésence des notes
Plus que jamais, on constate que la note existe. D’un point de vue sociétal d’abord: nous ne comptons plus les domaines dans lesquels nous sommes soit amenés à noter quelque chose ou quelqu’un, soit nous nous retrouvons la cible d’une note.
À ce niveau, citons notamment la Chine, qui travaille à la mise en place d’un système de notation de ses citoyennes et citoyens prévu pour être généralisé en 2020, ou les multiples exemples issus du monde du travail, qui racontent les dérives de la notation des employées et employés.
Ce qui frappe dans ces situations, ce n’est pas tant l’existence de la note que son mode de construction et son exploitation par les personnes qui évaluent: sur quels critères se base-t-elle? À quelles fins est-elle utilisée? Rien n’est moins clair.
Dans le monde de l’école, nous observons qu’un mouvement similaire est en œuvre. La note s'y généralise également, y compris dans les systèmes scolaires désignés comme exemplaires, à l’instar de la Finlande.
Ce n’est peut-être pas un hasard: de nombreuses études ont montré que les enseignantes et enseignants entretiennent avec la note une relation complexe, parfois paradoxale, où se côtoient méfiance et attachement. Dans ses recherches, Alain Dubus, maître de conférences en sciences de l'éducation, va même jusqu’à dire qu'«un enseignant qui ne noterait pas serait en danger de ne pas apparaître, y compris à ses propres yeux, comme un véritable enseignant, quelque chose comme un éléphant sans trompe ou un chien sans queue».
Remplacer la note dans l’école traditionnelle par un système alternatif est peu réaliste, voire illusoire. Nous observons que face à des codes de couleurs, des livrets de compétences ou à des appréciations verbales, les enseignants ont tendance, in fine, à fonctionner comme s’ils notaient (sur 6, 10 ou 20), en transformant leurs jugements ou appréciations en chiffres.
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Notation axée sur l'apprentissage
Le problème se situe à notre avis dans un autre espace, secret, intime, idiosyncratique: celui des pratiques de notation du personnel enseignant. Et il peut se résumer en une question: est-ce que supprimer les notes permettrait de rendre meilleures les évaluations?
Pour nous, la réponse est clairement non. Par exemple, les diverses tentatives vécues en Suisse romande depuis les années 1990 ont montré les limites –voire l’échec– d’un système qui remplacerait les chiffres par un autre symbole. En France, les débats engagés lors de la conférence nationale sur l’évaluation des élèves en 2014 n’ont pas encore permis d’aboutir à un consensus.
Et pourtant, une notation porteuse de sens existe. De nombreux travaux anglo-saxons menés dans ce champ depuis les années 1960 fournissent des outils, des modèles théoriques et des perspectives pragmatiques pour mieux orienter les pratiques d’évaluation notées vers davantage de cohérence.
Ils montrent qu’il est possible de noter des élèves en référence à l’enseignement qui leur a été dispensé, au regard d’objectifs et de contenus clairs, au travers d’épreuves faisant sens, à l’aide de critères transparents communiqués à l’avance, et en évitant de recourir à des barèmes standardisés déconnectés de l’apprentissage réalisé en classe. Là, la note s’accompagne de commentaires centrés sur les apprentissages, pour montrer ce qui est réussi et en voie d’approfondissement.
Des échelles descriptives précisent les niveaux attendus. L’élève reçoit une note en référence à des repères pédagogiques et non en comparaison des scores de ses camarades ou d’autres facteurs aléatoires.
Certes, un chiffre est toujours communiqué, mais la manière dont il est construit par l’enseignante ou l'enseignant est toute autre. À ces conditions, la note devient un outil pertinent –parmi d’autres– pour pronostiquer l’avenir scolaire des élèves.
Les travaux analysant de telles pratiques montrent que les biais connus de la note diminuent fortement. Les élèves comprennent mieux les règles, leur motivation est moins mise à mal. En ayant les moyens de comprendre leurs résultats, elles et ils les acceptent de manière plus claire, même en cas d’échec. Une partie des chercheurs et chercheuses, comme Susan Brookhart, plébiscitent une note qui peut améliorer l’apprentissage.
Réorientation du débat
Dans une telle perspective, le personnel enseignant doit considérer la notation comme faisant partie intégrante du processus évaluatif, et non comme une sanction en soi. Dès lors, c’est non seulement la note qui change de nature, mais tout le système d’enseignement-apprentissage-évaluation dans lequel elle s’inscrit: sa construction ne résulte plus de procédures mécanistes, mais devient une pratique d’une très grande complexité requérant des connaissances de haut niveau.
Or ce qui ressort de nombreuses études, par exemple celle de Connie M. Moss, et de nos propres recherches, c’est que la majorité des enseignantes et enseignants ne possèdent pas ces connaissances –et c’est là une source d’inquiétude. La faute à des dispositifs de formation initiale et continue qui ont des difficultés à prendre la mesure du problème et à des politiques qui renvoient de plus en plus la question de l’évaluation aux épreuves externes et aux directions d’établissement, pour lesquelles la note sert parfois avant tout à gérer les flux d’élèves.
Il y a urgence à réorienter le débat, en revisitant la formation du personnel enseignant sur ce sujet et en interrogeant les rapports ambigus qu’entretiennent souvent les lois et les pratiques dans les écoles. Et le travail est colossal.
S’il n’a pas lieu, le risque est grand de reproduire pour longtemps encore le clivage stérile des «pro» et des «anti» notes qu’ont provoqué les premiers travaux d’Edgeworth aux États-Unis en 1888 et de Piéron en France en 1922.
Nous devons maintenant être audacieux et nous poser de nouvelles questions: l’enjeu n’est ni plus ni moins de traiter différemment mais de manière plus pragmatique la question de l’égalité de traitement des élèves et de la lutte contre l’échec scolaire, toujours trop important dans une partie des États de l’OCDE. Il en va de la survie de toute société démocratique.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.