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Tour de France: se relaxer et se relâcher pour mieux pédaler

Temps de lecture : 5 min

De plus en plus de coureurs utilisent des méthodes issues de la médecine dite alternative.

La première étape du Tour de France 2018, entre Noirmoutier-en-l'ile et Fontenay-le Comte | Jeff Pachoud / AFP
La première étape du Tour de France 2018, entre Noirmoutier-en-l'ile et Fontenay-le Comte | Jeff Pachoud / AFP

Dans les téléphones de certains coureurs de l'équipe Fortuneo-Samsic, figurent en bonne place d'étonnants fichiers audios. La compile des tubes de l'été? Non. L'intégrale de la discographie de Johnny Hallyday? Non plus. «Ce sont des enregistrements personnalisés, comme le bruit d'une rivière ou le son de la mer, qui permettent de se relaxer», explique Jean-Jaques Menuet, le docteur et concepteur de ces fichiers. De plus en plus d'équipes professionnelles intègrent plus ou moins officiellement des méthodes issues de la médecine dite alternative. Sophrologie, techniques de relaxation, méditation, mentalisation de la performance, tant d'outils qui viennent aujourd'hui en aide à ceux qui rêvent de gagner une étape du Tour de France, voire même le maillot jaune.

Jusqu'au milieu des années 1980, le cyclisme est aussi une histoire de médecine alternative. La figure du médecin est alors absente. C'est au soigneur que les coureurs visant la victoire confient les principales responsabilités en dehors du vélo. C'est lui qui prépare les bidons de ravitaillement, lui le confident, parfois le masseur. Lui aussi qui s'occupe de la récupération. Or, le soigneur n'a souvent guère de compétences médicales. Dans les revues de l'époque, on retrouve divers conseils de récupération qui, aujourd'hui, feraient sourire: bains au vinaigre après les étapes, consommation de plantes...

«Des gains de performance autorisés»

À partir du milieu des années 1980, la figure du soigneur est progressivement supplantée par celle du médecin. Certaines des plus grandes performances deviennent médicalement planifiées, à l’image du record de l’heure de l’Italien Francesco Moser en 1984, supervisé par le professeur Conconi et secondé par le docteur Michele Ferrari, célèbre pour être devenu ensuite le conseiller de Lance Armstrong. La machine est lancée et il faudra attendre 1998 et l'affaire Festina pour que le premier scandale de dopage éclate. Si ce grand débalage n'arrête en rien la machine folle du dopage, il permet indirectement l'arrivée en force des ostéopathes et d'autres professionnels porteurs de nouvelles techniques. «Si aujourd'hui, les équipes font de la place à la médecine complémentaire, c'est qu'elles sont en recherche de gains de performance autorisés. C'est à mettre en parallèle avec ce mouvement sociétal de recherche du bien-être. Ce concept a aussi infusé le vélo», explique Pierre Carrey, fondateur du site DirectVélo et journaliste à Libération.

Romain Bardet et l'équipe AG2R La Mondiale | Jeff Pachoud / AFP

Selon nos informations, près de la moitié des équipes participant au Tour de France, intègrent des méthodes de récupération basées sur la relaxation et la sophrologie. Certains coureurs les utilisent de manière parfaitement individuelles et autonomes, d'autres équipes ont en leur sein un staff compétent en la matière. C'est le cas de l'équipe AG2R La Mondiale de la meilleure chance française, Romain Bardet. Sur la base du volontariat, la psychologue du sport Virginie Dalla Costa apporte ses techniques de relaxation et de sophrologie, avant et pendant la course. «Ces exercices vont agir au niveau central: sur le système parasympathique [responsable du ralentissement de la fréquence cardiaque et des sécrétions digestives, ndlr] et le système orthosympathique [prépare le corps humain à l'action, ndlr]. Les exercices auront alors un but de concentration pour se conditionner mentalement avant l'effort ou un but de récupération afin de resynthétiser du glycogène qui est l'énergie numéro 1 du sportif», précise Jean-Baptiste Quiclet, l'entraîneur de Romain Bardet, qui utilise parfois ces outils.

Des techniques avant, pendant et après la course

Le Tour de France est un contre contre-la-montre pour la récupération. Chaque moment libre peut alors être mis à profit. «Les coureurs peuvent optimiser chaque moment, notamment les massages, par de la relaxation», complète Edith Perreaut-Pierre, auteure de Sophrologie et performance sportive (1997).

«Il y a une recherche de bien-être psychologique qui rentre en compte. Mais surtout, on constate un effet au niveau physiologique»

Jean-Baptiste Quiclet, entraîneur de Romain Bardet

Pendant trois semaines, une vie de groupe s'installe et l'omniprésence des réseaux sociaux n'incite pas forcement au relâchement. «Le mode off pour récupérer mentalement et physiquement est de plus en plus difficile à activer. Un outil comme la sophrologie force à rester concentré entre trente et quarante minutes. Ce que je demande aussi, c'est de l'évasion mentale à travers un lieu qui m'inspire du repos, du bien-être et de la plénitude Quand on est à bloc, c'est souvent compliqué de trouver le sommeil», ajoute Amael Moinard, coureur de l'équipe Fortuneo-Samsic qui a aidé l'Australien Cadel Evans à remporter le Tour en 2011 chez BMC. Car l'enjeu est aussi là, dans un sport où les somnifères sont surconsommés, les équipes cherchent à trouver une alternative naturelle. «Il y a une recherche de bien-être psychologique qui rentre en compte. Mais surtout, on constate un effet au niveau physiologique: avec l'accumulation de la fatigue, utiliser ces techniques fait qu'au bout de trois semaines, il y a un gain sur l'enchaînement des épreuves», résume Jean-Baptiste Quiclet. Toute logique de confort implique donc, en réalité, une logique de performance.

Dans leurs chambres, les coureurs peuvent également travailler sur la cohérence cardiaque. À l'aide d'une application sur téléphone portable, il s'agit d'adapter la respiration au rythme cardiaque. «Par exemple, on fait une inspiration de trois secondes et on expire pendant sept secondes. On le fait avant le repas pour faciliter la digestion et ainsi avoir un meilleur sommeil», révèle un coureur d'une équipe française.

Une approche individualisée

Si le champ d'application de ces techniques est majoritairement conscrit au temps hors vélo, certains outils peuvent aussi être utilisés en course. Ainsi, Jean-Jacques Menuet, le médecin de l'équipe Fortuneo-Samsic de Warren Barguil, vainqueur de deux étapes et meilleur grimpeur l'an passé, préconise avant l’ascension d'un col une inspiration profonde suivie d'une expiration totale en deux temps à répéter trois fois. La première expiration vide 80% de l'air inspiré, le reste est expiré, en contractant la paroi abdominale. «La fréquence cardiaque baisse d'environ dix points si le coureur fait cet exercice trois fois de suite. Outre l'effet physiologique, il y a aussi un effet mental: se concentrer sur la respiration éloigne les facteurs de stress.» Des exercices de mentalisation et de respiration sont également recommandés aux abords des contre-la-montre. Cette année, le Tour de France en compte deux (un par équipes le 9 juillet et un individuel le 28 juillet).

«Je n'y croyais pas parce que je n'ai pas été éduqué comme ça. Je pense que ça peut être une bonne chose, mais c'est quelque chose à assimiler assez jeune»

Christophe Riblon, ancien coureur d'AG2R La Mondiale

L'utilisation de cette médecine «alternative» n'est toutefois pas généralisée dans les équipes, la curiosité et l'intérêt variant en fonction des personnalités. «Il n y a pas de techniques qui marchent pour tout le monde. C'est un apprentissage sur le long terme, ça ne s'improvise pas», prévient la médecin Édith Perreaut-Pierre. Ce sont donc des exercices «à la carte» qui sont proposés. «Je n'y croyais pas parce que je n'ai pas été éduqué comme ça. Je pense que ça peut être une bonne chose, mais c'est quelque chose à assimiler assez jeune», confirme Christophe Riblon, ancien coureur d'AG2R La Mondiale et vainqueur de deux étapes sur le Tour de France (2010, 2013). «Ça reste minoritaire, dans le peloton», abonde pour sa part Amael Moinard.

Derrière ces réticences, pointe une différence culturelle. «En France, le recours à la sophrologie ou à toutes autres choses qui touchent le mental est parfois perçu comme un signe de faiblesse, alors que chez les Anglo-Saxons, c'est une technique de préparation comme une autre», s'étonne Jean-Jacques Menuet. Illustration avec un directeur sportif : «Si derrière chaque athlète il doit y avoir un préparateur mental, un psy, un sophrologue... Est-ce qu'on ne fait pas en sorte de faire en sorte qu'ils y croient?»

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