Le média est le message. Ainsi, allant sur TF1 répondre directement à onze Français, Nicolas Sarkozy a voulu démontrer qu'il se préoccupait de «chacun d'entre eux», de «chacun d'entre nous», de la crise, des «vrais» problèmes. La forme imposait le fond: le président a déroulé posément, non sans pédagogie, un catalogue, une somme de réponses catégorielles. «Je travaille pour vous, mademoiselle chômeuse, pour vous monsieur chef de PME, pour vous madame infirmière, pour vous monsieur retraité, j'agis sur tous les fronts.» Une de ses phrases clés est «je n'accepte pas...» et donc je me bats.
L'exercice est évidemment impossible: le président de la République ne peut pas répondre vraiment directement aux problèmes de 64 millions de Français. Il est obligé de rester à un certain niveau de généralités. Dès lors, les onze semblaient naturellement déçus. Ont-ils été néanmoins convaincus par le «travail au quotidien» du président? Peut-être. Les sondages le diront.
Une politique confuse
Ce qui ressort est l'impression de catalogue. Quand on veut savoir où Nicolas Sarkozy conduit la France post-crise, dans quelle Europe, dans quel monde, la réponse est confuse. Depuis son arrivée, il a aligné des dizaines de réformes, des dizaines de lois, des dizaines d'initiatives, pour moderniser la France, pour l'adapter. Mais le sens général est resté confus et il l'est de plus en plus entre le libéralisme et le protectionnisme, entre le déficit et l'orthodoxie budgétaire, entre le Sarko-Fillon et le Sarko-Guaino.
L'hésitation idéologique
On l'a vu sur TF1. D'un côté, il annonce une nouvelle réforme des retraites, il défend le bouclier fiscal, il évoque la compétitivité et l'équilibre des comptes; de l'autre, il se lance dans une diatribe contre la stratégie de délocalisation de Renault, il expose qu'il faut que la taxe carbone soit une barrière élevée autour de l'Europe et affirme qu'il défend la «préférence communautaire».
L'hésitation idéologique est, certes, une marque de fabrique du gaullisme. Le Général était libéral et interventionniste, beaucoup des deux. Pompidou était de la même veine. Jacques Chirac avait fait du ni-ni (ni libéral, ni socialiste) la philosophie de son immobilisme. Mais c'est précisément là que devait porter la «rupture» sarkozienne. Or, il n'en est rien. Le sarkozysme reste un gaullisme.
Mais la crise a changé les proportions du mélange. Le laisser-aller budgétaire en est une première indication. Les attaques contre Renault et contre Bruxelles montrent que la balance penche de plus en plus en faveur du «protectionniste». L'idée que les voitures vendues en France doivent être produites en France, sous-traitance comprise, est extravagante. Les Allemands ont démontré qu'au contraire, l'envoi en Europe de l'est de fabrications coûteuses en main d'œuvre a non seulement fait du bien aux Tchèques et aux Polonais, mais a été bénéfique à VW, Mercedes et BMW qui ont pu abaisser leur prix et s'assurer leurs parts de marché.
Quand la France claudique, les autres courent
La crise nous révèle la vraie nature interventionniste-protectionniste du président. Au Premier ministre revient l'autre partie, celle des comptes et de la rigueur, en deuxième temps. Le grand emprunt, tordu par François Fillon, a été ramené à juste proportion (au regard de l'endettement) et à bon choix de secteurs (les universités et la recherche). En sera-t-il de même pour Renault et l'agriculture?
Ainsi va la France cahin-caha. On dira que c'est mieux que le chiraquisme. Bien entendu! Mais hélas, quand elle claudique, les autres courent. La Chine est devenue le premier pays pour les dépenses en recherches scientifiques. Le protectionnisme est défensif, il détourne de la dure réalité de la vitesse accélérée de la compétition mondiale. Se préoccuper des Français? Il faut leur apprendre à courir vite plutôt que de les cajoler à l'infirmerie.
Eric Le Boucher
Image de une: le général de Gaulle, via Flickr