«C'est quoi ce débat sur l'identité nationale avec le Front national qui dialogue avec le ministre de l'identité, ça ressemble si peu à la France» s'exclame Omar, un Sénégalais qui vient de voir des extraits du débat entre Eric Besson et Marine Le Pen. Son étonnement est représentatif de celui de beaucoup d'Africains qui ne comprennent pas pourquoi ce «débat» a pris pareille ampleur.
«L'identité, c'est fluctuant, à Dakar, nous sommes des Sénégaulois imprégnés tout à la fois de culture française et de culture africaine. Mes parents qui vivent à Paris sont aussi tout à la fois Français et Africains. Il est tout à fait possible d'avoir plusieurs identités... On a parfois l'impression que ce débat sert juste à trouver des boucs émissaires. A faire croire aux Français que tout ce qui va mal dans leur pays, c'est à cause des immigrés» s'exclame Hassan, un enseignant dakarois.
Ivoirité
Surtout en Afrique, ce débat n'est en rien considéré comme nouveau. «Cela nous rappelle furieusement ce qui s'est passé dans les années quatre-vingt dix à Abidjan avec le débat sur l'Ivoirité. Qui est vraiment ivoirien et qui ne l'est pas? Cela a conduit ce pays à la guerre civile. Evidemment, il n'en ira pas de même en France. L'issue sera moins dramatique. Mais c'est tout de même très inquiétant. Ce n'est jamais très bon signe quand on commence à chercher les ennemis de l'intérieur» analyse Djibril, un avocat d'Abidjan.
La crise ivoirienne rappelle de très mauvais souvenirs aux Africains francophones. Lorsque le débat sur l'ivoirité s'est développé dans les années quatre-vingt dix, la Côte d'Ivoire était le poumon économique de l'Afrique francophone. Près du quart de la population était d'origine étrangère. Un grand nombre d'étrangers, à commencer par les Burkinabé ont dû fuir le pays, lorsque les tensions ethniques, nationales et religieuses ont augmenté. Près d'un million d'entre eux sont retournés au Burkina Faso. Le plus souvent les mains vides. Ils avaient tout perdu.
Des Béninois et des Sénégalais, ainsi que des Libanais et des Français ont aussi fui le pays. En Afrique, d'autres tentatives pour revenir à une culture plus authentique ont eu des conséquences désastreuses. Dans les années soixante dix, Idi Amin Dada, le dictateur ougandais, a chassé du pays des milliers d'Ougandais d'origine indienne et pakistanaise.
Cette politique a eu des conséquences économiques désastreuses. «Lorsque l'on commence à faire la chasse aux étrangers, ce n'est jamais très bon signe, cela veut dire que la société est malade» diagnostique Serge, un commerçant sénégalais qui fait fréquemment la navette entre Paris et Dakar.
Refermer la boîte de Pandore
La France était une terre d'accueil pour des centaines de milliers d'Africains, alors l'inquiétude monte. «On ne sait pas où va s'arrêter ce débat. Une fois que la boîte de pandore est ouverte, il devient très difficile de la refermer surtout en période électorale» s'alarme Aïcha, une étudiante sénégalaise.
Même la presse africaine s'inquiète. «Le président Nicolas Sarkozy va jusqu'à ridiculiser la France en donnant à un ministre de la République le mandat de s'occuper de la fameuse identité nationale. Il ne suffit donc plus d'être Française ou Français de naissance ou d'adoption, il faut absolument répondre aux critères de la fameuse identité nationale tout aussi insaisissable que les larmes d'un crocodile. Ce n'est pas tant, dans le cas d'espèce, le fait d'apprendre la langue de Molière ou de justifier de quoi vivre - toutes choses qui ne font pas d'un homme un bon Français - qui posent problème, mais l'esprit qui sous- tend une telle volonté politique.» estime Le Bénin Aujourd'hui.
Cet hebdomadaire de Cotonou ajoute: «Comble d'ironie, sous nos tropiques et plus précisément en Côte d'Ivoire où la France prétend œuvrer pour une sortie de crise et un retour à la paix définitif, ce sont les mêmes causes d'identité nationale qui ont produit les années de guerre que le pays a traversées.»
Le devenir de la France
Les Africains n'ont pas seulement peur pour leurs compatriotes vivants en France. Certaines d'entre eux - les francophiles sont encore nombreux, notamment chez les plus âgés - s'inquiètent du devenir de la France.
L'écrivain Marcus Boni Teiga s'interroge: «C'est à croire que la France, la Grande France, a atteint son apogée. Et pour reprendre les propos d'Aimé Césaire, au lieu de trouver des solutions aux problèmes qu'elle se pose, elle ruse avec ses propres principes. Ce qui est, du reste, le propre des civilisations décadentes. Mais à y voir de près, il semble que ce soit les dirigeants français, eux-mêmes, qui sont vraiment en panne d'inspiration et d'idées nouvelles. Ce qui fait qu'ils se tournent vers l'Afrique pourtant décriée pour copier et coller des alchimies politiques.»
Sur le continent noir, l'image de la France ne sort pas grandie de ce débat à rallonge. «La patrie des Droits de l'homme fait de moins en moins rêver. Elle parait de plus en plus recroquevillée sur elle-même, estime Alain, un étudiant béninois. Maintenant, tout le monde rêve d'obtenir une «Green card» et d'aller étudier dans le pays de Barack Obama. Malgré la crise aux Etats-unis, c'est ce pays qui nous fait rêver. Et plus vraiment la le petite France obsédée par son identité».
Pierre Malet
Image de une: Reuters/Rafael Marchante Jet d'AirFrance "Patrouille de France" au-dessus du fleuve Bou Regreg, à Rabat, Maroc