Entre la fin des années 90 et aujourd'hui, la part de la population d'Amérique latine souffrant de la faim est passée de 14,7% à 5%. Un record mondial, rapporte dans une tribune d'El País le directeur de la communication de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), Enrique Yeves. L'Amérique latine est ainsi la première région du monde à tendre vers le premier des huit objectifs du millénaire pour le développement fixés en 2000 par les Nations Unies: «éliminer l'extrême pauvreté et la faim».
Comment cette région, qui comptait plus de 66 millions de personnes sous-nutries à la fin des années 90, a réussi à réduire de près de moitié ce nombre, et ce en moins de vingt ans? Pour Enrique Yeves, «le nouveau siècle a coïncidé avec un tournant radical en Amérique latine, qui s'est décidé dans les urnes». De Chávez au Vénézuéla à Pepe Mújica en Uruguay, en passant par Morales en Bolivie, Bachelet au Chili ou Kirchner en Argentine, tous les nouveaux dirigeant(e)s d'une grande partie des pays d'Amérique latine du début du 21e siècle ont adopté de «nouvelles politiques économiques et sociales, rompant avec l'école néo-conservatrice imposée par Washington qui avait dominé depuis les années 90».
Différents plans visant à lutter contre la faim ont ainsi été impulsés avec succès au Brésil, mais aussi en Bolivie, au Mexique, au Chili ou encore en Équateur et en Uruguay. En 2005, ces pays ainsi que leurs voisins ont même lancé «l'Initiative de l'Amérique latine et des Caraïbes libérées de la faim»; à travers ce programme, ils s'engagent à «contribuer à prendre les mesures nécessaires en vue de permettre l’éradication définitive de la faim d’ici 2025», définit la FAO.
Encore des efforts à accomplir
Mais la lutte est loin d'être terminée. Aujourd'hui, encore 34 millions de personnes souffrent de sous-nutrition en Amérique latine, et 27 millions se trouvent dans une situation d'extrême pauvreté. Et même si les grands pays d'Amérique du Sud ne comptent plus «que» 5% de leur population victimes de la faim, ce taux passe à 6,6% en Amérique centrale, et atteint près de 20% dans les Caraïbes. Les disparités intra-régionales restent donc encore très importantes. En outre, un nouveau défi est apparu ces dix dernières années: l'obésité. En effet, 22% des adultes de la région sont en surpoids. «Le défi n'est donc plus seulement d'alimenter suffisamment la population, mais aussi de l'alimenter correctement», alerte Enrique Yeves.
Des défis qui s'annoncent d'autant plus difficiles à atteindre que la conjoncture économique n'est plus aussi favorable qu'au début du siècle. Après près de dix ans de croissance dépassant les 4%, la récession guette, notamment au Brésil. En cause notamment: la baisse du prix des matières premières, ressource financière importante des pays latins.
Mais selon Yeves, les quinze dernières années ont montré qu'une «volonté politique au plus haut niveau» pouvait permettre de lutter contre la faim. À voir si cette volonté perdurera, et suffira.