Tout le monde aime Avatar, le dernier film de James Cameron. La critique est presque unanime sur les qualités visuelles indéniables de ce film de science-fiction en 3D. Quant au public, le plébiscite est mondial: Avatar a récolté 1.859 milliard de dollars de recettes dans le monde devenant ainsi le film le plus profitable de tous les temps, détrônant Titanic, également réalisé par James Cameron. Film le plus cher de l'histoire, premier long-métrage du XXIe siècle, objet de tous les superlatifs, Avatar séduit notamment par la morale écologique de son histoire. Mais en opposant la tribu Na'vi, gentils primitifs bleus en harmonie avec la nature de leur planète Pandora aux Terriens avides et sans scrupule, Cameron renforce les préjugés qui empêchent une prise en compte réaliste des enjeux de l'environnement.
L'histoire est désormais connue et il va devenir difficile de rencontrer une personne n'ayant pas vu Avatar. Sur la planète Pandora vit une tribu pacifique de géants humanoïdes, les Na'vis, qui coexiste avec une nature en apparence hostile. Sous leur territoire repose un minerai précieux pour les Terriens, ce qui va conduire une société d'exploitation minière à vouloir chasser les Na'vis afin de pouvoir exploiter le sous-sol. Dans un premier temps, les Terriens prétendent subventionner des recherches scientifiques afin d'en apprendre plus sur les Na'vis. En réalité, il s'agit d'obtenir des renseignements stratégiques pour une attaque meurtrière, prélude à une exploitation minière forcenée. L'arrivée d'un marine paraplégique, Jake Sully, va changer le rapport de forces entre Terriens surarmés et Na'vis équipés d'arc et de flèches. Sully va incarner un avatar, créature en apparence Na'vi mais piloté à distance par un humain, qui servira d'abord les forces armées terrienne, avant de tomber amoureux de la fille du chef de sa tribu adoptive et de se ranger du côté des indigènes. Le combat entre les deux nations tournera à l'avantage des autochtones grâce aux talents de combattant de Jake Sully, mais aussi grâce à ses étranges pouvoirs sur la faune et la flore locales qui lui permettent d'invoquer l'aide de toutes les créatures de la forêt.
Des Dieux sont tombés sur la tête à Naqoyqatsi
Avatar n'est pas le premier film possédant une fibre écologique. Sans remonter trop loin dans l'histoire du cinéma, on se souvient de La forêt d'émeraude de John Boorman qui, déjà en 1985, évoquait les ravages de la civilisation à l'encontre des populations de la forêt amazonienne. Avant lui, en 1980, un film avait créé l'événement: Les dieux sont tombés sur la tête. Ce long-métrage marquait durablement les esprits en prétendant montrer la rencontre entre deux cultures qui n'auraient jamais dû se connaître. Bien qu'il ait été montré à maintes reprises que la tribu Bushman décrite dans le film ne vivait plus de façon traditionnelle depuis longtemps, Les dieux sont tombés sur la tête reste un des films symbole d'une écologie politique qui prône la décroissance et la critique d'un progrès synonyme de pollution. Par la suite, on assiste à un regain d'expériences visuelles prônant cette tendance à marquer un temps d'arrêt dans une course technologique folle: le documentaire presque psychédélique Koyaanisqatsi en 1982 puis Powaqqatsi en 1988, suivi par le dernier opus de la trilogie Naqoyqatsi en 2002 sont peu connus du public, mais continuent de susciter un grand enthousiasme du côté des mouvements en faveur de la décroissance, voire de la fin du capitalisme.
Une vision binaire
Dans Avatar, les Na'vis sont de bons sauvages comme les imagine Montaigne lorsqu'il idéalise la vie des Indiens durant son XVIe siècle. Des penseurs plus contemporains lui ont emboîté le pas, comme l'anarcho-écologiste John Zerzan qui montre comme voie à suivre pour l'humanité les chasseurs-cueilleurs. Hautement idéologique, cette vision binaire du monde opposant les primitifs libres à une civilisation qui ne saurait qu'aliéner l'individu est évidemment fausse. Elle empêche toute réflexion sur l'avenir du monde, en particulier sur le développement durable en ce qu'elle oppose des forces en lutte permanente où chacune cherche à détruire l'autre. Or, l'écologie est affaire de tous et n'est ni l'apanage de sociétés faussement en harmonie en nature ou de pays développés pollueurs donneurs de leçons. Une biologiste du Pnud rapportait au sommet de Copenhague l'anecdote suivante: alors qu'elle travaillait au Bélize, les sociétés qu'elle accompagnait dans leur développement étaient par tradition nomades. Ayant bénéficié des dernières technologies en matière de santé et d'hygiène, chaque famille comprenait désormais 21 enfants en moyenne au lieu des 2 qui survivaient d'habitude. Leurs conditions de vie étant profondément modifiées, ces tribus isolées du Bélize n'avaient d'autre choix que de s'adapter. Bénéficiant de la technologie moderne, tout leur équilibre culturel était désormais menacé. Une question philosophique se posait alors: fallait-il laisser mourir les enfants des tribus primitives du Bélize faute de connaissances médicales suffisantes et donc les préserver dans une sorte de réserve naturelle en autarcie, ou au contraire les aider à passer certains caps technologiques? Il est regrettable que les tribus du Bélize soient désarticulées dans leur culture par d'autres plus modernes ou plus fortes. Mais, nulle société humaine ne peut prétendre être en dehors du monde et ne pas se préoccuper des choix de ses voisins.
Bonnes intentions et mauvais résultats
Avatar nuit-il à la notion d'environnement durable? Un seul film peut-il avoir une influence négative sur ce qu'il prétend dénoncer? On se souvient de quelques exemples récents où le message écologique n'a pas été reçu de manière adéquate ou pire, a été complètement inversé. Le Monde de Némo (2003) a déclenché une frénésie d'achat de poissons clown dans les animaleries alors même que le film dénonçait la captivité des espèces tropicales en aquariums. Du même studio, Pixar, Ratatouille a provoqué le même phénomène d'achats massifs de rats par de jeunes spectateurs espérant sans doute obtenir à peu de frais un cuisinier à domicile sympathique et parlant la langue des humains. Le message écologique est délicat à faire parvenir parce qu'il remet en cause nombre de croyances dans le progrès, mais aussi une certaine philosophie mettant l'être humain au centre de l'univers. Faut-il opposer bons et méchants pour sensibiliser à l'écologie et à l'avenir de la planète? Avatar fait perdurer cette vision simpliste du monde qui veut qu'on se rassure en se répétant qu'il existe toujours plus méchant que soi, et que ce sont les vilains avides de pétrole qui sont responsables, pas sa voiture qu'on n'utilise que le week-end et encore!
Le fardeau de l'homme blanc
Inutile de bouder son plaisir, Avatar est un film agréable qui a pour objectif premier de faire revenir les spectateurs dans les salles de cinéma, et il y réussit formidablement. La nouvelle stratégie de Hollywood pour contrer le piratage évite de culpabiliser ceux qui téléchargent illégalement, elle les invite à revenir dans les salles pour une expérience qu'ils ne peuvent avoir devant l'écran de leur PC. Le fait qu'Avatar ait des prétentions écologiques permet d'améliorer encore ses objectifs de profit. On ne saurait toutefois accuser James Cameron d'opportunisme concernant l'environnement: plongeur-cinéaste, il a toujours dénoncé la pollution croissante du monde dans ses films, et il s'en est fallu d'un cheveu que l'humanité ne soit éradiquée pour ses péchés écologiques dans Abyss. Mais si Cameron voulait vraiment faire un film en faveur du développement durable, il aurait fait se réconcilier Na'vis et Terriens, pas proposé une version space opera de Danse avec les loups. Avatar est une nouvelle version spatiale du fardeau de l'homme blanc, coupable de tous les maux et qui n'expiera même pas ses fautes dans un lointain futur confronté à des hommes bleus. Sauf s'ils sont sexy, comme la fille du chef.
Etienne Augé
Image de une: Avatar/DR.