Monde / Économie

Vers un «G6» sans les États-Unis

Temps de lecture : 5 min

Et dire que le président américain suggérait de réintégrer la Russie dans le groupe...

Donald Trump arrive en retard au petit-déjeuner de travail sur l'égalité des sexes pendant le sommet du G7 à La Malbaie, au Canada, le 9 juin 2018. | Ludovic Marin / POOL / AFP
Donald Trump arrive en retard au petit-déjeuner de travail sur l'égalité des sexes pendant le sommet du G7 à La Malbaie, au Canada, le 9 juin 2018. | Ludovic Marin / POOL / AFP

Réintégrer la Russie (suspendue en 2014) au groupe des pays démocratiques les plus puissants de la planète: telle fut la proposition de Donald Trump, vendredi 9 juin, en ouverture du G7. L’idée a vite été écartée par les autres chefs d’État du groupe. À la fin du week-end, la question centrale n’était plus «la Russie mérite-t-elle de retrouver sa place?» mais «les États-Unis méritent-ils encore la leur?».

Lorsqu’on l’écoute, Donald Trump dit s’entendre à merveille avec les gouvernements du groupe –relations auxquelles il décerne d’ailleurs la note de «dix sur dix». En réalité, il n’a pas fait mystère du mépris que lui inspire le G7. Ses collaborateurs et lui-même sont arrivés en retard aux réunions et sont systématiquement partis en avance. Son arrivée tardive à un petit-déjeuner de travail sur l’égalité des sexes a distrait l’assistance, gênant une intervenante en pleine prise de parole. Il aura au moins fait l’effort de venir en personne: lors du G20 de l’an dernier, il s’était fait remplacer par sa fille Ivanka pour une réunion du même ordre.

Les pays du «G6» vont devoir tenir les rênes de la gouvernance mondiale

Le New York Times raconte que, lors d’une réunion de vendredi, Trump «a fait le tour de la salle, citant les différentes manières dont chacun des pays assemblés avait causé du tort aux États-Unis». Mais tout cela n’était rien comparé au bouquet final: agacé par les commentaires quelque peu piquants de Justin Trudeau, Trump a annoncé (dans un tweet posté dans l’avion du retour) que les représentants des États-Unis ne signeraient pas le communiqué commun de compromis du G7, revenant ainsi sur sa parole. Pour le quotidien allemand Die Welt, le tweet de Trump a signé «l’arrêt de mort de la cohésion occidentale».


Ce sommet avait pour but de renforcer des relations distendues par plusieurs mois de conflits divers (entourant notamment le commerce, l’environnement et l’accord iranien), mais l’inverse s’est produit. Pour les États-Unis et leurs alliés, ce G7 sera marqué d’une pierre noire. «G19» de l’an dernier sur le changement climatique, nouvelle incarnation du partenariat trans-pacifique, vestiges de l’accord sur le nucléaire iranien... l’histoire se répète, et dans chacun de ces cas, les pays du «G6» que Trump a abandonnés au Canada seront bien obligés de tenir les rênes de la gouvernance mondiale, en laissant de côté le pays le plus riche et le plus puissant de la planète.

Une photo du G7 illustre parfaitement cette dynamique: on y voit Angela Merkel, Emmanuel Macron, Theresa May et Shinzo Abe toiser Donald Trump, exaspérés. Le président américain est assis de l’autre côté de la table, bras croisés, grognon, flanqué de son conseiller à la sécurité nationale John Bolton.

Donald Trump a peut-être pris la défense de la Russie pour des raisons douteuses, mais il n’a pas tout à fait tort: l’incarnation actuelle du G7 est quelque peu anachronique. Le groupe est une institution informelle, et non une organisation multilatérale comme l’Otan ou les Nations unies. Il a été fondé au milieu des années 1970 pour coordonner les efforts visant à résoudre certains problèmes économiques, tels que le choc pétrolier et l’inflation –ses attributions incluent désormais des questions politiques et de sécurité. Un groupe qui accueille l’Italie et le Canada sans accepter la Chine, l’Inde ou le Brésil peut-il toutefois se targuer de représenter les plus grandes puissances économiques de la planète?

Pour autant qu’il ait encore une raison d’être, ce sommet demeure toutefois celui des principaux pays «occidentaux» (au sens politique, et non géographique ou culturel du terme –le Japon en fait partie): c’est-à-dire des pays partageant un attachement commun à la démocratie, à l’économie de marché et à l’«ordre international fondé sur des règles». Le G7 est devenu le G8 en 1998, avec l’entrée de la Russie dans le groupe: les pays membres espéraient encourager l’intégration des Russes dans le monde occidental (et apaiser leurs inquiétudes quant à l’expansion de l’Otan en Europe de l’Est). L’autoritarisme grandissant de Vladimir Poutine a vite montré que ces espoirs étaient vains: la Russie a été suspendue du groupe en 2014, au lendemain de l’annexion de la Crimée. La popularité de Poutine repose désormais en grande partie sur sa propension à résister aux «pressions» et à «l’intimidation» de l’Occident.

À contresens

La posture de Poutine influence clairement celle de Trump, notamment lorsque ce dernier répète que les partenaires commerciaux des États-Unis les escroquent depuis des années, ou lorsqu’il affirme que les alliances internationales de sécurité ne présentent aucun avantage concret. Trump parle souvent des menaces qui planent sur «l’Occident» ou «notre civilisation» (immigration, terrorisme, etc.) –mais de toute évidence, il ne se considère pas comme un chef d’État «occidental», au sens que le G7 donne à ce terme. Trump se sent visiblement plus proche de dirigeants comme Xi Jinping et Abdel Fattah al-Sisi que de Trudeau et Merkel. Il parle d’ailleurs de ces premiers en des termes beaucoup plus élogieux.

Et ne parlons même pas de Poutine: Trump semble tout simplement incapable de le critiquer. Il en a encore fait la démonstration samedi dernier en évoquant la Crimée, en mettant l’annexion sur le dos de Barack Obama –au lieu de l’imputer au dirigeant qui l’a directement ordonnée.

Le président américain estime que les exécutions extrajudiciaires orchestrées par le pouvoir aux Philippines sont un modèle pour la lutte antidrogue, et que l’Arabie saoudite (violations des droits de l’homme, soutien à des groupes terroristes) est l’exemple à suivre dans la lutte contre le terrorisme. À l’heure où les plus grands pays industrialisés de la planète commencent à reconnaître l’urgence de la lutte contre le changement climatique, Trump veut voir les États-Unis battre en retraite sur ce front –il a séché les réunions consacrées à cette problématique lors du G7.

Sa politique commerciale est presque mercantile, et son incohérence pour le moins déroutante: il salue les politiques commerciales de la Chine (y compris celles qui désavantagent l’économie américaine) mais se montre intransigeant avec le Canada. Pour tout ce qui touche à l’immigration, il s’aligne sur l’extrême droite populiste européenne, comme l’a montré l’ambassadeur américain en Allemagne la semaine dernière. Quant à l’«ordre international fondé sur des règles», la délégation américaine serait allée jusqu’à refuser de voir apparaître cette formule sur le communiqué commun que Trump se disait prêt à signer (avant de revenir sur sa parole).

Si le G7 demeure un groupe fondé non pas sur le PIB, l’emplacement géographique ou la puissance militaire, mais sur l’attachement à certains principes fondamentaux, alors les États-Unis de Donald Trump ne semblent plus réellement y avoir leur place.

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