Quinze nouveaux films sortent ce mercredi 13 juin. Il voit également le retour de dix reprises, et non des moindres, d’Écrit sur du vent de Douglas Sirk à Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki, en passant par les très beaux films produits à l’enseigne Diagonale et signés Jean-Claude Guiguet, Marie-Claude Treilhou, Gérard Frot-Coutaz –découvrez Beau temps mais orageux en fin de journée, du bonheur!
Au milieu de cette offre comme si souvent absurdement pléthorique, il convient de distinguer un film qui n’a a priori rien pour attirer l’attention: pas de vedette au générique, pas de sujet polémique, pas de récompense dans un festival prestigieux.
Le troisième long métrage de Constantin Popescu s’inscrit clairement dans la lignée de ce nouveau cinéma roumain qui a conquis toute la visibilité qu’il mérite avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, Palme d’or à Cannes en 2007. Ce qu’il «fait», c’est-à-dire ce que le film donne à éprouver à ses spectateurs et spectatrices durant la projection, n’appartient pourtant qu’à lui.
Ravageur
Le titre désigne un phénomène naturel ravageur qui se produit en Amazonie. Mais ce qui se produit dans Pororoca n’est ni naturel, ni en Amazonie, juste ravageur.
Monsieur et madame ont deux enfants, un appartement, un travail, des amis, ce qu’il est convenu d’appeler une vie normale. Ils vivent dans une grande ville d’Europe –Bucarest en l’occurrence, même si ce pourrait être Munich, Manchester ou Milan.
Un jour au parc, la petite fille disparaît.
Centré sur le mari, interprété avec beaucoup de conviction par Bogdan Dumitrache, le film accompagne la désintégration d’un univers, à la fois réel et mental, suite à l'irruption dans le tissu du quotidien de cet événement aussi imprévisible qu'irrémédiable.
La vie «normale», avant que tout n'explose | Extrait de la bande-annonce de Pororoca, pas un jour ne passe / New Story
Le motif de la disparition est au cœur de ce qu’on appelle le cinéma moderne, L’Avventura de Michelangelo Antonioni en ayant fourni le prototype, et le film adresse un discret salut à cet auteur, notamment à Blow Up, mais d’une manière qui souligne tout autant ce qui l’en distingue.
Le ressort dramatique de la disparition trouve ici, aux confins du thriller, du film d’horreur et du drame psychologique, sa propre puissance d’émotion et de trouble. Plus qu'au scénario et à l'interprétation, il le doit à la mise en scène, qui s’inscrit dans le droit fil des propositions stylistiques du nouveau cinéma roumain (plans-séquences, caméra portée), mais en leur trouvant des usages inédits et parfaitement adaptés aux enjeux.
Enfermement mental et exploration de l'espace
En témoigne de manière presque trop évidente l’impressionnant plan unique de dix-sept minutes dans le parc, pendant lequel la petite fille disparaît. Mais ce sont surtout l’usage des plans fixes légèrement instables, du format Scope accueillant des espaces trop grands ou soulignant l'enfermement mental, et le travail sur une bande-son dépourvue de musique mais très riche en sonorités qui contribuent remarquablement à l’intensité constante du film.
Celui-ci trouve ainsi comment rendre sensible la manière dont les visages familiers, les lieux du quotidien, les objets usuels, la ville ou même le ciel sont comme contaminés par cet événement auquel des gens raisonnables et sensés essaient de faire face.
Une enquête obsessionnelle | Extrait de la bande-annonce de Pororoca, pas un jour ne passe / New Story
Pas spécialement originale en elle-même, la situation dramatique de départ –un être cher a disparu de manière inexpliquée, un homme le cherche– s’avère ici puissamment cinématographique, en s’appuyant non sur des rebondissements et révélations, mais sur la tension croissante entre deux mouvements opposés.
Pororoca est bâti simultanément sur un mouvement vers l’intérieur, à mesure que l’homme s’enferme dans son obsession et fait le vide autour de lui, et un mouvement vers l’extérieur, dans l’observation éperdue, maniaque du parc où il espère trouver, sinon sa fille, au moins un indice permettant de comprendre ce qui lui est arrivé, puis de la ville où circule un homme qui est peut-être son kidnappeur.
Épilogue extrême
Organisation de l’espace, composition des durées et des distances, agencements des lumières et des sons, présence des visages: grâce à la mise en scène, il se passe toujours quelque chose, et même souvent plusieurs choses à la fois, durant les deux heures et demie de Prororoca, quand bien même l’intrigue tient en quelques lignes –et ce jusqu’à la dernière partie, aussi extrême que non-programmée.
«Non-programmé» ne sigifie pas forcément imprévisible –l'imprévisible n'étant le plus souvent que la preuve de l'astuce des scénaristes. L'expression signifie que jusqu'au bout, plusieurs hypothèses restent ouvertes, que le film garde cette liberté, c'est-à-dire la laisse au personnage et au spectateur. Ce qui advient est à la fois logique –une des logiques possibles– et non asservi ni à une efficacité spectaculaire (pourtant la scène est spectaculaire), ni à une morale préétablie.
Incidemment, il se trouve que ce film fait écho à un autre, sorti peu avant sur les écrans français. Quiet People du croate Ognjen Svilicic est aussi un film venu d’un ancien pays de l’Est où un couple est confronté à une tragédie frappant son enfant.
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L’un comme l’autre se nourrissent de la matière du quotidien plutôt que d’artifices romanesques ou spectaculaires, mais sont pourtant complètement différents.
À partir de situations comparables, et avec une exigence de mise en scène de même ampleur, ils ne racontent pas du tout la même chose, ne mobilisent ni les mêmes moyens de narration et de représentation, ni la même gamme d’émotions.
C’est tout à leur honneur et, pourrait-on dire, à l’honneur du cinéma lui-même, de permettre, loin de l’immense majorité des produits formatés, cette variété et cette richesse, cette inquiétude et cette attention au monde et aux êtres qui le peuplent.