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Reconstruire Port-au-Prince en mieux

Temps de lecture : 6 min

La plupart des urbanistes, architectes et promoteurs immobiliers voient dans la destruction quasi totale de la plus grande ville haïtienne une opportunité.

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Trois jours après le tremblement de terre de magnitude 7 qui a totalement détruit l'un des pays les plus pauvres du monde, le président américain, Barack Obama, s'adressait directement au peuple haïtien pour l'assurer que les Etats-Unis «ne l'oublieraient pas et ne l'abandonneraient jamais» et la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, interrompait sa tournée dans le sud-est asiatique pour passer la fin de la semaine à Haïti où elle a déclaré en présence du président haïtien René Duval que «nous sommes avec vous aujourd'hui et nous le resterons demain et aussi longtemps qu'il le faudra». Presque deux semaines après la catastrophe qui a fait près de 200.000 morts et détruit la quasi-totalité des infrastructures du pays, l'urgence passe progressivement de la recherche des survivants à l'enterrement des morts et à l'indispensable reconstruction du pays.

Reconstruire est une chance

Celle-ci ne se fera pas en un jour. Les monuments les plus emblématiques comme la cathédrale ou le palais présidentiel se sont effondrés et on ne compte plus le nombre de logements, de magasins, de bureaux et d'églises détruits. Il faudra, avant de reconstruire, déblayer tous ces décombres et vérifier la solidité des immeubles restés debout.

La faiblesse de l'Etat —qui a été incapable de faire appliquer le code d'urbanisme et d'empêcher la déforestation des terres devenues incapables de freiner les inondations qui sont fréquentes à Haïti— aggrave encore la situation. Avant même le tremblement de terre du 12 janvier les deux tiers des immeubles de Port-au-Prince n'étaient pas fiables. Comme l'explique Diane Davis, professeur d'urbanisme au MIT qui travaille sur les reconstructions urbaines en Amérique latine à la suite de catastrophes naturelles: «La différence essentielle entre Haïti et New York après les attentats du 11 septembre, c'est l'instabilité politique qui rend quasiment impossible de prévoir un calendrier de reconstruction.»

La plupart des urbanistes, architectes et promoteurs immobiliers voient néanmoins dans la destruction quasi totale de la plus grande ville haïtienne une opportunité. Comme l'explique Matthew Petersen, directeur général du cabinet de conseil en développement durable Global Green, très impliqué dans la reconstruction de la Nouvelle-Orléans, «si dans trois ans, Haïti était moins vulnérable aux pannes d'électricité, aux crises sanitaires et aux catastrophes grâce à des immeubles antisismiques solides et écologiques, ce tremblement de terre aurait au moins eu un côté positif». Victoria Harris, PDG d'Article 25, un cabinet de conseil en architecture à but non lucratif dont le nom est une référence explicite à l'article de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU qui inclut le droit au logement, considère par ailleurs à propos de l'occasion qui se présente de construire une vraie ville moderne sur les ruines de l'ancienne, que «les nouveaux immeubles auront un impact sur les besoins, les désirs et les activités de la population. Nous devrons faire en sorte qu'ils répondent aux normes actuelles sur le plan technique, mais également qu'ils répondent aux besoins de la population».

Etre «mieux armé face aux aléas climatiques»

Haïti a la «chance» —si l'on peut dire— de pouvoir bénéficier des leçons des dernières catastrophes naturelles et du modèle de reconstruction qui commence à se dessiner à la suite du tsunami en Indonésie en 2004, des récents glissements de terrains en Colombie et des derniers tremblements de terre qui se sont produits au Mexique, en Chine et au Nicaragua —sans parler de Katrina à la Nouvelle-Orléans.

Alors que le quatrième anniversaire de Katrina approche, Barack Obama, son secrétaire d'Etat à la sécurité intérieure, Janet Napolitano, et le ministre du Logement et de l'urbanisme, Shaun Donovan, ont mis en place le Groupe de travail interministériel pour la reconstruction durable de la Nouvelle-Orléans avec pour mission, selon Fred Tamar, premier conseiller auprès de Shaun Donovan et responsable de ce groupe «d'étudier en relation étroite avec les autorités et les associations civiles et religieuses locales ce que l'Etat peut faire pour aider les populations sinistrées à effacer les traces de la catastrophe le plus complètement et le plus vite possible».

Le groupe de travail qui dépend directement de Melody Barnes, responsable de la politique intérieure américaine et doit déposer son rapport sur le bureau de Barack Obama le 1er avril au plus tard, n'a pas limité ses recherches aux catastrophes qui ont frappé les Etats-Unis, comme Katrina et Rita. C'est en effet du tremblement de terre de Kobé, au Japon —qui, comme Haïti est situé sur une faille géologique— dont il s'est essentiellement inspiré pour venir «en aide aux populations qui ont été victimes de catastrophes naturelles, explique Fred Tamar, nous sommes en train d'apprendre [...] qu'il est possible de reconstruire Haïti de telle manière que le pays soit mieux armé face aux aléas climatiques et naturels liés à sa situation géographique». Le vice-président américain, John Biden, a proposé lors de sa visite la semaine dernière à la Nouvelle-Orléans de déclarer un moratoire pour les villes du Golfe de Mexique qui ont été durement frappées par la catastrophe de 2005.

Recontruire mais quand?

C'est exactement le type de mesures qui permettrait d'aider à la reconstruction d'Haïti. Mais les mêmes pesanteurs administratives qui ont entravé le sauvetage de vies humaines à la Nouvelle-Orléans semblent se reproduire à Haïti. Si le département d'Etat américain, et notamment l'USAID, fournit jour et nuit de la nourriture, de l'eau et des secours et si le département de la Défense a envoyé 10 000 soldats américains pour participer à l'aide logistique et à la sécurité, le ministère du logement et de l'urbanisme doit attendre une demande en bonne et due forme pour intervenir. Denis McDonough, conseiller à la sécurité nationale de la Maison blanche qui s'est rendu en personne à Port-au-Prince a déclaré que «ce n'était pas à l'ordre du jour pour le moment».

Compte tenu du chaos qui règne actuellement à Haïti, ces atermoiements sont peut être compréhensibles, mais les urbanistes, eux, réfléchissent déjà aux moyens de reconstruire Port-au-Prince, en mieux! L'association «Architecture for Humanity» a commencé à lever des fonds pour des projets de reconstruction à long terme inspirés de leur programme «Rebuilding 101» à la Nouvelle Orléans et «Habitat for Humanity» sera bientôt sur place. Matthew Petersen de Global Green souhaiterait voir tout programme de reconstruction de la ville accompagné d'un programme de reforestation tandis que Diana Davis insiste sur le fait que les urbanistes devront également privilégier l'aspect social de la reconstruction: «C'est le moment ou jamais de repenser la ville dans son ensemble, la manière dont elle s'articule. L'essentiel est de ne pas se préoccuper uniquement des aspects techniques de la reconstruction mais également de la pauvreté d'Haïti.»

Comment investir dans la reconstruction?

L'argent risque d'être le principal problème pour un développement durable du pays. Si la Jolie-Pitt Foundation et de «nombreux people», de Wyclef Jean à Sandra Bullock, ont déjà fait de généreuses promesses de dons pour les secours d'urgence, les projets utopiques d'architecture dernier cri et de croissance verte de certains urbanistes risquent d'être au-dessus des moyens d'un pays complètement dépendant de l'aide internationale. Victoria Harris pense néanmoins que «bien que sur le plan émotionnel, j'imagine que la plupart des gens vont vouloir retrouver exactement ce qu'ils avaient avant, il est important qu'ils ne le reconstruisent pas d'aussi mauvaise qualité»

Yélé, le fonds caritatif de développement à but non lucratif de Wyclef Jean, qui a été critiqué depuis le tremblement de terre pour ses pratiques comptables passées, avait envisagé d'investir dans des projets futuristes conçus avant la catastrophe du 12 janvier. Il a lancé en partenariat avec la «Royal Institute for British Architecture» un concours d'architecture pour un projet de studio d'enregistrement et de centre culturel pour la Cité Soleil, le quartier le plus pauvre de Port-au-Prince. Selon John MaAslan, partenaire du cabinet d'architectes qui finance le concours, mon objectif est d'encourager les jeunes architectes du monde entier à concevoir des projets originaux sur le plan architectural et à contribuer ainsi à construire un avenir meilleur pour les jeunes de la Cité Soleil» (le concours n'a pas encore été suspendu).

Les immeubles d'habitation hyper modernes et bon marché conçus pour résister aux catastrophes construits dans le Lower Ninth Ward à la Nouvelle-Orléans dans le cadre du programme «Make it Right» bénéficient eux-aussi du soutien d'architectes renommés et de célébrités hollywoodienne comme Brad Pitt et Angelina Jolie. Ce qui n'empêche pas leurs occupants de trouver ces «logements Brad Pitt» trop prétentieux et mal répartis. Brad Pitt défend ce modèle comme pouvant être exporté et «fonctionner sous tous les climats, quelque soient les circonstances et le contexte culturel»

Le gouvernement d'Haïti devra définir les limites entre les contributions publiques et privées et arbitrer entre la volonté toujours plus grande de construire des infrastructures durables et anti-catastrophes et les besoins à court terme. Pour Diane Davis, «c'est l'occasion de repenser les problèmes de développement urbain et d'aménagement du territoire. Ce qui ne veut pas dire que les aspects techniques de la reconstruction n'ont pas d'importance, mais que ce n'est pas tout».

Dayo Olopade

Traduit de l'anglais par Francis Simon

Tous nos articles sur la situation en Haïti sont accessibles ici

Image de Une: vue d'un immeuble éffondré à Port-au-Prince. Hans Deryk/Reuters

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