Santé / Sports

La santé des boxeurs au tapis

Temps de lecture : 9 min

Dans un sport où le but est de mettre son adversaire au tapis, les risques sont lourds et les séquelles parfois irréversibles.

Finale du Championnat d’Ile-de-France de boxe anglaise amateur 2009. | beyrouth via Wikimedia Commons License by

De ses premiers punching-balls au CSM Puteaux à l’obtention de sa première licence amateur en 1996, Fabrice Wanner a tout connu dans la boxe anglaise ou presque. Le goût de la victoire –dix-neuf au total– et les titres régionaux, mais aussi quatre défaites, les coups dans la tempe et les blessures. Après vingt ans de ring, Fabrice a un carnet de santé bien rempli. Dents cassées, arcades ouvertes, luxations du pouce. Aujourd’hui, son corps de quadragénaire porte les stigmates de son passé de boxeur. Au volant de son camion, le désormais chauffeur montre son épaule grinçante. «C’est à force de taper dans les sacs à l'entraînement. J’ai aujourd’hui de l’arthrose aux épaules, une maladie dont souffrent habituellement les personnes âgées.»

En boxe anglaise, le combattant utilise ses poings pour frapper son adversaire au visage et au buste. Mais comment minimiser sa puissance quand le but du combat est de mettre son adversaire KO?

L’ordre des médecins vs les médecins du sport

Les pros bénéficient d’une surveillance médicale musclée. Les IRM et scanners du cerveau sont fréquents mais chez les amateurs, le chantier est encore vaste. Pour boxer, ils n’ont besoin que d’une visite chez l’ophtalmologiste et du fameux «certificat médical de non contre-indication à la pratique de la boxe» –comme le mentionne la Fédération française de boxe– dispensé par le généraliste, mais souvent de façon négligée.

«Les médecins ne savent pas à quel point ils engagent leur responsabilité, s’insurge Jean-Louis Llouquet, ancien médecin de l’équipe de France et médecin fédéral du comité Occitanie. C’est un certificat très important et pourtant, les généralistes le délivrent trop facilement.»

En France, une commission médicale fédérale composée de sept membres est chargée de développer la politique sanitaire pour prévenir les accidents. «Notre rôle, c’est de mettre au point des protocoles, des interdits, des vérifications, explique Maryannick Machard, médecin fédérale nationale. L’un des grands dangers de la boxe par exemple, c’est le décollement de rétine. C’est pour cela qu’on refuse tout boxeur atteint d’une myopie supérieure à -3,5.»

Depuis plusieurs années, cette commission demande à l’ordre des médecins de prendre cette visite chez l'ophtalmo davantage au sérieux. Mais les progrès se font toujours attendre. «Quand on leur demande de faire des examens poussés, notamment en ophtalmologie, l’ordre des médecins nous reproche d’être trop précis. Il nous répond même qu’un compte-rendu trop détaillé entraînerait une violation du secret médical, sous prétexte que le document passerait entre les mains des entraîneurs, des secrétaires... Ça ne tient pas debout!» s’agace Jean-Louis Llouquet.

«Les internes ne veulent pas aller soigner des gars qui se prennent des coups de poing sur un ring.»

Les boxeurs eux-mêmes tapent du poing contre le manque de contrôle médical au niveau amateur. «Le médecin, il te fait un test banal comme il le ferait pour n’importe quel sport: trois flexions, une prise de pouls et c’est bon tu peux aller boxer, raconte le boxeur quarantenaire abîmé. Ces imbéciles peuvent même te faire combattre avec une tumeur! J’avais un ami qui prenait des coups faibles et qui tombait direct. Après examen, on lui a décelé une tumeur dans la nuque. On devrait avoir les mêmes tests que les pros.»

Les jours de combat, un autre médecin dit «de ring» s’assure de la santé du boxeur. Il doit informer le Samu de la tenue de la compétition, procéder à la visite médicale d’avant-match, et diriger les opérations en cas d’accident. Problème: ces médecins se font de plus en plus rares. «On tente de démarcher des internes dans les hôpitaux mais souvent, ils ne connaissent rien à la boxe et ne veulent pas aller soigner des gars qui se prennent des coups de poing sur un ring. Parfois, on doit composer avec des médecins qui n’ont pas les compétences ou les formations suffisantes», s’alarme Jean-Louis Llouquet.

Tricher pour boxer

En plus des généralistes négligents et du manque de médecins sur le ring, la commission médicale fédérale doit lutter contre les combattants qui trichent sur leur suivi médical pour être déclarés aptes au combat. Certains vont même jusqu’à se mettre en danger pour pouvoir boxer. Jean-Louis Llouquet raconte:

«Il y a quelques années, je reçois une lettre anonyme de quelqu’un qui m’écrit “Docteur, vous êtes un assassin: vous faîtes boxer un aveugle!”. Je regarde le dossier du boxeur en question, contacte le médecin qui l’a examiné et je vois que tout est en règle. Puis je reçois une deuxième lettre avec cette fois, un compte-rendu opératoire de cataracte concernant ce même sportif, document qui normalement interdit toute pratique de la boxe». Il rappelle alors le médecin, qui lui assure que la personne qu’il a examinée n’a jamais été opérée de cataracte. «Les lettres étaient envoyées par la femme du boxeur. En menant l’enquête, on s’est rendu compte que cet homme envoyait un sujet sain se faire examiner à sa place.»

Des exemples comme celui-ci, Jean-Louis Llouquet en a tout a tout un tas. Cela fait plusieurs années qu’il réclame à l’ordre des médecins de procéder à des vérifications plus poussées au moment d'ausculter les patients. «Aucun engagement n’a été pris», regrette le médecin qui se dit «dépourvu de moyens» pour empêcher les combattants de tricher sur leur identité. Certains vont donc se rendre sur le ring au péril de leur vie, avec des pathologies qui devraient leur interdire toute pratique de la boxe (hépatite B, VIH, graves problèmes de vision).

Couvrez ce KO que je ne saurais voir

Autre zone sensible qui intéresse la commission médicale: le cerveau. «La répétition des coups sur la tête provoque des hémorragies qui attaquent les micro-artères du cerveau. Cela peut entraîner des complication neurologiques ainsi que des pathologies cérébrales, qui n’apparaissent pas tout de suite, mais sur le long terme», prévient le Dr Tarif Masri Zada, neurologue à la clinique du sport de la Pitié-Salpêtrière de Paris. L’exemple de Mohamed Ali, considéré comme le plus grand boxeur de tous les temps, et qui a succombé au syndrome de Parkinson en juin 2016 après avoir lutté contre la maladie durant trente-deux ans, reste dans la tête de tous les boxeurs.

«Les séquelles peuvent être irréversibles, confirme Fabrice Wanner, qui a préféré arrêter sa carrière à 26 ans, pour ne pas disputer le combat de trop. Lorsque tu prends un KO (Knock Out) avec black-out total, le liquide rachidien ne retient pas le cerveau qui tape sur la boîte crânienne. C’est là que tu peux subir des pertes de mémoire ou des tremblements.»

«Les coachs n’ont pas envie que leur boxeur déclare forfait. Je connais un poids lourd qui a fini KO à l'entraînement le lundi et pris une correction le vendredi.»

Pourtant, depuis 2014, la Fédération autorise les boxeurs amateurs ayant disputé plus de cinq combats à enlever leur casque de protection. Les pros, eux, ne le portent pas du tout. Ce non-port du casque augmente le spectacle, les probabilités de KO, mais aussi les commotions cérébrales.

Pour prévenir les risques de commotions, un protocole ultra précis a été mis en place. En cas d'arrêt prématuré de la rencontre, les blessures sont scrupuleusement répertoriées: Pour un KO survenu en match, le boxeur doit observer un mois de repos obligatoire. Pour deux KO en moins de trois mois, l’arrêt est de quatre-vingt-dix jours et de un an en cas de troisième KO. Restent les KO lors des entraînements, les grands oubliés. «C’est de la faute des entraîneurs, déclare Elisabeth Alonso, l’une des vingt CTN (Conseillers techniques nationaux) en charge du sport-santé au sein du comité régional Ile-de-France. Le règlement spécifie bien que ce sont des délais valables aussi bien à l'entraînement qu’en match. Mais les coachs n’ont pas envie que leur boxeur déclare forfait. Je connais un poids lourd qui a fini KO à l'entraînement le lundi et pris une correction le vendredi. Il y a eu des accidents graves à cause de ça», déplore celle qui est également directrice d’un club parisien.

Pour ne rien arranger, certains combattants pratiquent différents styles de boxe, régis par différentes fédérations, qui ne répertorient pas forcément la date des combats ni les blessures reçues. «C’est vraiment difficile à suivre sur le plan médical, concède Jean-Louis Llouquet. J’ai déjà vu des gars se prendre des KO en boxe anglaise et aller combattre en boxe thaï deux semaines après. C’est pour ça que nous luttons depuis des années pour créer un passeport commun à tous les sports de combats. Malheureusement, toutes les fédérations ne jouent pas le jeu.»

La responsabilité des entraîneurs en jeu

Pour Jean-Louis Llouquet, la personne qui est la mieux placée pour protéger le boxeur, c’est l'entraîneur. «C’est lui qui assure sa sécurité au quotidien lors des entraînements et c’est aussi lui qui lui parle dans le coin au moment du combat, donc il voit exactement l’état de son boxeur et la gravité éventuelle des blessures.» Pour l’ex-médecin des Bleus, les entraîneurs sont généralement conscients de leur rôle et empêchent leurs combattants de jouer avec les facteurs de risque. Mais tous n’adoptent pas la bonne attitude.

Dans une salle de boxe, l'entraîneur est roi. C’est lui qui décide des exercices, de l’intensité des coups et de l’équipement de ses poulains. Patrice Wanner en a connu certains qui n’hésitaient pas à pousser leurs combattants le plus loin possible. «Mon entraîneur me disait toujours: “Pour faire la guerre en match, il faut que l'entraînement soit encore plus dur”. Je pouvais m’ouvrir une arcade ou me fêler une côte, il me laissait combattre. Avec du recul, je trouve cela irresponsable.»

Pour Steed Bassouamina, entraîneur bénévole de boxe amateur depuis 2013 à Rueil Malmaison (Hauts-de-Seine), le problème réside dans l’absence de formation des entraîneurs sur la sécurité des pratiquants. Lui a obtenu son brevet européen de premiers secours en 2013 –document obligatoire pour passer le diplôme d'entraîneur– mais à aucun moment de la formation, il n’a été sensibilisé à l’aspect sécurité. «La formation est axée sur la technique et la stratégie. Si je suis confronté à un problème lors de l'entraînement, il faut que je me rappelle de ce que j’ai appris il y a cinq ans. Le système européen n’oblige pas à renouveler le diplôme. On peut oublier ses acquis», déclare le Francilien.

«Quand quelqu’un pense qu’il n’a plus rien à apprendre, c’est là qu’il devient dangereux.»

De plus, aucun contrôle inopiné n’est effectué dans les salles. Ils ne sont donc jamais sanctionnés par les instances fédérales. Dans les 800 clubs français de boxe, les règles élémentaires de protection (protège-dents, casques, gants) sont appliquées selon le bon vouloir de l'entraîneur.

Diplômés à vie, certains profitent de l’impunité des instances, dans un sport qui n’a pourtant cessé d'évoluer en matière de technique et de matériel. Elisabeth Alonso préconise des remises à niveau pour que les anciens soient plus au fait des réalités de la boxe moderne. «Un entraîneur qui a eu son diplôme il y a vingt ans est une aberration. Il doit refaire des stages, se mettre à jour sur la préparation physique. C’est un métier où il faut se remettre en question et se documenter», souligne la CTN.

Même son de cloche pour les arbitres, qui peuvent officier jusqu'à 70 ans et qui n’ont pas forcément assimilé toutes les évolutions de leur sport. «Je vais mettre en place une formation des juges arbitres par un médecin spécialisé dans les traumatismes crâniens pour qu’ils sachent les repérer avant qu’il soit trop tard», annonce Michel Corbière, président de la commission nationale des arbitres depuis 2013. Quelques gestes simples, comme bien regarder les yeux des boxeurs et leur demander de marcher pour vérifier leur aptitude à reprendre le combat, pourraient éviter de rares mais graves accidents. «J’insiste sur la formation et la réactualisation des connaissances. Les arbitres qui ont obtenu leur diplôme il y a longtemps vivent sur d’anciennes notions. Quand quelqu’un pense qu’il n’a plus rien à apprendre, c’est là qu’il devient dangereux», ajoute l’Alençonnais.

Pour mieux protéger les boxeurs, la marge de manœuvre est encore grande. Généraliste, médecin de ring, entraîneur, arbitre... Tous ces acteurs peuvent contribuer à améliorer la sécurité du combattant, qu’il soit amateur ou professionnel. Pour rendre la pratique du noble art plus sûre, mais pas moins spectaculaire.

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