Pourquoi donc aller visiter un endroit réel où des événements fictionnels se sont déroulés? Est-ce que nous connaissons mieux Anne Shirley si nous voyons la ferme Green Gables de nos propres yeux? L'immeuble qui se trouve aujourd'hui au 221B Baker St. nous dit-il quelque chose du personnage de Sherlock Holmes? La réponse est évidente: bien sûr que non. Si la fiction occupe l'espace de l'imagination, ces lieux sont d'abord authentiques dans l'esprit des écrivains qui en parlèrent, et puis dans l'esprit des lecteurs qui en gardent le vivant souvenir. La maison aux pignons verts et l'appartement lui-même, sur l'Ile du Prince Edouard et à Londres, ne sont que des coquilles. Penser qu'ils ont une signification plus grande est une tragique faiblesse de l'esprit.
Cliquez ici pour un tour en diaporama de maisons littéraires.
Le soi-disant «tourisme littéraire» est réprouvé par les spécialistes. Comme Randy Malamud l'explique dans un article du mois de mai du Chronicle of Higher Education qui est finalement assez compatissant, «le tourisme littéraire, une mise en relation avec les textes au-delà des territoires d'influence traditionnelle des professeurs (la salle de classe, les archives, la monographie), menace le professorat dès lors que les forces du marché viennent empiéter sur nos considérations critiques les plus pointues». C'est-à-dire que l'entreprise parfois profitable (mais pas toujours fidèle d'un point de vue historique) qui consiste à attirer des touristes sur des sites littéraires transforme en vacances agréables le travail sérieux des chercheurs et salit les commentaires culturels sophistiqués par des incitations du genre achetez les poupées représentant Jo March.
Alors salissons-nous. De toute façon, la plupart d'entre nous ne peuvent s'empêcher de mêler leurs expériences littéraires avec celles du monde réel: nous admettons l'authenticité des lieux décrits, et cela fait partie de leur intérêt. Il n'y a que de véritables sans-cœur qui ne voient pas l'intérêt de faire une sorte de pèlerinage laïque sur les lieux que nous avons chéris dans les textes.
Ce phénomène est encore plus fort pour les histoires que nous avons lues -ou qu'on nous a lues- pendant notre enfance. C'est ce qui m'a poussé l'automne dernier à m'embarquer pour une virée sur la route des maisons d'enfance de plusieurs de mes héroïnes littéraires américaines préférées. L'expérience était parfois envoûtante, parfois décevante. Quand je suis entrée dans une réplique de la cabane du Wisconsin que Laura Ingalls Wilder a immortalisée dans La petite maison dans les grands bois [le premier livre de la série La petite maison dans la prairie], par exemple, elle m'a semblée enchantée, mais aussi vide -il manquait le feu et les biscuits et le ronronnement du violon de Papa. Mais j'ai aussi de bonnes nouvelles! Vous pouvez voir le violon de Papa à Mansfield dans le Missouri, monté sur le mur de la dernière maison de Laura, qui est ouverte aux visiteurs toute l'année. Il ne fait plus beaucoup de musique, mais il y a quelque chose de magique à simplement le regarder. Et après tout, la musique est dans les livres.
Où vécurent les sœurs March
Louisa May Alcott vécut avec ses parents et ses trois soeurs à Orchard House, à Concord dans le Massachusetts entre l'âge de 25 et 45 ans. L'action de son roman le plus célèbre, Little Women ou Les quatre filles du Docteur March, se situe dans cette grande maison, ce qui veut dire qu'elle est aussi la «maison» de l'héroïne Jo March. Alcott écrit le roman dans sa chambre, assise à un bureau en forme de demi-lune construit à la main -ce sont ses fenêtres en haut à droite. Chaque année, plus de 50.000 personnes visitent la maison, qui est entretenue par l'Association pour la Mémoire de Louisa May Alcott.
La maison d'enfance de Louisa May Alcott
The Wayside, une des maisons d'enfance d'Alcott -parmi d'autres comme une ferme agricole et un appartement dans un sous-sol à Boston- est située juste à côté d'Orchard House et est entretenue par le Service des Parcs Nationaux. On dit que c'est ici qu'Alcott mit en scène la production élaborée de Roderigo, détaillée dans le Chapitre 2. Après le déménagement de la famille Alcott, the Wayside devint la maison de Nathaniel Hawthorne et, des décennies plus tard, de Harriett Lothrop, qui y écrivit la série des Five Little Peppers sous le pseudonyme de Margaret Sidney.
La Petite Maison «Wayside»
Cette réplique de sa cabane se trouve à environ sept miles à l'extérieur de Pepin, dans le Wisconsin, sur le site où naquit Laura Ingalls Wilder en 1867. On trouve dans la ville de Pepin un musée quelque peu délabré sur Laura Ingalls Wilder. (Le musée qui se trouve dans la dernière maison de Wilder à Mansfield, Missouri donne une vision plus claire de sa vie.) Ce qui est le plus réjouissant, c'est la Petite Maison «Wayside». Le site est un parc tout simple au milieu des fermes, avec une reproduction de la «petite maison dans les grands bois» elle-même. Les touristes viennent en voiture et font une visite libre du site.
Un wagon près du site de la ferme pionnière d'Ingalls
DeSmet, dans le Dakota du Sud, avec ses 1.051 habitants, est un village dont l'industrie première est Laura Ingalls Wilder. L'esthétique rappelant l'environnement pionnier de la fin du XIXe siècle domine la ville jusqu'au site de la ferme Ingalls, où cette photo a été prise. Six des livres de Wilder, dont Un Hiver sans fin, se passent à DeSmet, qui fut son village de résidence et celui de sa famille à plusieurs reprises dans les années 1880 et 1890. Les touristes peuvent aussi se rendre à Surveyor's House, l'original de la maison construite par «Papa Ingalls» en ville, et à un cimetière où l'on trouve les tombes de quelques membres de sa famille.
L'école de Laura Ingalls Wilder
Cette école à DeSmet fut celle de Laura et de sa soeur Carrie quand elles étaient jeunes. L'intérieur est maintenant en rénovation grâce à l'Association pour la mémoire de Laura Ingalls Wilder, une association vieille de 53 ans qui a acheté plusieurs immeubles à DeSmet au fil des années. L'école, construite au début des années 1880, fut transportée dans le village en 2007 pour être placée sur les terres de l'association, et sa restauration -dont l'enlèvement du papier peint et la préservation de l'ardoise originale avec des marques- est en cours.
La Maison de Caddie Woodlawn
Downsville, dans le Wisconsin, fut le village de résidence d'un garçon raté du nom de Caroline Watkins au début du XIXe siècle. En 1936, la petite-fille de Caroline, Carol Ryrie Brink, l'immortalisa dans le livre Caddie Woodlawn. La maison d'enfance de Caroline fut déplacée en 1970 à 300 mètres de son site original. Sa lente restauration est aux mains de la Société Historique de Dunn County et d'un groupe de volontaires locaux, dont deux hommes -un charpentier et un entrepreneur- qui font les travaux dans le cadre d'une mission de service public.
Où Betsy et Tacy jouèrent
Voici la maison d'enfance à Mankato, dans le Minnesota, de l'écrivain Maud Hart Lovelace et aussi la maison de Betsy, l'héroïne de la série Betsy et Tacy. Publiés dans les années 1940 et 1950, les livres racontent les aventures des deux copines à la fin du siècle. La maison est entretenue par la Société Betsy-Tacy, une association très active si l'on considère l'obscurité relative des livres. Cela va peut être changer: Harper Collins vient de rééditer les six derniers livres de la série avec des avant-propos signés Meg Cabot et Anna Quindlen.
Le Piano de Betsy
La société Betsy-Tacy a fait d'importants travaux de restauration de la maison, qui fut construite en 1892. Actuellement, des rénovations majeures sont en attente, étant donné le contexte économique. Pendant ce temps, l'association forte de 1.200 membres se concentre sur la collection de meubles et d'artéfacts pour transformer le rez-de-chaussée de la maison de Betsy, dont le salon, ci-dessus, en musée.
Ramona la Peste
En général, les grandes villes font moins de battage autour de leurs héros littéraires que les petits villages. Ramona Quimby, l'héroïne favorite de Beverly Cleary, a grandi dans les années 1950 à Portland, mais il est plus difficile dans la Portland contemporaine qu'à Pepin, par exemple, de trouver les lieux de prédilection de son personnage. Cette statue de Ramona sautant dans une flaque -une scène de Ramona la Peste- se trouve près du Jardin de Sculptures Beverly Cleary à Grant Park, à quatre pâtés de maison de la rue où Cleary situa la maison de Ramona. Un bronze de Henry Huggins et de Ribsy, le chien, se trouve à quelques pas.
La rue de Ramona
Ramona vécut dans une maison à toit rouge louée sur la rue Klickitat. Elle se trouve entre les 32e et 33e avenues -le pâté de maisons de Ramona, selon une carte consultable sur le site Web de Cleary. Cleary grandit un peu plus loin sur la 37e avenue, mais elle mit la maison de Ramona sur Klickitat parce qu'elle aimait la sonorité du mot. La situation exacte de la maison de Ramona fait l'objet de controverse: dans un des livres, il est dit qu'elle vit au coin de Klickitat et de la 28e Avenue, mais en réalité, une école s'y trouve. Parfois le site «réel» reste hors de portée.
Ruth Graham.
Traduit par Holly Pouquet
Image de une: Les Quatre Filles du Docteur March, Columbia Pictures, DR.