Top départ. Le coup d'envoi de la longue marche vers les élections européennes a été donné. Première consultation nationale depuis la présidentielle et les législatives de la mi-2017, les élections européennes auront lieu, en France, le 26 mai 2019.
Elles sont attendues avec beaucoup d'intérêt par les analystes, avec largement moins de passion par les électeurs et électrices, et avec une pointe d'angoisse par quelques responsables politiques.
Attachement à l'Europe, pas à son fonctionnement
On ne votera que dans une seule circonscription, la France, contrairement au précédent scrutin de 2014, qui était «régionalisé» –sept grandes régions métropolitaines et l'Outre-mer. La consultation a pour but de renouveler les 751 sièges de l'actuel Parlement européen.
Avec l'application du Brexit, le Royaume-Uni n'enverra pas d'eurodéputées et eurodéputés à Strasbourg et Bruxelles. Les vingt-sept États membres de l'Union européenne ont décidé de répartir les sièges laissés vacants entre huit pays jusque-là sous-représentés en comparaison de leur démographie –dont le nôtre.
Soixante-dix-neuf fauteuils, au lieu de soixante-quatorze précédemment, sont en jeu pour les partis français, qui se sont d'ores et déjà lancés dans la compétition.
En 2014, le Front national était arrivé en tête, avec plus de 4,7 millions de voix (24,86% des suffrages) et vingt-quatre sièges, devant l'UMP (Union pour un mouvement populaire, depuis devenue Les Républicains), qui avait tangenté les quatre millions de suffrages (20,81%) et remporté vingt sièges, puis le PS, avec un peu plus de 2,6 millions de voix (13,98%) et treize sièges.
Les dix-sept sièges restants étaient revenus aux centristes de l'UDI et du Modem (9,94% et sept sièges), aux écologistes d'EELV (8,95% et six sièges) et au Front de gauche (6,61% et quatre sièges).
Une abstention record avait été atteinte: 57,57%. Si sept Françaises et Français sur dix sont attachés au principe d'une union entre les pays européens, selon une étude de l'Institut Elabe publiée fin mai 2018, ils sont en effet loin de se déplacer en masse pour élire leurs représentantes et représentants politiques au Parlement.
Une des raisons principales tient probablement au fait que l'Union européenne leur paraît trop éloignée de leurs préoccupations: elles et ils ne sont pas satisfaits, dans une proportion identique à leur attachement, de l'organisation et du fonctionnement actuels de l'UE.
Graphiques via Elabe
Ces deux observations vont donner matière à débattre aux nombreuses formations qui entrent en lice et vont devoir mobiliser leur électorat respectif pour défaire cette abstention endémique. Les unes pour appeler à défendre l'idée européenne, malmenée dans sa version bruxelloise dans plusieurs pays de l'Est et plus récemment en Italie, un des États fondateurs; les autres pour appeler à combattre cette même idée dans cette même version, en surfant sur la vague populiste qui traverse le continent.
Dupont-Aignan réticent à renouveler son duo avec Le Pen
En moins bonne position qu'il y a cinq ans, le parti d'extrême droite français, nouvellement rebaptisé Rassemblement national (RN), a fait mouvement le premier. Marine Le Pen, personnellement affaiblie par son débat raté d'entre-deux-tours à la présidentielle alors que son parti ne l'est pas électoralement dans les sondages, a proposé à Nicolas Dupont-Aignan, son allié élyséen de 2017, de faire à nouveau cause commune. Le président de Debout La France (DLF) a décliné l'offre qui consistait, pour les deux leaders, à pousser une liste unique aux deux dernières places.
Subodorant que la présidente du RN cherchait à se refaire une santé, en l'utilisant pour sortir de son isolement, le patron de DLF a écarté –pour le moment?– ce tête-à-tête mortifère qui risquait, pour lui, de ne pas aller au-delà de celui de la dernière présidentielle. Il a refusé une «cuisine politicienne» à laquelle il avait pourtant participé seulement treize mois auparavant.
En proposant un accord à Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen espérait additionner deux électorats pour parvenir à devancer la liste commune de La République en marche et du Modem, que les rares sondages déjà publiés donnent vainqueur de la joute de 2019.
Sondage via Elabe
Sondage via Ifop
Sondage via Viavoice
Une telle hypothèse remettrait évidemment en selle la fille du cofondateur du Front national, ce qu'à droite, tout aussi évidement, personne ne souhaite voir advenir. Le Pen fille réussira probablement à attirer dans ses filets européens quelques seconds couteaux venus des Républicains, mais son opération de séduction n'ira pas beaucoup plus loin.
Risque de fuite sur les deux bords des Républicains
Laurent Wauquiez, président du principal parti des oppositions parlementaires, n'a aucun intérêt à aller vers un rapprochement de la droite et du Rassemblement national –au risque d'être absorbé.
Il a en revanche tout intérêt, d'un point de vue tactique, à radicaliser son discours –ce qu'il ne manque pas de faire– sur la sécurité et l'immigration, deux sujets de prédilection qu'il partage avec l'extrême droite.
Son souci principal est d'empêcher que la fuite d'une partie de son électorat vers le lepénisme se poursuive, voire même de récupérer les électeurs et électrices qui ont déjà franchi le pas. Le risque étant, en forçant la dose, de pousser une autre frange de son électorat, les juppéistes, dans les bras du parti présidentiel.
Cette contradiction n'a pas échappé à Christophe Castaner, ministre chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement et délégué général de LREM. Pour mettre un coup de pression sur Laurent Wauquiez, aussi bien que sur le nouveau premier secrétaire du PS Olivier Faure, il a joué à saute-mouton avec les élections, en passant directement aux municipales de l'année suivante (2020), pour indiquer que son parti pourrait faire aussi bien alliance avec LR qu'avec le PS, selon le cas de figure des municipalités sortantes.
Si l'assertion visait les consultations locales mentionnées, elle avait aussi pour but d'introduire un élément de déstabilisation dans ces deux formations, traversées par des courants contraires sur le dossier européen, entre les «pro» et les «dubitatifs».
Cette précision donnée par Castaner peut être interprétée comme une tentative d'enfoncer un coin à l'intérieur des deux partis d'opposition, dont les dirigeants vont être obligés de marcher sur des œufs pendant la campagne électorale –d'autant qu'ils se trouveront sous le contrôle attentif de l'extrême droite pour l'un, et de la gauche de la gauche pour l'autre.
Recherche d'alliances à gauche
Sur cette dernière partie de l'échiquier, justement, La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon tient le haut du pavé, mais avec une position affaiblie par rapport à la présidentielle, selon les instituts de sondage déjà cités.
Dans l'état actuel des choses, la question –hypothétique– d'une alliance avec le PCF est en suspens. En tout état de cause, les communistes ont d'ores et déjà désigné un chef de file: Ian Brossat, adjoint à la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo.
Ce choix ne semble pas vraiment ouvrir la voie d'un rapprochement avec Mélenchon, qui de son côté privilégie «l'union du peuple» sur l'union des partis –un concept isolationniste théorisé par le cadre insoumis Thomas Guénolé.
Mais pour ne pas se lier les mains, le PCF s'est en même temps montré disponible pour aller vers «une liste qui unisse les forces de la gauche sociale, écologique et politique».
Pour mémoire, les communistes avaient déjà accepté de s'effacer devant le chef de file des insoumis à l'élection présidentielle, en renonçant à présenter un candidat ou une candidate. Les enquêtes électorales donnent en outre des scores marginaux à une éventuelle liste autonome du PCF. Même s'il ne s'agit que de sondages, qui n'ont aucun caractère prédictif et fournissent plutôt une idée des rapports de forces politiques au moment où ils sont réalisés, ce paramètre ne peut sûrement pas échapper à la direction du parti communiste.
L'ultime élément de ce billard électoral à plusieurs bandes concerne les écologistes et les hamonistes, soit les ex-socialistes partisans de Benoît Hamon réunis dans le mouvement Génération.s.
La convergence entre ces deux courants s'était concrétisée à la présidentielle 2017 par le retrait de Yannick Jadot, candidat d'EELV, au profit de Hamon –avec le succès électoral que l'on connaît.
Il se trouve que le scrutin européen réussit plutôt bien aux écologistes –comparativement aux consultations nationales hors municipales– et qu'ils peuvent effectivement avoir un intérêt à s'adjoindre l'apport hamoniste. Coincé entre le PS et la France insoumise, Hamon pourrait y trouver lui aussi un intérêt.
LREM en quête d'élargissement au centre-droit
Finalement, la seule alliance qui ne fait pas parler d'elle est celle qui unira les macronistes de La République en marche et les centristes du Mouvement démocrate de François Bayrou. Tout porte à croire qu'une liste commune verra le jour entre ces deux formations constituant l'armature de la majorité, pro-européenne, à l'Assemblée nationale. Emmanuel Macron et Édouard Philippe feront-ils encore bouger les lignes? Parviendront-ils à élargir ce tandem à d'autres formations?
À l'évidence, l'intégration du groupe charnière composé de l'autre famille centriste et du groupe libéral dissident des Républicains, regroupés au palais Bourbon sous l'étiquette UDI, Agir et Indépendants, pourrait constituer cet élargissement.
Une telle liste serait la seule, dans le sillage du chef de l'État, à être à 100% en défense de l'Union européenne face aux eurosceptiques, aux anti-Europe, voire aux europhobes. Serait-elle pour autant en mesure de véritablement réenchanter l'idée européenne? C'est le défi qui est posé.