Monde

11-Septembre: la théorie des cycles électoraux (8/9)

Temps de lecture : 4 min

Huitième volet de l'enquête sur l'absence d'attentats aux Etats-Unis depuis le 11 septembre: al-Qaida programme-t-il ses attaques juste avant ou après des élections?

Attentat du 11 mars 2004 à Madrid REUTERS Pablo Torres Guerrero-El Pais
Victimes de l'attentat du 11 mars 2004 à la gare d'Atocha à Madrid REUTERS Pablo Torres Guerrero-El Pais

A l'occasion de la mort d'Oussama ben Laden, nous republions une série intitulée: Pourquoi il n'y a pas eu un autre 11-Septembre? Pour lire l'introduction, Pourquoi n'y-a-t-il pas eu un autre 11-Septembre? cliquez ici, le deuxième volet de la série est intitulé Les fous de Dieu ne sont pas des criminels de génie, le troisième article Al Qaida préfère-t-elle le Pakistan et l’Afghanistan à l’Amérique?, le quatrième article Les musulmans américains n'ont pas suivi al Qaida, le cinquième article Al Qaida cherche-t-elle à dépasser le succès du 11-Septembre?, le sixième article 11-Septembre et Irak: la théorie du papier tue-mouches, le septième article Bush a-t-il protégé l'Amérique après le 11-Septembre?, le huitième article 11 septembre: la théorie des cycles électoraux et le neuvième article La théorie de l'espace-temps.

Le président Bush aimait à dire qu'al-Qaida détestait l'Amérique parce que c'était une démocratie. Ce n'est vrai que dans la mesure où Oussama ben Laden se montre peu enclin à imiter cette forme de gouvernement. Mais si, comme le pensent certains (lire «La rançon du succès»), l'objectif des attentats d'al-Qaida aux Etats-Unis est de provoquer un soulèvement national massif pour forcer le retrait des Etats-Unis du monde musulman, alors le fait que l'Amérique soit une démocratie doit réjouir Ben Laden.

Les démocraties, après tout, sont bien plus sensibles aux changements d'opinion publique que les dictatures. Et les élections peuvent fournir à al-Qaida l'occasion rêvée de terroriser le public, pour le pousser à faire changer radicalement les politiques gouvernementales. Est-ce qu'al-Qaida programme ses attentats en conséquence?

Daniel Benjamin, ancien directeur du contre-terrorisme du National Security Council (NSC) de la Maison Blanche sous Clinton (dont on dit qu'il devrait être chargé du portefeuille du contre-terrorisme au département d'Etat d'Obama), Richard Clarke, ancien coordinateur national pour la sécurité et le contre-terrorisme au NSC lors de l'administration Clinton puis Bush, et Bruce Riedel, ancien membre de la CIA, sont tous de cet avis. Deux semaines avant l'élection présidentielle, Benjamin écrivait dans Slate.com que les élections sont «des moments de transition, le point de flexion de l'histoire, et les terroristes veulent démontrer leur rôle d'acteurs centraux dans la détermination de leur issue.» Voyez plutôt:

- Moins d'un mois avant les élections présidentielles de 2000, al-Qaida a organisé un attentat-suicide contre le USS Cole, amarré dans le port yéménite d'Aden.

- Trois jours avant les élections législatives espagnoles de mars 2004, une filiale locale d'al-Qaida a commis des attentats contre des trains à Madrid, provoquant une déferlante de dernière minute en faveur du Parti socialiste. Le nouveau gouvernement a retiré les soldats espagnols d'Irak.

- Quatre jours avant l'élection présidentielle américaine de 2004, une vidéo de Ben Laden est apparue, où il disait aux Américains: «Nous sommes toujours motivés pour reproduire ce qui est arrivé.» Selon le démocrate John Kerry, c'est ce qui lui a coûté les élections.

- Trois mois avant les élections de mi-mandat au Congrès américain de 2006, les autorités britanniques ont déjoué un attentat coordonné par al-Qaida contre des jumbo jets à destination des Etats-Unis. Cette conspiration, à l'origine de l'interdiction de transporter des liquides et des gels à bord des avions, en était à un stade très avancé. Le parti républicain a alors perdu le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat.

- Fin 2007, des extrémistes pakistanais soupçonnés de travailler avec al-Qaida ont assassiné Benazir Bhutto, qui venait de revenir d'exil pour briguer un troisième mandat de Premier ministre. Conséquence, son mari est devenu président.

Al-Qaida a-t-il atteint ses objectifs? Pour le croire, il faut penser que le groupe terroriste voulait un gouvernement plus modéré en Espagne mais plus belliciste aux Etats-Unis (sauf au Congrès, qu'il préférait plus enclin au compromis) et que pour une raison quelconque il préférait Asif Ali Zardari à son épouse. Cela n'aurait rien de très logique. Il est possible qu'al-Qaida se soit trompé sur la manière dont ces différents événements allaient tourner. Il est admis qu'al-Qaida préfère des ennemis bellicistes plutôt que modérés car cela permet de donner davantage de relief au «choc des civilisations» mais qui le sait vraiment?

Est-ce qu'al-Qaida préfère certains candidats ou certains partis? Benjamin concède que peu de preuves viennent étayer cette hypothèse. «Si les attaques d'al-Qaida se produisaient au moment où elles s'avèrent le plus pratique pour les agresseurs», avance Benjamin H. Friedman, expert en terrorisme du Cato Institute, «elles seraient distribuées au hasard dans l'année, ce qui signifie qu'une certaine proportion d'entre elles, qui tendrait à représenter un douzième du total au fil des ans, tomberait le mois précédant des élections. Citer quelques attentats qui se sont produits à des moments proches d'élections ne prouve rien.»

Autre difficulté, l'attentat majeur, celui du 11-Septembre, s'est produit presque une année après une grande élection américaine. L'attentat à la bombe de 1993 contre le World Trade Center, lié à al-Qaida, est survenu trois mois après une grande élection américaine. Les attentats de 1998 contre des ambassades en Tanzanie et au Kenya ont été perpétrés par al-Qaida presque deux ans après une élection présidentielle et trois mois avant une élection de mi-mandat au Congrès lors de laquelle la question prépondérante était de savoir quelles répercussions aurait la liaison du président Clinton avec une stagiaire de la Maison Blanche. Les adeptes de la théorie du cycle électoral esquivent la plupart de ces arguments en avançant que la période dangereuse dure pendant la première année d'une nouvelle présidence, puisqu'un président en train d'apprendre les ficelles du métier est plus susceptible de commettre un faux-pas soit en se défendant contre une attaque, soit en y réagissant. Les deux ont été particulièrement vrai du président Bush.

Le président Obama pourrait-il être aussi vulnérable? C'était en tout cas l'avis de son secrétaire d'Etat pendant la campagne des primaires. «Je ne crois pas que c'était par accident qu'al-Qaida a décidé de mettre à l'épreuve le nouveau Premier ministre britannique», affirmait la candidate Hillary Clinton en janvier 2008, en évoquant un attentat à la voiture piégée lié à al-Qaida à l'aéroport de Glasgow quelques jours à peine après l'arrivée de Gordon Brown au 10 Downing Street. «Ils suivent nos élections d'aussi près que nous.» Pendant la campagne, le vice-président Biden a fait le même genre de déclaration. «Vous verrez, a-t-il affirmé. Il ne faudra pas six mois pour que le monde mette Barack Obama à l'épreuve.» Biden n'a pas ajouté que l'épreuve viendrait d'Oussama ben Laden, mais c'est très possible. Je donne à cette théorie l'avant-dernière place sur l'échelle de nos inquiétudes, car si Biden a raison, alors nous venons d'entrer dans une période de danger maximal.

Timothy Noah

Traduit par Bérengère Viennot

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