Culture

Notre sélection de livres à ne pas acheter cet été

Temps de lecture : 9 min

Si vous les avez déjà, essayez de les revendre, on ne sait jamais.

Des livres à (ne surtout pas) découvrir. | Jean-Marc Proust
Des livres à (ne surtout pas) découvrir. | Jean-Marc Proust

Dans ce premier épisode, on vous parle des livres vides, où l'auteur parle de lui ou d'elle avec satisfaction, et des moments creux, lorsqu'on cherche en vain quelque chose à sauver.

Oubli

L'Enlèvement des Sabines, d'Émilie de Turckheim commence étrangement. Sabine quitte sa boîte et, au moment du pot de départ, ses collègues lui offrent une sex doll. C'est inattendu. Dans le RER, ça surprend. Elle la ramène (rapporte?) chez elle.

Et?

Et rien.

Après cette prometteuse entrée en matière, l'auteure a oublié qu'un livre était fait pour être lu. Certains écrivains s'écoutent écrire et ratent leur livre; Émilie de Turckheim oublie d'écrire le sien.

BOF

Laurent Chalumeau a commencé avec Fuck en 1991, a publié Bonus en 2010, puis Kif en 2014, VIP en 2017 et aujourd’hui VNR, il semble désormais affectionner les titres à trois lettres.

VNR, ça veut dire énervé, faut-il le préciser? Alain est très VNR. Sa femme a été harcelée au travail par son chef, puis elle l’a quitté, sur les conseils d’une psychologue. Et lui n’a plus de boulot. Y avait une boîte dans le coin mais elle a été délocalisée. Alain est VNR donc, et il enlève puis torture tour à tour ceux qu’il estime être ses bourreaux, dans un monologue bavard, répétitif où le discours social fait un peu figure de cache-sexe. À peine s'il essaye de parler peuple avec des «Lui, cet enculé, il m'avait pourri la life» ou des «Explique-moi l'intérêt d'être vissé dans ma tire, un dimanche à huit du».

C’est que l’auteur est pudibond. À chaque fois qu’Alain prend une tenaille pour faire mal à quelqu'un, on passe au chapitre suivant. Pour le grand frisson, on repassera. Après, c'est vrai qu'il raconte.

«Là, sa bite, je peux te dire, la façon que je lui avais relookée, il avait moins envie de s'en faire des selfies envoyées par texto. Ou alors si, peut-être, mais, ce moment-là, à des étudiants en médecine.»

Tiens, à un moment donné, j’ai pensé à Rafael, derniers jours. Rien à voir. Mais écrit.

Continent noir

Ah tiens, une bluette qui surfe sur le malaise identitaire.

«Arrêtez le bullshit et parlez-moi cash: qu’est-ce qui cloche chez moi? Pourquoi suis-je, à la fois, incapable de m’attacher à un mec et incapable de le garder?»

Géralde a arrêté Tinder, qu’elle «connaît par cœur, c’est comme le McDo: tu salives avant et tu regrettes après». Mais elle guette les «likes» sur Instagram. Elle a donc trente ans.

Elle sort d’une relation avec Alain, s’entiche de Pierce, un Néo-Zélandais. Pierce est différent; il «donne l’impression que la vie n’est qu’une longue partie de bonne humeur». Il a de la conversation: «Europe is just… wow». et il sait hocher «la tête dans un lent mouvement pensif qui le rend très beau». Géralde part le retrouver sur un coup de tête, yolo, en Nouvelle-Zélande. Nicolas Fargues a écrit le bouquin «dans le cadre d’une résidence au Randell Cottage de Wellington», c’est bien le moins qu’il nous fasse faire un peu de tourisme. Extrait: «Toujours cette perpétuelle magie de la lumière, des contrastes et de la concentration impeccable de beauté».

Ce roman pourtant n’est pas si futile qu’il n’y paraît. Géralde est «Française, mais noire, explique l’auteur, ce qui ne va pas particulièrement de soi.» Elle ne supporte plus qu’on lui demande d’où elle vient, qu’on la complimente en la comparant à Lupita Nyong’o, ni qu’on lui pose des questions sur ses cheveux. Nicolas Fargues restitue plutôt bien ce questionnement quotidien, qui se heurte à de simples collants «couleur chair, chair de qui?».

Mais voilà, Géralde reste une trentenaire qui collectionne les échecs amoureux, et ses amourettes ne dépareilleraient pas dans un supplément sexo estival de Biba. L’existentiel «Faut-il coucher le premier soir?» appelle un avertissement quelque peu démago: oui, mais attention, faut pas que tu croies que c’est parce que je suis noire. Pierce la déçoit. L'instant d'après, elle s'emballe pour un beau conférencier-journaliste-bourlingueur-documentariste, un aventurier quoi, dont l’haleine est «un mélange de champagne et de quelque chose de très doux, comme une mousse d’agrumes» –je pense qu’il a bu du rosé pamplemousse. Soyons justes: elle prend son pied. «Des digues cédaient pour laisser sortir de mon corps un fleuve entier dont j'avais jusqu'ici ignoré jusqu'à la présence secrète, souterraine [...]. L'espace tout autour de moi se démultilpliait, révélant une perspective d'infini.»

Hélas, monsieur Parfait est déjà maqué. Elle rentre à Paris, un peu moins naïve sans doute, rappelle Alain.

Il flotte sur ce roman la grâce nonchalante d’un bâillement un peu trop long.

La gorgée de bière de trop

Vraiment, je ne sais pas pourquoi je m’inflige ça. Lire du Philippe Delerm sans y être obligé? Ce type rend insupportable tout ce qui est insignifiant. Alors quoi? Un vague espoir d’amélioration? Une forme de pitié? Il est vrai que, depuis La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, best-seller il y a vingt ans, on mesure ses efforts pour retrouver un tel succès. Il additionne les titres exaltant la banalité (Il avait plu tout le dimanche, Paniers de fruits, La Sieste assassinée, Dickens, barbe à papa et autres nourritures délectables, Les Eaux troubles du mojito et autres belles raisons d’habiter sur terre…) ou ceux assumant un conservatisme satisfait (Je vais passer pour un vieux con et autres phrases qui en disent long, Les Mots que j’aime). Notez que ça passe souvent par la bouffe et les boissons. Jamais le moindre cri du cœur chez Philippe Delerm mais beaucoup de gargouillis satisfaits dans l’œsophage.

Et saluons l’abnégation: à raison d’au moins un livre par an, Philippe Delerm bâtit patiemment une encyclopédie du rien.

Il en est ainsi de Et vous avez eu beau temps? La perfidie ordinaire des petites phrases, où l’auteur dissèque –sans trop se salir, hein, le scalpel est tendre– des expressions sans intérêt.

Car, enfin, comment est-il possible de rassembler tant de mièvreries au paragraphe? Il y a deux ans, son Journal d’un homme heureux m’avait donné envie de passer son jardin au napalm («Ce matin, par la fenêtre de la cuisine, le pré couvert de givre. J’aime cette sensation, sur le goût du café chaud») ou de boire de l’Oasis («l’odeur de l’Orangina renversé sur la petite table de fer»), écœuré par ces émotions suaves, qui ont la force d’un statut Instagram.

Ici, il nous assène des analyses textuelles d’une intense platitude:

«L’homme est un animal singulier. Il a reçu le don de la parole, mais l’abrite souvent sous des précautions oratoires plus ou moins subtiles. “En tout état de cause”, “en revanche”, “en même temps” précédent alternativement ce qu’il va dire. Mais la plus étrange est sans doute “C’est pas pour dire”, suivie d’un “mais” qui annonce qu’on va dire beaucoup. En fait, il va moins s’agir de dire que de médire.»

À ce moment-là, tu lèves la tête du livre, tu mets ton menton dans les mains et, habité, tu glisses à ta moitié:

«-Tu le savais, toi, que “c’est pas pour dire”, c’est pour médire? en guettant son regard interrogatif pour lui lire le passage en question.
-Ah oui, bien vu, bien vu. C’est fort.
-Brillant, même! Dire… Médire…»

Et tu te promets de la ressortir à l’occasion.

Ici se glisse un mot rare («une sollicitude expectante», «bigre»).

«-Expecter, tu connaissais, toi?
-Oui je l’ai placé au Scrabble une fois.»

Là surgit une considération définitive («La nature humaine ne change guère»), ailleurs s’impose le rassurant rappel de la provincialité de l’auteur: «Elle parle avec deux copines du même âge, dans un quartier “tendance”, au cœur de Paris».

Tendance. Tellement vintage et rassurant.

Et, toujours, revient une morne gentillesse, d’une partie de Monopoly à la dame âgée dans le jardin qui, face à l’agitation, se contente d’un «Moi, je vous regarde». Vous la sentez monter, l’envie d’étrangler des chatons?

Fort heureusement, comme dans toute œuvre qui se respecte, vient le moment où s’échappe un aveu:

«“J’dis ça, j’dis rien!” C’est une espèce de précaution postoratoire, parfaitement ambiguë, dont la subjectivité rejaillit sur la fadeur de l’interlocuteur.»

Philippe dit ça, il dit rien et, nous lecteurs fades, on achète. Vivement 2019: La Seconde Lampée de Champagne et autres satisfactions d’avoir des pigeons fidèles.

Nombrilite

Avec Dos au mur, Nicolas Rey promet de tout dire. Il a attrapé une pancréatite («J’écris parce que je vais crever»), donc autant tout balancer, ce roman est «un cri». D’ailleurs, il a arrêté la cocaïne et l’alcool, est fauché, se fait larguer, a une pancréatite (on l'a déjà mentionné?), a gagné le prix de Flore, doit quitter son appartement, c’est beaucoup pour un seul homme.

Ce roman est un cri donc, mais assez ventriloque car venant du nombril. «On va arrêter d’éviter le sujet principal de ce livre», annonce-t-il page 22 alors que nous savons bien que le sujet principal c’est lui, qui se confie à la première personne (au moins, Rousseau dans ses Confessions était drôle). Tout tourne autour du moi: mon éditrice, mon psychiatre, mon premier roman, mon dentiste, mon avocat, mon ordinateur, mes cigarettes, mon verre de Coca Light, ma mère, mon dévoreur de tartare invétéré, mon âme, mon bébé, mon dealer, j’en oublie.

La seule qui échappe à l’adjectif possessif s’appelle Joséphine et elle le largue. Pourtant, tout avait bien commencé.

«Lorsque je la caresse et qu’elle est sur le bord de jouir, elle me dit de continuer et je continue malgré mes crampes aux doigts et la sueur qui me pique les yeux.»

Depuis qu’ils ont découvert le clitoris, les romanciers français se classent en deux catégories: les rois du joystick (comme Jean-Marie Rouart) et ceux qui participent aux Jeux olympiques (tel David Lopez). Nicolas Rey est un de ces marathoniens, mais la récompense est à la hauteur de l’effort. Avec lui, faire l’amour revient à exploser «dans des spasmes indescriptibles». Ce qui invite le lecteur à faire preuve de modestie.

Avec Joséphine, c’est du sérieux, pourtant, par une simple histoire de fesses. Le gars est amoureux, mais grave. Il le prouve.

«Joséphine, je boufferais de la merde pour elle»; il lui promet d’«acheter de la literie, du terreau, des aquarelles et nettoyer du vomi à la fin d’une fête (qu’elle) aura organisée». Chacun sa vision du couple, je juge pas.

Revenons-en au livre même, au roman, à l’épopée. Nicolas Rey est un écrivain. En France, ce statut vous donne accès au RSA ou aux plateaux télé. Il est plutôt habitué des seconds, ce qui lui évite de douter.

Tout comme son éditrice, d’ailleurs. Il «aime cette fille» et on le comprend: «Elle croit en moi malgré tout. Elle croit en la littérature». Ah. Et si elle changeait de métier? Y a des jobs sympas chez Knorr.

Raté, en fait, c’est un titre de Philippe Delerm.

Mais, quelques pages plus loin, on réalise que Nicolas Rey, À JEUN, pense vraiment qu’il est un écrivain, en train de «jouer sa vie à chaque page», cette vie qui lui «est passée dessus comme un semi-remorque» [à garder pour un dictionnaire des citations malheureuses, ndlr], parce que son «écriture est restée jeune, alerte et révoltée». Écoutez! Le souffle du Sturm und Drang balaye ces pages fébriles. «Lorsque j’écris, j’ai l’impression de ne pas travailler. J’ai l’impression de lancer une bouteille à la mer, de choquer la terre entière, de créer un monde, de transmettre des choses interdites.» Nicolas, sache-le: la première impression est toujours la bonne.

C’est au moment où il se sent perdu qu’on reprend espoir: «Je suis un écrivain qui n’arrive plus à écrire». Bravo Nicolas! Tu vois quand tu veux!

Vient le moment citation, qui permet à tout romancier de pécho en boîte ou de donner du vernis à des pages bâclées. Ici, c’est un combo:

«À présent, le night-club me fait penser à cette phrase de Dostoïevski: Je m’aperçus que je ne ressemblais à personne et que personne ne me ressemblait. Je suis seul tandis qu’eux ils sont tous, me disais-je.» Nicolas Rey a croisé Frédéric Beigbeder lorsqu’il était le «grand manitou des lettres avec sa page dans Voici», on frise l’oxymore. À eux deux, ils auraient pu écrire les Frères Karasmirnoff.

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