Société

Le pape à un gay victime d’un prêtre pédophile au Chili: «Dieu t’aime comme tu es»

Temps de lecture : 5 min

Une déclaration du souverain pontife qui pourrait le couper un peu plus des milieux les plus conservateurs de l'église catholique.

Le pape François le 1er mai 2018. |  Vincenzo Pinto / AFP / Pool
Le pape François le 1er mai 2018. | Vincenzo Pinto / AFP / Pool

La démission collective imposée le 18 mai par le pape François aux trente-quatre évêques du Chili n’est pas qu’un acte d’autorité pour mettre fin à l’épouvantable scandale de pédophilie provoqué par un prêtre-gourou de ce pays, Fernando Karadima, longtemps protégé par sa hiérarchie. C’est un séisme qui atteint toute l’Église catholique et devrait la conduire à revoir de fond en comble son traitement des affaires d’abus sexuels commis par des prêtres.

Parmi les victimes, un homme homosexuel prénommé Juan Carlos Cruz, abusé par le prêtre chilien quand il était enfant. Lors d'une entrevue au Vatican, François lui a manifesté sa proximité. Ce qui ne va qu'amplifier le conflit entre ce pape accusé de complaisance pour les homosexuels et les milieux les plus conservateurs de son Église.

Le revirement du pape François

Le scandale chilien commence donc avec un prêtre aujourd’hui octogénaire, Fernando Karadima, à la fois guide charismatique réputé dans son pays et prédateur d’une quantité de jeunes et d’adolescents dans une paroisse huppée de Santiago au cours des années 1980 et 1990. Karadima est condamné par la justice chilienne et, à la suite d’une enquête canonique, par le Vatican en 2011.

Mais, bien auparavant, de jeunes victimes, dont Juan Carlos Cruz, avaient mis en cause pour complicité un autre prêtre chilien du nom de Juan Barros, présenté comme «l’homme de main» de Karadima, qui aurait été témoin direct de séances d’abus sexuels commis par celui-ci. Aussi, lorsqu’en 2015, ce même Juan Barros est promu à la surprise générale évêque d’Osorno, Juan Carlos Cruz et ses compagnons écrivent au pape François pour exprimer leur incompréhension.

Cette affaire fait grand bruit au Chili. Mais non seulement le pape ne revient pas sur la nomination de cet évêque, mais quand il accomplit son voyage dans ce pays en janvier dernier, il prend fait et cause pour lui: «Il n’y a pas la moindre preuve contre Juan Barros. Tout n’est que calomnie!» Affirmation incompréhensible et blessante pour les victimes, critiquée même par des personnalités très proches du pape, comme le cardinal américain Sean O’Malley qui dirige la Commission internationale de lutte contre les abus sexuels commis par des prêtres.

Ébranlé par une polémique devenue mondiale, le pape esquisse alors une forme de mea culpa et décide l’envoi au Chili, pour entendre les victimes, de l’évêque maltais Charles Scicluna, juriste de haute volée et apprécié qui traite de ces affaires à la Curie romaine. C’est lui qui, en 2004, avait eu à enquêter sur l’affaire Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires du Christ, écarté de toute responsabilité dès 2006 mais dont la culpabilité n’a été officiellement reconnue par le Vatican qu’en 2010… deux ans après sa mort!

L’évêque juriste Charles Scicluna en février 2018. | Claudio Reyes / AFP

Le rapport que cet évêque juriste remet en avril au pape François est sans ambiguïté. Il démontre que le pape a été trompé par l’épiscopat chilien. Il met même en cause le cardinal Francisco Errázuriz, ancien archevêque de Santiago, membre du C9 des cardinaux les plus proches de François et qui l’assistent à Rome. En 2014, ce prélat chilien avait tout fait pour empêcher le Vatican de nommer Juan Carlos Cruz, principale victime et accusateur de Karadima et de l’évêque Barros, au sein de la Commission pontificale pour la protection des mineurs qui venait d’être mise sur pied.

Conscient d’avoir été floué, indigné par les critiques venues du monde entier sur sa trop grande faiblesse dans le traitement de ces affaires d’agression sexuelle, le pape François reprend l’initiative. Il reçoit, fin avril, plusieurs victimes du prêtre Karadima, dont ce Juan Carlos Cruz, et, à la mi-mai, il appelle au rapport à Rome tous les évêques du Chili, sommés collectivement de démissionner. Ce qui est sans précédent dans l’histoire récente de l’Église.

«Qui suis-je pour juger?»

C’est à ce stade qu’une autre histoire intervient dans l'histoire chilienne. Lors de son entrevue avec le pape pour parler des abus dont il a été victime, Juan Carlos Cruz lui aurait confié que son orientation sexuelle avait été mise en avant par certains évêques latino-américains pour le faire passer pour un pervers et l'accuser de mensonge. Juan Carlos Cruz, révélant alors son homosexulité, a raconté à des quotidiens européens, comme El País et The Gardian que François lui aurait répondu ceci:

«Juan Carlos, le fait que tu sois gay importe peu. Dieu t’a fait ainsi et Il t’aime ainsi et cela ne m’intéresse pas. Le pape t’aime comme tu es. Tu dois être heureux comme tu es.»

Le Vatican n’a pas confirmé, ni démenti ce propos. Ces mots vont pourtant creuser un peu plus la distance entre ce pape jésuite, «latino» progressiste, et de larges secteurs de l’opinion catholique pour qui l’homosexualité reste une aberration et une perversion. On sait que l’Église, de tout temps, condamne les orientations et actes homosexuels, qualifiés dans ses textes les plus récents d’«objectivement mauvais et désordonnés». Mais qu’elle exige des siens le respect des personnes et le rejet de toute homophobie. C’est une vieille pratique de la morale catholique, souvent jugée hypocrite, de distinguer les «actes», qui peuvent faire l’objet d’un jugement moral, et les «personnes» qui y échappent.

Le pape François reste absolument dans cette logique. Il ne marque aucune rupture dans l’attitude de l’Église. Mais c’est quand même la première fois, dans la bouche d’un pape, qu’on entend le mot «gay» et non plus seulement celui d’homosexuel. François passe même volontiers pour un «gay friendly» depuis sa fameuse réponse de juillet 2013 à une journaliste brésilienne dans un avion de retour de Rio à Rome: «Si une personne est gay et cherche le Seigneur, si elle fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger?»

Le pape brade-t-il la doctrine catholique?

Cette interrogation –«qui suis-je pour juger?»– est devenu le mot de ralliement de tous les catholiques intégristes ou conservateurs qui reprochent à ce pape de dénaturer la fonction centrale du «pontife romain», incarnation de l’autorité suprême dans l’Église. Et qui s‘étonnent de la tolérance manifestée par lui non seulement pour les personnes homosexuelles, mais aussi, dans d’autres contextes, pour les femmes obligées d’avorter ou pour les couples divorcés et remariés qui veulent reprendre le chemin de la participation au banc de communion à l’église.

Le pape François est-il indigne de sa fonction? Brade-t-il la doctrine catholique? C’est un reproche qui gagne du terrain. L’adversité se rapproche de lui. Nul pourtant ne pourrait le prendre en flagrant défaut d’atteinte aux fondamentaux du catholicisme. Personne ne se plaindra, au contraire, qu’il sanctionne des épiscopats compromis dans des affaires d’abus sexuels comme celui du Chili, qu’il mette enfin en pratique la politique tant de fois promise de «tolérance zéro» pour les prêtres auteurs d’agressions.

Que ce pape soit exaspéré par la multiplication des affaires qui gangrènent son Église, par des épiscopats qui couvrent ces actes odieux commis par des prêtres, on le comprend. Mais comment ne pas voir aussi dans cette tolérance présumée excessive qu’il manifeste pour les gays un vrai travail pédagogique: opérer une nette distinction entre, d’une part, les crimes que sont la pédophilie, les agressions sexuelles sur mineurs, les actes non consentis par abus d’autorité ecclésiastique et, d’autre part, des pratiques homosexuelles légales entre majeurs et consentants. Qui pourrait s’opposer à cette porte enfin demi-ouverte à une population si longtemps marginalisée dans l’Église?

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