Sports

Nadal, bourreau des courts

Temps de lecture : 4 min

Les balles de Nadal atteignent 5.000 tours par minute. Mais cet homme n'est pas une brute.

Sur le circuit professionnel, Rafael Nadal, qui mesure 1,86m et pèse 86kg, est une force de la nature sculptée par des muscles saillants, longtemps exposés quand il aimait porter des tenues sans manches. Pour un adversaire, devoir l'affronter peut tourner au calvaire, surtout si la rencontre se déroule sur terre battue, la meilleure surface du Majorquin qui défend actuellement son titre à l'Open d'Australie. Lorsqu'elle rencontre la raquette de Rafael Nadal, une balle de tennis vit, elle aussi, une épreuve traumatique qu'elle paye de quelques plumes, ou plutôt de quelques lambeaux de feutre.

C'est ce qu'a révélé, il y a peu, le site américain Tennisplayer qui décortique tous les coups des meilleurs joueurs du monde. Par le biais d'un système vidéo d'images diffusées à grande vitesse qui capture tous les gestes techniques des champions, une étude est arrivée, en effet, à la conclusion que le quadruple vainqueur de Roland-Garros et actuel n°2 mondial «explose» la balle, et tous les records, lorsqu'il frappe un coup droit avec son bras gauche de camionneur.

Quand elle entre en contact avec le tamis de la raquette d'un professionnel «moyen», la balle effectue, en moyenne, 2.500 tours par minute. Face à la puissance dévastatrice du Majorquin, elle est nettement plus maltraitée en pouvant enregistrer jusqu'à 5.000 tours par minute sachant que sa moyenne se situe aux alentours de 3.500. Mais comme le précise John Yandel, le créateur de Tennisplayer, Nadal a cette capacité d'atteindre et de se maintenir à des pointes de 5.000 tours sur des périodes plus ou moins longues, rythme infernal qui asphyxie l'adversaire quand il ne le met pas carrément à genoux.

Violence inouïe

«Il jette littéralement son bras en direction de la balle avec une violence inouïe, avait constaté le Britannique Andy Murray, étrillé par Rafael Nadal en quarts de finale à Wimbledon en 2008. La balle vrille tellement que lorsqu'elle frappe le sol, elle part parfois dans la direction opposée de celle que l'on imaginait.» Fabrice Santoro, qui en a vu d'autres lors de sa carrière au long cours, avait fait ce constat après avoir affronté l'Espagnol pour la première fois en 2009: «Sa balle gicle énormément. Elle n'est pas banale. J'ai pu comprendre pourquoi, à Wimbledon, il arrivait à Federer de rater quelques volées contre lui.» En 2006, après s'être sèchement incliné contre l'«imbattable» à Roland-Garros, l'Américain Kevin Kim avait résumé l'expérience avec cette formule: «C'est comme se retrouver au milieu du Sahara et voir des dunes à pertes de vue.»

Personne n'est en mesure d'approcher ce total ahurissant de 5.000 tours sur le circuit ATP. Roger Federer, le n°1 mondial, peut culminer, au très grand maximum, et exceptionnellement, à 4.000 tours, sa moyenne se fixant aux alentours de 2 700, soit nettement en deçà de son grand rival. John Yandel rappelle que Pete Sampras et Andre Agassi ne «tournaient», eux, qu'à 1 600 tours/minute, soit deux fois moins que la moyenne de Nadal au lift tellement ravageur.

Le lift -cette capacité à donner de la rotation à la balle- reste la signature de Nadal en dépit de sa très récente évolution technique et tactique qui, sous l'autorité de Toni, son oncle et entraîneur, l'a amené à essayer de frapper avec moins d'effets, afin d'abréger les échanges et, surtout, de s'économiser physiquement pour prévenir ou contenir les blessures qui ne l'ont pas épargné dans la période récente.

Blessures

Des tendinites récurrentes aux deux genoux l'ont amené, par exemple, à renoncer au dernier tournoi de Wimbledon et à revoir sa programmation, désormais allégée. Car ce tennis de «poids lourd» a évidemment un coût en raison de l'intensité physique et mentale qu'il exige. En 2009, cette débauche d'efforts a mis sa carrière en danger. La raison devrait désormais triompher. «On a trop tiré sur la machine», a concédé Toni Nadal. «Quand on a joué si souvent avec la douleur, on ne sait pas où est la limite, on ne sait pas quand on ne pourra plus rien donner de plus, a concédé le joueur à El Pais l'été dernier. Je suis sportif de haut niveau, je joue avec la douleur, comme beaucoup d'autres. Je ne sais franchement pas combien de fois j'ai joué sans avoir mal. J'ai joué plus souvent avec la douleur, c'est sûr. Mais je ne peux pas vivre en me demandant si je vais me blesser ou pas. Aggraver le mal ou pas. Je donne juste le maximum de ce dont je suis capable sur le court. Si c'est 60%, c'est 60%. Si je peux donner 100%, je les donne.»

Mais sa manière de jouer ne pourra évoluer qu'imperceptiblement parce qu'il ne peut pas casser le moule. Il continuera de jouer en force pour démolir ses adversaires. Le lift est, on l'a dit, le sang qui coule dans les veines de son tennis. On peut le constater encore lors de l'Open d'Australie en cours. Sa balle tourne toujours autant qu'avant, ne serait-ce déjà parce que le lift donne de la sécurité à tout joueur. Et Nadal en a besoin ces temps-ci pour renouer avec une confiance ébréchée par tous ses déboires physiques.

Constatons enfin que le jeu de Nadal, féroce, n'est absolument pas en adéquation avec sa personnalité très douce. Le paradoxe est même total et la perception du public est faussée par l'impression laissée par ce tennis de choc. Nadal peut être vu comme quelqu'un d'agressif alors qu'il est le plus doux des hommes. D'où sa surprise, lors du dernier tournoi du Roland-Garros, lorsque la foule de la Porte d'Auteuil n'était pas venue à son secours, bien au contraire, pour le sauver alors qu'il était en train de perdre son titre contre le Suédois Robin Soderling en huitièmes de finale.

C'est la chance actuelle du tennis d'avoir deux champions aussi différents que Roger Federer et Rafael Nadal comme têtes de gondole. L'un caresse la balle, l'autre la cogne. Et le plus gentil des deux n'est peut-être pas celui que vous croyez.

Yannick Cochennec

Image de Une: Nadal après sa victoire contre Davydenko au tournoi de Barcelone en 2009, REUTERS/Albert Gea

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