Culture

A la recherche de la perruque pubienne (4/4)

Temps de lecture : 6 min

Le musée de St Andrews, en Grande-Bretagne, regorge des reliques des clubs libertins du XVIIIe siècle. Mais qu'en est-il de la plus étrange d'entre elles?

Tony Perrottet parcourt la Grande-Bretagne sur les traces des clubs libertins de la période pré-victorienne.

Les visiteurs du monde entier viennent nombreux à St. Andrew pour jouer sur son vénérable terrain de golf, le plus vieux du monde.  Pour moi, la ville regorge d'histoire. Je pensais moi aussi aux balles, aux trous et aux bons coups... mais pas de la même façon qu'eux je suppose.

A 10 heures du matin, j'ai traversé en courant les cloîtres fleuris (oui, là où le Prince William a fait ses études!), sous des arches gothiques pour me rendre à l'entrepôt du musée de l'université, un immeuble sans prétention en face du commissariat. Une fois arrivé, une réceptionniste m'a accompagné jusqu'à une pièce anonyme, d'une blancheur clinique, comme si j'allais devoir y passer.  La porte s'est ouverte, et deux joyeux conservateurs sont entrés portant de lourdes boîtes en carton contenant les reliques de la célèbre société de masturbation écossaise du XVIIIe siècle, le Beggar's Benison, et de son rejeton encore plus pervers, le Wig Club.  Après m'avoir salué chaleureusement, elles ont mis des gants en latex blancs et ont commencé à mettre le contenu sur la table, enlevant soigneusement le papier d'archives et l'emballage à bulles résistant aux acides autour de chaque objet. «Les voilà, me suis-je émerveillé: les restes les plus bizarres de l'histoire britannique.»

Collection privée

«Ces objets sont assez connus ici au musée», confessa Jessica, un des conservateurs. Ce n'était pas difficile de voir pourquoi. Un phallus puis un autre, façonné de verre ou de métal, furent déposés soigneusement. Ils furent suivis d'une variété d'écharpes, de bols, de plateaux et de médaillons gravés avec des images obscènes, vaguement cauchemardesques, comme des phares ressemblants à des pénis ou des coqs à tête de pénis. Quelques-uns étaient ornés avec des formes vulvaires, mais l'organe masculin était le plus souvent privilégié.

J'ai pris le Plateau d'Initiation, le récipient à semence des membres du Benison pendant plus d'un siècle, et j'ai lu l'inscription, «LE PASSAGE D'UN HOMME VERS UNE FEMME.»  Il y avait dessus le dessin maladroit d'une érection avec une bourse pendante et puis la date, 1732. «J'espère qu'on l'a lavé», dis-je.

Ensuite, on m'a présenté deux des «verres priapiques», chacun d'une vingtaine de centimètres de long. Ils étaient faits en verre soufflé et n'ont pas toujours été traités avec soin; chacun souffrant d'une gonade fêlée. C'était peut-être cette fragilité qui avait inspiré une autre version, cette fois plus longue, des verres priapiques mais en métal. Il y avait aussi une corne avec l'inscription mystérieuse «Mon souffle est étrange», venant du livre de Job. Et un assez beau bol à punch.

La collection des reliques du Beggar's Benison et du Wig Club n'a jamais été montrée au public. «St. Andrews est un site touristique vraiment familial», dit le deuxième conservateur, Amy, qui portait une robe rose bonbon, des boucles d'oreille roses et des nattes. «On avait pensé faire une exposition des objets les moins scabreux, mais la direction a mis son veto. Comment allions-nous expliquer leur emploi au moins de 10 ans?»

Le culte de la perruque

Et quid de la légendaire perruque, l'objet le plus sacré pour les adeptes du club? Cette mascotte secrète, supposée être tissée avec des poils pubiens des maîtresses du Roi Charles II, fut d'abord vénérée au Benison, mais ses pouvoirs étaient tels qu'elle devint l'objet de son propre club.  Tout ce qui reste est une boîte à perruques en bois.  Comme l'animatrice d'un jeu télévisé, Amy a ouvert tout doucement la porte grinçante pour révéler le support, une tête en bois avec un menton et un nez saillants.  Quelqu'un y a peint des yeux; malheureusement, ils louchaient. L'effet était morbide.

La perruque, quant à elle, manquait. «A un certain moment, la perruque a quitté son carton», dit-elle tristement.  «Elle n'est jamais arrivée au musée.»

La provenance de la perruque pubienne est une histoire fascinante en elle-même. Selon le folklore local, la relique date de 1651, quand le roi hédoniste Charles II visita l'Ecosse où on l'accueillit avec des beuveries dissolues, surtout dans le Fife.  Plus tard, il envoya la perruque en cadeau à ses amis écossais débauchés, sa taille étant un symbole de la virilité du roi. Dans les années 1730, le couvre-chef chéri fut donné au Beggar's Benison par son gardien, le comte de Moray, et porté lors des cérémonies par le souverain du club afin de recueillir son pouvoir talismanique. Puis, en 1775, un schisme frappa le monde des clubs écossais. Lord Moray, un descendant du gardien originel de la perruque, partit avec l'objet prisé et fonda à Edimbourg sa propre société sous le nom de Wig Club. Plutôt que de pratiquer la masturbation rituelle, les nouveaux membres furent obligés d'embrasser la perruque avec révérence et de contribuer à l'embellissement de la crinière en apportant un poil provenant de la région intime de leurs propres maîtresses.

C'est pour compenser cette perte que le roi George IV, qui était devenu un membre honoraire du Benison quatre décennies plus tôt, présenta en 1822 au club une boucle des poils pubiens de sa propre maîtresse dans une fine tabatière en argent.  La mythologie du club soutient que le roi rencontra le souverain du club aux docks, à Leith, lors de sa visite officielle annoncée à grand renfort de publicité et pressa la tabatière dans ses mains. La touffe était censée d'être l'embryon d'une nouvelle perruque, mais l'idée avorta.  Au moins personne ne l'a volée, ai-je pensé, quand j'ai enfin pu toucher le cadeau royal dans sa cachette au club de St. Andrews.

On s'est inquiété, quand le Prince William a fait ses études ici, de 2001 de 2005, que la presse ne commence à s'intéresser à cette lignée de débauche royale. «Vous connaissez les tabloïds britanniques», dit Jessica avec un haussement d'épaules. J'ai considéré ces histoires de «connexion royale» en me demandant qui avait pu voler la perruque...

Sauvée par un fan du camouflage et de la masturbation

Dans les archives souterraines de la bibliothèque, en compagnie des doctorants blafards clignant les oeils devant leurs ordinateurs portables, j'ai examiné les documents du Beggar's Benison et des tas de correspondances jusqu'à ce que je trouve un tome relié en cuir effrité: les procès verbaux des «Knights Companions of the Wig» à partir de leur première réunion du 6 mars 1775.  Sur la couverture ornée figurait un dessin doré de la perruque pubienne dérobée - encore plus folle, chargée et bouclée que je ne l'avais imaginée, comme une tête de brocoli exubérante.

J'ai tracé le cheminement de la perruque tout au long du siècle dernier. J'ai appris que c'est grâce à un officier de l'armée écossaise en retraite, Lt. Col. M.R. Canch Kavanagh, que les reliques de St. Andrews sont saines et sauves.  En 1921, Kavanagh, dont les deux passions étaient le camouflage militaire et les clubs de masturbation, localisa les objets du Beggar's Benison et du Wig Club. Ils avaient été gardés par les derniers membres survivants et se trouvaient à Glasgow dans le Musée Kelvingrove.  Le conservateur cherchait désespérément à s'en débarrasser. Alors, Kavanagh les a achetés, et pendant un moment, il a même essayé de ranimer les rites du Beggar's Benison à Edimbourg.  Il semble que la perruque se soit égarée pendant les années 1930.  En 1938, quand l'historien américain Louis C. Jones de la Columbia University la cherchait pour un livre sur les clubs georgiens, il reçut un rapport qui disait qu'elle se trouvait «dans le bureau d'un avocat à Leith... mais dans le bureau de quel avocat [écrit Jones]... cet auteur n'a jamais pu le découvrir.»

Voilà la fin de l'histoire. Mais je n'arrêtais pas de penser à ce dernier détail.  La relique sacrée pourrait-elle toujours être dans le meuble classeur d'un notaire?  Je suis allé à Leith, le quartier du port d'Edimbourg (il fournit le sympathique décor de Trainspotting d'Irvine Welsh), avant de me rendre compte que plutôt que de visiter le bureau de chaque notaire et de chaque avocat de la ville, je ferais mieux de poster une petite annonce. Peut-être quelqu'un avait-il entendu des histoires racontées par son grand-père et savait-il où se trouvait la relique mais avait gardé l'information secrète?

J'eus une réponse rapide du rédacteur du magazine en ligne local, Leith Links. «Ce sujet semble beaucoup trop intéressant pour être ignoré», me dit-il.  Il m'a invité à écrire un papier sur les pérégrinations de la perruque, qui a paru récemment sous le titre prometteur «L'histoire de la perruque perdue: la relique la plus étrange d'Ecosse est-elle cachée à Leith? Une investigation en cours par notre correspondant à New York.»

En tête de l'article se trouvait une caricature du roi Charles II, chauve, demandant: «Avez-vous vu ma perruque?»  Je concluais par un appel à l'aide à tous les amateurs d'histoire écossaise:

La perruque - sans doute dans un mauvais état après tout ce temps - pouvait-elle toujours être quelque part dans un placard enfermé dans le bureau d'un  notaire de Leith?... Si vous avez des renseignements, contactez, s'il vous plaît, l'historien Tony Perrottet.

J'ai parlé de mon Blitz médiatique avec l'historien David Stevenson. Il n'était pas optimiste.  «J'imagine qu'un jour un jeune clerc a mis la main dans un placard sombre et est tombé sur une boule de poils pourrissante. Il a sans doute poussé un cri d'horreur et l'a jetée au feu.»

Sauf, ai-je pensé, si elle a été dérobée par des agents de Buckingham Palace, qui auraient voulu effacer toute trace historique du mauvais comportement royal.

Je pense tenir la prochaine intrigue de Dan Brown.

Par Tony Perrottet

Traduit par Holly Pouquet

Image de une: l'université de St Andrews, en 2000. Jeff J. Mitchell/Reuters

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