Notre sémillant ministre de l’Éducation a beau s'employer dans tous les sens et empiler mesure sur mesure, il n'échappera pas à cette triste réalité: l'école est une fabrique à crétins –j'en suis la preuve éclatante– qui, au lieu d'élever la sensibilité de l'enfant et lui permettre de jouir de tous les aspects de la vie, préfère l'engloutir sous une masse d'enseignements aussi ineptes les uns les autres dont il ne retiendra pas grand-chose si ne n'est quelques vagues connaissances tout juste bonnes à assurer le train-train de la société.
Certes, je ne nie pas l'extrême intérêt à savoir le chiffre du commerce extérieur de la Mongolie intérieure comme à pratiquer les yeux fermés le calcul d’identités remarquables mais qu'il me soit permis de me demander en quoi ces données et autres théorèmes peuvent bien nous être utiles quand il s'agit de nous interroger sur le sens de la vie ou d'apprécier à sa juste valeur ces petits moments d'éternité que sont les œuvres d'art en général.
S'il est bien une activité de l'esprit humain qui jamais ne pénètre à l'intérieur de nos écoles ou de nos collèges, c'est l'apprentissage et la découverte de la musique classique et dans cette mise à l'écart singulière, je ne peux m'empêcher de voir la mainmise d'une certaine bourgeoisie qui aussi imbécile qu'ignorante, a décrété une bonne fois pour toutes que ce genre d'expression musicale ne saurait être partagé par le plus grand nombre et demeurer ainsi une activité confidentielle réservée à une soi-disant élite peu encline à voir des hordes de gueux débarquer au beau milieu de leurs prestigieuses et rutilantes salles de concert.
Comme si par essence, la musique classique ne saurait être appréciée par la masse besogneuse laquelle, par définition, serait incapable de saisir sa beauté ou son mystère et avait vocation à être goûtée d'une seule race d'individus, j'ai nommé, les ventripotents du portefeuille, les petits marquis de la réussite sociale, l'immense cohorte des parvenus de tout poil qui n'aiment rien tant que de se retrouver entre-soi à l'Opéra, dans cette consanguinité d’intérêts qui n'est rien d'autre que la communion d'esprits aussi rassis qu'égotistes.
Théâtre, musée, mais jamais un concerto
Ce qui expliquerait qu'on puisse passer toute sa scolarité sans avoir la chance ou l'occasion d'écouter ne serait-ce qu'une seule fois une symphonie, un opéra ou tout autre morceau de musique joué par des musiciens professionnels. Je me souviens bien avoir assisté, étant collégien, à des représentations théâtrales, m'être rendu dans des musées accompagné de mes professeurs, avoir même eu la chance d'entreprendre un voyage linguistique mais jamais d'avoir eu l'opportunité de m’asseoir dans une salle de concert écouter un concerto de Beethoven. Jamais.
En guise d'éducation musicale, on se bornait à siffloter bêtement dans des flûtes à bec une fois par semaine avant de vite passer à autre chose.
Si bien que mes parents ayant peu de goût pour la musique classique, je suis arrivé à l'âge adulte totalement ignare en la matière, si ignare que j'ai dû attendre mes cinquante ans pour enfin avoir l'audace de pénétrer dans un auditorium.
Quel gâchis, quelle perte de temps qui aurait pu être évitée si seulement j'avais eu dans mes jeunes années la possibilité d'entendre un orchestre au complet jouer une de ces symphonies qui colorent l'existence et la rendent plus joyeuse, plus intense, plus intéressante à vivre.
La musique classique s'adresse à tous et toutes
Il faut l'asséner avec toute la force dont on est capable: la musique classique s'adresse à tous, elle ne requiert aucune compétence, aucune connaissance, aucune richesse matérielle, aucun costume de soirée payé à prix d'or, aucune robe de grand couturier; elle ne connaît qu'un seul langage, celui du cœur et il me semble que chacun d'entre nous, pauvre ou riche, savant ou ignorant, en possède un qui attend exactement la même chose: être transporté, quitter cette pesanteur terrestre et connaître l'extase de voyager hors du temps, dans cette palpitation de l'émotion qui finit par monter à la tête et provoquer des ivresses ineffables.
Il faut faire rentrer la musique classique à l'école, de la manière la plus divertissante et ludique qu'il soit, non pas par snobisme ou ostentation, mais pour la simple et bonne raison qu'elle permettra à tout un chacun de se frotter à un univers si infini qu'une vie ne suffira pas à en épuiser toutes les merveilles. Et d'apporter dans nos sociètés et dans nos vies en général cette douceur et cette harmonie si souvent absentes.
Au boulot.
Les générations futures ne nous diront jamais assez merci!