Ce n'était pas le cadre le plus romantique pour partager une intimité royale. J'étais assis dans une pièce blanche fluorescente du Musée de l'Université St. Andrews en Ecosse et un conservateur me tendait une paire de gants en latex pour examiner une pittoresque relique du XVIIIe siècle. Elle ressemblait à une tabatière en argent, de forme ovale et finement gravée. Mais quand je l'ai ouverte, j'ai découvert son véritable intérêt. Dedans, il y avait une touffe de poils bien tassée avec un morceau de parchemin. Il y était noté que cette touffe de poils pubiens coupés appartenait au «Mons Veneris d'une courtisane royale du Roi George IV».
Pour un voyageur passionné d'histoire, tomber sur des reliques rares est déjà excitant, mais cette soudaine connexion humaine au passé m'avait mis en transe. Encore ne s'agissait-il que de préliminaires. J'étais au musée pour inspecter une cachette de souvenirs lubriques trouvés dans de torrides clubs libertins britanniques du XVIIIe siècle. On oublie souvent que l'ère pré-victorienne fut plus lubrique que la nôtre. De telles boucles intimes, cueillies auprès des conquêtes, constituaient des souvenirs de choix; des amants se les échangeaient en gage d'affection, et des débauchés les portaient comme des cocardes sur leurs chapeaux ou comme des talismans incarnant leur puissance sexuelle. Mais une aura de mystère entoure toujours l'étendue des comportements licencieux qui avaient cours derrière les portes des clubs. George IV, qui fut un fameux chaud lapin, devint membre d'un club écossais notoirement connu et appelé le Beggar's Benison quand il était encore un jeune prince dandy. Des années plus tard, en 1822, en visite royale à Edimburg, il donna apparemment cette relique au club en souvenir du bon vieux temps. Il est impossible de savoir à qui ces boucles ont appartenu, mais sa compagne de l'époque était Elizabeth, la Marquise de Coyningham, une aventurière fougueuse et séduisante («belle, maligne, avare et voluptueuse», s'est réjoui un écrivain) qui compta également le futur tsar Nicolas I parmi ses nombreux amants.
Verres-godemiché et urnes obscènes
Pour moi, c'était plus palpitant que de caresser le heaume du roi Arthur. C'est pour des moments comme ça, me suis-je dit, que le tourisme au Royaume-Uni se porte bien. Et je n'en étais même pas encore aux verres de réception en forme de godemiché ou aux accessoires de masturbation.
«Bien sûr, chaque demande pour voir les reliques des clubs libertins doit être approuvée», m'a dit un membre de l'université. «Il faut que nous soyons prudents. Nous ne voulons pas une histoire du genre : "l'université où le Prince William a fait ses études regorge de salles pleines de pornographie !"» «Effectivement», ai-je accordé à mon interlocuteur.
Il y a quelques années, lors de mes recherches pour la rédaction d'un traité de l'histoire européenne salace, j'ai découvert quel pays de délices érotiques et de fantasmagories sexuelles fut la Grande-Bretagne à l'époque georgienne, entre 1714 et 1837. Bien avant Austin Powers, la débauche allait bon train, nourrie par les beuveries très animées et l'amour du confort. «Il y avait au XVIIIe siècle une passion du vice sans équivalent avant ou après» écrit l'historien Fergus Linnane sur un ton de nostalgie palpable dans London: The Wicked City. La richesse d'un empire en expansion permettait à la classe aisée de céder complètement à ses fantasmes charnels. Et l'aspect le plus marquant de cette inclination fut l'explosion des «sex clubs» en Grande-Bretagne, où des débauchés, des libertins, des courtisanes et des aristocrates aventurières se déguisaient avec des costumes outrés pour des cérémonies perverses. Chaque club possédait ses propres accessoires, comme des verres érotiques, des broches lubriques, ou des urnes obscènes en forme de torses humains (les votes oui ou non allant dans des orifices différents). On y consommait des toasts égrillards, on y lisait les nouvelles publications grivoises et des jeunes femmes de passage y posaient nues sur les tables en dansant comme des stripteaseuses modernes. Des pièces spéciales permettaient aux membres de se retirer en paires ou en groupes et des mondaines pouvaient se détendre avec des escort boys. Les récits d'époque qui survivent suggèrent que certains clubs pimentaient leurs orgies avec un peu de satanisme, pendant que d'autres privilégiaient des rites élaborés de masturbation.
La liberté sexuelle, tradition georgienne
Malheureusement, pendant l'ère victorienne pudibonde, la plupart des références à ces clubs libertins ont été effacées des registres historiques. Des membres de familles horrifiés ont brûlé des documents embarrassants et des enseignes de clubs. Mais leurs activités subversives ont survécu dans des romans pornographiques, des guides de voyage relatifs aux sites touristiques osés, et, bien sûr, dans la mémoire collective. A la campagne, des contes pittoresques ont perduré qui parlent de ces habitués courant dans les bois en vue d'accouplements frénétiques ou de rencontres licencieuses dans des abbayes en ruine, des jardins érotiques ou des tunnels souterrains.
Dans les années 1960, des libertins britanniques ont rappelé l'enracinement de leur liberté sexuelle dans la tradition georgienne. Des chercheurs ont trouvé des documents et des reliques qui ont survécu aux purges victoriennes. Et ils soutiennent que les membres des clubs libertins n'étaient pas tous des fous aristocrates, qu'ils étaient motivés par une quête philosophique et qu'ils furent essentiels à la promotion de l'idéal des Lumières en démontrant que le sexe n'avait pas pour objet unique la procréation mais également le plaisir.
En étudiant ces textes, je me suis rendu compte que bon nombre d'emplacements de ces clubs pouvaient être retrouvés aujourd'hui. J'ai donc préparé un itinéraire qui me mènerait dans les coins cachés de la Grande-Bretagne georgienne afin de goûter à ses plaisirs légendaires.
Covent Garden, quartier chaud et sordide
C'est dans un Londres bourdonnant que la manie des clubs a commencé. Mais quand vous visitez la ville aujourd'hui, il faut regarder au-delà des institutions victoriennes pesantes qui ont écrasé un monde de joyeux ébats amoureux. Aucune trace du Mollies Club pour les homosexuels, des différentes sociétés de travestis (des hommes aussi bien que des femmes se délectant de l'androgynie), du Club des Flagellants pour les hommes qui aimaient bien tâter du fouet, ou du club réservé aux femmes désireuses d'aventures lesbiennes discrètes sur Jermyn Street. Il faut beaucoup d'imagination pour regarder Covent Garden, aujourd'hui dominé par les marchés aux fleurs et les Body Shops, comme étant à l'époque le quartier chaud le plus sordide de la ville, avec par exemple le miteux Shakespeare's Head où des serveurs-maquereaux arrangeaient des unions entre des gentilshommes et des femmes telle Oyster Moll, qui «ouvrait la porte de sa pétaudière amoureuse à tout aventurier qui aimait y promener son caniche». Et à l'arboré St. James Square, rien ne subsiste des bordels haut de gamme comme le Miss Falkland's Temple of Love, où on pouvait boire du champagne dans des salons décorés de soie damassée et où on profitait de luxes tels que les «lits élastiques» à ressorts pour «fortifier les hommes vieux et les jeunes débauchés», similaires aux matelas vibrants des hôtels de Las Vegas, et où les médecins en résidence dépistaient la vérole chez les employées.
J'ai ensuite passé quelques jours sur la chic Pall Mall, jetant un œil aux plus anciens clubs privés de Londres, qui datent en général du XIXe siècle et sont maintenant alignés comme des bunkers, leurs portes ornées en bois gardées par du personnel en livrée. Ces anciens clubs demeurent des temples à l'entrée bien gardée, avec du verre sombre réfléchissant et presque aucune enseigne pour indiquer leur existence - un signe évident du batifolage aristocratique à mon avis.
Il fallait découvrir ce qui se passait derrière ces portes fermées. J'ai donc demandé à quelques amis anglais de me rendre service afin de pénétrer dans ces antres - l'Athenaeum Club, le Travellers Club et la Société des Antiquaires. Il y avait beaucoup de fauteuils en cuir, des peintures à l'huile de valeur, et des employés à moitié endormis dans leurs smokings, mais plus aucune bouffée de débauche, historique ou autre. Même le Brooks's Club, autrefois extravagant et où, au XVIIIe siècle, Lord Cholmondeley paria avec Lord Derby 500 guinées qu'il forniquerait avec sa maîtresse à 300 mètres d'altitude dans une montgolfière, est maintenant un havre tranquille pour brokers souriants. Je ne pouvais que rêver qu'ils avaient caché leurs verges au moment de mon entrée.
Le Hellfire club, club très privé
Puis je me suis rendu compte qu'il y avait une certaine logique à tout cela d'un point de vue historique. En 1721, des rumeurs circulaient dans la ville au sujet d'un nouveau groupe qui s'appelait le Hellfire Club, une quarantaine de «personnes de qualité», des hommes et des femmes, dirigés par un beau et jeune pair dépravé, Philip, Duc de Wharton. En plus des orgies et du sado-masochisme, on parlait de rites sacrilèges accomplis à leur domicile - des offenses à la Sainte Eucharistie, des festins d'aloyaux du diable et de la tarte au Saint-Esprit - en conséquence, le club fut fermé par ordre royal.
Peu de temps après, Londres perdit sa popularité parmi les membres des clubs extrêmes; il était trop difficile de garder leurs rites secrets si près du glaive de la loi. Mais l'idée de mélanger le sexe à la moquerie religieuse était dans l'air. Des imitations du Hellfire Club commencèrent à apparaître dans les campagnes anglaise, irlandaise et écossaise. Et le nom suggestif («hellfire» désigne les flammes de l'enfer en anglais, ndlr) est devenu l'étiquette populaire pour toutes les sociétés charnelles du XVIIIe siècle. (L'appellation «Hellfire Club» a perduré pendant des siècles, reprise par des douzaines de sociétés SM dans le monde, dont une qui a prospéré dans le Meatpacking District à New York dans les années 1970).
Il était clair que le temps de Londres était passé. Alors, comme un gentilhomme georgien cherchant du divertissement pornographique hard, je suis parti pour la campagne anglaise.
(A suivre: Damnation réservée aux membres)
Par Tony Perrottet
Traduit par Holly Pouquet
Image de une: le Brooks's Club par Wolfiewolf/Flickr