En prenant la défense du renflouement des acteurs de Wall Street, le président Obama demandait aux Américains de tolérer un certain niveau d'injustice. Aujourd'hui, en proposant une taxe sur les plus grandes institutions financières, il ne demande pas autre chose aux banquiers.
La taxe sur les banques -ou, pour ceux qui trouvent ça trop simple, la Financial Crisis Responsibility Fee [taxe de responsabilité de crise financière]- imposerait une taxe de 0,15 % aux institutions financières dont l'actif est supérieur à 50 milliards de dollars (à l'exclusion de la réserve de capital et des dépôts). Celle-ci concernerait 50 banques et permettrait de récolter entre 90 et 117 milliards de dollars sur 10 ans -en gros, le montant du plan Paulson [de sauvetage des banques] qui n'a pas encore été récupéré.
Le péché originel
Donc, c'est efficace. Mais est-ce juste? En un mot: non. Presque toutes les banques visées par cette taxe ont remboursé l'argent qu'elles devaient. Certaines ont même donné plus. Goldman Sachs, par exemple, a remboursé sa dette et payé un rendement annualisé de 23% au contribuable. En effet, ce n'est pas la partie du plan Paulson destinée aux banques qui a coûté de l'argent. Ce sont plutôt les milliards prêtés à l'industrie automobile, à AIG, et à de plus petites banques du pays, ainsi que les actions visant à limiter les saisies hypothécaires. Les grandes banques, en revanche, se sont comportées en débiteurs responsables (en tout cas, quand la crise a éclaté). Pourquoi les viser, elles?
Tout d'abord, parce qu'elles ont contribué au déclenchement de la crise -péché originel qui décrédibilise quelque peu le tollé collectif de Wall Street. Ensuite, parce que l'opération de sauvetage est loin de se limiter au plan Paulson. S'il ne s'agissait que des 700 milliards de dollars prêtés aux institutions financières, alors les plaintes des banques auraient davantage de légitimité. Mais le renflouement dépassait largement ce cadre: il impliquait que le FDIC [organisme garantissant les dépôts bancaires des particuliers] se mette à assurer les dettes des banques. Sans oublier le sauvetage par le gouvernement des fonds du marché monétaire, la Réserve fédérale relançant le marché de la titrisation, et le soutien du programme de billets de trésorerie. Les contribuables ont pris énormément de risques par le biais de ces programmes, et les banques en ont tiré profit. Enfin, parce que c'est ainsi que le plan Paulson était supposé fonctionner: la loi qui lui avait donné naissance, l'Emergency Economic Stabilization Act, stipule que le secteur financier doit rembourser tout l'argent qu'il doit. Simplement, il ne dit pas comment.
Ne pas trop grossir
C'est là qu'est l'injustice. Nulle part il n'est mentionné que ce sont les 50 plus grandes banques qui doivent rembourser les prêts. Cette responsabilité aurait pu incomber à un nombre indéterminé d'institutions financières. C'est l'idée de l'administration Obama de se concentrer sur les gros poissons -décision difficile à expliquer complètement autrement qu'en termes politiques.
Certes, il y a une explication politique. Taxer les plus grandes banques les décourage de devenir «trop grosses pour se permettre d'échouer». À quel point cela les décourage reste à débattre. Est-ce qu'une taxe de 0,15% peut dissuader deux sociétés d'investissements pesant 25 milliards de dollars de fusionner? Qui sait? Autre avantage: taxer des actifs qui ne sont pas des dépôts encourage les grandes banques à pratiquer davantage de crédits traditionnels -c'est-à-dire des prêts qui se basent réellement sur le montant des dépôts assurés dont elles disposent- ce qu'elles ont hésité à faire après avoir été renflouées. Mais cela n'explique pas pourquoi on ne demande pas un coup de main à des institutions plus petites.
L'explication de cette décision-là est politique. «Les gens ont tendance à considérer les plus petites banques comme Jimmy Stewart dans La vie est belle», explique Doug Elliot, ancien banquier d'investissements à JPMorgan qui travaille aujourd'hui à la Brookings Institution. «Elles sont bien mieux vues politiquement.» Et puis elles sont présentes dans toutes les circonscriptions du Congrès, alors que les grandes sont principalement installées à New York.
Pas de repentir
Les banquiers affirment que tout impôt qui leur sera infligé sera répercuté sur le contribuable. Cela ne gêne pas franchement les adeptes de la taxe. «Si la Bank of America veut répercuter ses coûts sur ses clients, très bien», rétorque David Min du Center for American Progress. «Je m'adresserai à ma banque régionale.» Autre objection du secteur bancaire, cette taxe va diminuer le montant des prêts qu'il peut accorder. Là encore, affirme Min, pas de problème. Si les banques prêtent moins, elles seront moins susceptibles de devenir «trop grosses pour se permettre d'échouer». En outre, elles peuvent toujours recourir à moins de titrisation et à plus de prêts s'appuyant sur les dépôts, ce qui est considéré comme plus sûr et n'est pas touché par la taxe.
Solliciter les grosses banques et laisser les petites tranquilles est peut-être un geste grossièrement populiste. Obama n'a jamais été aussi bas dans les sondages. La colère suscitée par les bonus des dirigeants fait encore rage. Et les responsables des banques défendent leurs pratiques devant le Congrès cette semaine sans manifester le moindre signe de repentir.
Mais c'est aussi une correction de trajectoire. La dernière fois, les grandes banques ont tiré profit de leurs propres failles aux dépens des contribuables. Cette fois, ce sont eux qui vont récupérer l'argent qu'ils ont perdu sur le dos des grandes banques. On ne peut réparer une injustice par une autre. Mais au moins maintenant, ils sont à égalité.
Christopher Beam est journaliste politique pour Slate. Suivez-le sur Twitter.
Traduit par Bérengère Viennot
Image de une: REUTERS/Sukree Sukplang