Bonne nouvelle pour le transport ferroviaire en France: la SNCF «a des missions de service public». Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports, l'a soudain rappelé à l'occasion de l'éventuelle suppression de services TGV jugés insuffisamment rentables par la direction de l'entreprise. Or, même si ce rappel peut paraître évident, il y a bien longtemps que les membres du gouvernement se gardaient de faire référence à un concept qui, dans sa compréhension «à la française», a été largement vidé de son sens.
Service public dans les transports régionaux...
Dans le transport de voyageurs, les nuances sont subtiles. Par exemple, dans les transports quotidiens, pour les trajets domicile-travail, il existe un vrai service public. Mais ce sont des transports régionaux pour lesquels la SNCF construit un plan de transport en partenariat avec les autorités régionales en fonction de leurs recommandations, négocie les prix et les tarifs et reçoit en compensation des subventions... versées par les régions pour que roulent les TER.
... mais pas pour les trains à grande vitesse
Pour les TGV, la SNCF doit couvrir intégralement ses frais, et même dégager des marges. Dominique Bussereau ne fut pas le dernier jusqu'à présent à souligner que la SNCF pour ses trains à grande vitesse ne devait compter que sur la gestion commerciale de ses services. Sur certaines lignes, les compagnies aériennes qui ont fort à faire pour résister à la pression du TGV ne supporteraient pas qu'il soit subventionné. Certes, pour les lignes les plus récentes, les collectivités locales sont invitées avec beaucoup d'insistance à mettre la main à la poche. Mais la SNCF n'est que l'exploitante de trains sur ces lignes. La gestion en incombe à RFF (Réseau Ferré de France), à qui revient la responsabilité du financement des voies nouvelles, donc du montage financier qui intègre les collectivités locales.
... et encore moins pour le transport de fret
Quant au transport ferroviaire de fret, il y a bien longtemps qu'on n'y parle plus de service public puisque la concurrence routière est toujours prête à combler l'absence de trains de marchandises... et qu'elle est même parvenue à tailler des croupières au chemin de fer sur ce créneau. Il existe d'autant moins de service public dans le fret que lorsque le gouvernement veut donner la priorité au fret ferroviaire dans le cadre du Grenelle de l'Environnement, la SNCF fait tout le contraire en décidant de déserter tout ce qui touche au transport de marchandises par wagons isolés. Il faut dire que l'essentiel de ces pertes sont liés à cette activité. Vous avez-dit service public?
Face à la concurrence, le compte à rebours est lancé
Jusqu'à présent, la France était portée par le rêve d'un TGV conquérant, réussite que chacun veut à sa porte et lorsqu'on en a besoin. Mais le contexte change, qui rebat les cartes de la réussite.
D'abord, l'introduction de la concurrence empêche que les lignes les plus rentables puissent compenser l'absence de marges sur les autres qui le sont moins. Car les nouveaux entrants n'iront pas proposer leurs services sur les lignes non bénéficiaires. Et s'ils se concentrent sur les plus attractives en pratiquant des prix cassés pour attirer les voyageurs, la SNCF devra peu ou prou réduire ses marges sur ces lignes pour éviter de trop fortes désaffections. Terminée, la péréquation: les lignes à fortes marges ne pourront plus soutenir l'existence des autres. Celles-ci, sans être totalement condamnées, devront faire l'objet d'une réduction du nombre des dessertes pour diminuer les coûts, améliorer le taux de remplissage des trains et relever les marges réalisées. Certes, on n'en est pas encore là, mais le phénomène se produira inéluctablement. Nul doute que Guillaume Pépy, à la tête de l'entreprise ferroviaire, prépare le terrain.
De l'incidence des péages
La question des péages n'est pas anecdotique non plus. Ils correspondent au versement d'un droit de circulation en fonction des lignes exploitées et du nombre du nombre de trains en service. Les quelque 3 milliards à payer cette année ont justifié, selon la SNCF, la hausse de 1,9% des tarifs TGV en début d'année. Le montant de ces péages est fixé par RFF. Au nom de l'équité dans les conditions de concurrence, RFF est contraint de pratiquer pour la SNCF les mêmes péages que ceux que devront acquitter ses compétiteurs. Qu'un avantage soit concédé à l'opérateur historique, et les procès s'accumuleront auprès des autorités de la concurrence, voire à Bruxelles. En outre, le montant de ces péages est destiné à entretenir et moderniser l'ensemble du réseau de chemin de fer (13 milliards d'euros doivent être investis à cet effet d'ici à 2013), dont certaines lignes ont été trop longtemps laissées pour compte.
Choisir entre la vitesse et le nombre de dessertes
Reste la sélection des dessertes. Dès qu'une ligne se crée, toutes les collectivités réclament une gare et des dessertes. C'est leur rôle. Mais pour circuler à sa vitesse maximale, un TGV ne peut s'arrêter partout, sauf à se transformer en omnibus avec des temps de parcours beaucoup plus longs. Ce n'est pas ce qu'attendent les voyageurs, qui auront tôt fait de passer à la concurrence sur des relations de point à point lorsqu'elle existera.
L'équilibre des comptes, un objectif
Ainsi, même si elle est encore virtuelle, la perspective d'être commercialement défiée sur ses lignes à grande vitesse pousse la SNCF à anticiper sa réponse. En outre, son actionnaire - l'Etat - lui demande d'équilibrer ses comptes. Or, le contexte ne s'y prête pas. A cause de la crise, la SNCF a perdu 496 millions d'euros au premier semestre 2009, dont 173 millions pour le transport de voyageurs (y compris les TGV, dont 1 sur 5 serait déjà déficitaire). Il s'agit pour l'entreprise de redresser la barre en restaurant des marges par une gestion plus rigoureuse. D'où le chiffon rouge agité sur certaines dessertes de TGV.
Définir le service public des TGV
Dominique Bussereau a raison d'affirmer que les Français attendent autre chose de la SNCF qu'une approche purement commerciale de ses services. C'est-à-dire autre chose que le «service d'intérêt économique général» défini par la Commission européenne, et auquel la SNCF répond en voulant resserrer ses conditions d'exploitation. Dans ce cas, Dominique Bussereau a raison de parler de «service public». Mais ceci a un prix, comme l'a négocié La Poste pour assumer une mission d'aménagement du territoire. Le choix de la concurrence (ratifié à Bruxelles dans les transports par la gauche comme par la droite) et, par là, la loi du marché, implique des conditions d'exploitation et des obligations qu'il ne conviendrait pas de découvrir seulement maintenant.
Toutefois, concurrence et service public ne sont pas forcément antagonistes, dès l'instant où la puissance publique, par une autorité de régulation, fixe un cahier des charges et des contraintes identiques pour tous les opérateurs. Mais à ce stade, on n'a pas connaissance d'engagements précis qui seraient demandés à la SNCF et à ses futurs compétiteurs dans l'exploitation de services à grande vitesse. Y aurait-il anguille sous roche que Dominique Bussereau aurait souhaité débusquer pour réhabiliter une notion de service public plutôt malmenée? On attend, dans ce cas, qu'il en définisse le contenu.
Gilles Bridier
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Image de Une: Gare de Marseille, en 2007. Jean-Paul Pelissier / Reuters