Société

Dis-moi comment tu t'habilles, je te dirai qui tu combats

Temps de lecture : 9 min

De l’Antiquité à aujourd’hui en passant par Mai 68, quelques tentatives de rébellion par le vêtement.

Le vêtement, à la fois signe de reconnaissance et parfois détournement volontaire des codes établis. | freestocks via Unsplash License by

Signe d’appartenance, le vêtement est parfois aussi forme de rébellion, indice de désobéissance pour mieux résister. Pour mener un combat, une lutte contre une caste, un pouvoir politique, deux solutions s’opposent: ou s’emparer de ses codes et se les approprier malgré les interdictions, ou au contraire tenter leur élimination au profit de nouvelles normes.

Enlever est aussi une option comme les féministes jetant (voire brûlant) leur soutien-gorge.

Mais les rebelles d’un jour peuvent vite être récupérés et, vidé de tout sens, leur combat n’est plus parfois... qu’un phénomène de mode.

Lois somptuaires

Dès l’Antiquité sont édictées des lois somptuaires, qui sont autant des mesures de protectionnisme que de maintien des signes d’appartenance liés à une caste pour empêcher que d’autres y accèdent. Ainsi le rouge (pourpre) était un privilège impérial à Rome. Montaigne, dans un chapitre de ses Essais sur les lois somptuaires écrit:

«Si l’on dit, en effet, que seuls les princes mangeront du turbot, porteront du velours et des tresses d’or, et que cela est interdit au peuple, n’est-ce pas renforcer le prestige de ces choses-là et faire croître en chacun, justement, l’envie d’en disposer.»

Toute l’ambiguïté est là. Dominés et dominants (Bourdieu) se distinguent par la maîtrise des codes. S’emparer de ces signes de pouvoir pour accéder à une caste peut aussi s’interpréter comme une façon de trahir sa classe; le mieux est parfois de se créer de nouveaux codes en une visible opposition.

Les lois somptuaires n’existent plus vraiment, mais leur souvenir demeure dans la façon dont les codes vestimentaires sont perçus… Dominique Desanti évoque la relation ambiguë qu’eut le parti communiste français face à la mode: «Il y avait des intellectuels qui ont trouvé qu’il fallait faire communiste en ne s’habillant pas.»

Les sans-culottes

Face à l’aristocratie et à la bourgeoisie qui portaient la culotte avec des bas, les révolutionnaires de 1789 manifestèrent avec un vêtement différent: un pantalon à rayures bleues et blanches et un bonnet phrygien rouge (au départ un accessoire de protection pour certaines professions qui devint symbolique). Avec son intention politique, le terme de sans-culotte s’impose dans L’ami du peuple, le journal de Marat. Il est décrit dans Le Père Duchesne en 1793: «Le soir, il se présente à sa section, non pas poudré, musqué, botté...» Loin des codes vestimentaires de l’aristocratie, le vêtement de la révolution est en marche avec sa nouvelle et fière allure, même si le nom peut prêter à sourire aujourd’hui.

Le port du pantalon pour une femme a été légalisé en France... en 2013

Si désormais le pantalon est part importante d’une garde-robe au féminin en France, son port n’a été légalement autorisé qu’en 2013.

L’histoire du pantalon est un combat qui va de pair avec l’émancipation féminine. Pendant la Révolution française, les amazones tentèrent en vain le port de la culotte. En 1800, le préfet de Paris décide que toute femme désirant s’habiller en homme devra en demander l’autorisation (renouvelable tous les six mois) à la préfecture de police. Seules exceptions autorisées, en compagnie d’un cheval ou d’un vélo!

Aux États-Unis, Amelia Bloomer, militante des droits de la femme a laissé son nom au bloomer, une culotte bouffante.

À la même époque, en France, les Vésuviennes militent pour le port du pantalon, mais ont d’autres revendications trop fantasques (mariage obligatoire à 21 ans). Elles clamaient: «Pour vaincre les despotes... Nous portons la culotte.»

Les suffragettes en 1903 choisissent le port de la jupe culotte. Un compromis pas accepté par Colette qui écrit en 1912: «La jupe, oui. La culotte, oui. La jupe-culotte, non.»

Quelques femmes osent le pantalon: Coco Chanel, Greta Garbo et Violette Morris condamnée pour son exemple déplorable. La couture fait des tentatives avec des constructions ambiguës et hypocrites: robe du soir divisée, double jupe...

«Suffragette City» interprétée en live par un David Bowie qui savait manier la rebellion par le vêtement. | Via YouTube.

Yves Saint Laurent avec son smoking pour femme participe au mouvement et bouscule les codes même si, encore en 1968 et à New York, Nan Kempner se vit refuser l’accès à un restaurant en raison d’un tailleur pantalon.

Mais c’est sans doute par l’entremise du jean unisexe que le pantalon s’imposa avec force, mais sans loi, dans le quotidien au féminin.

Futurisme

Mouvement mineur, le futurisme recelait pourtant nombre d’éléments d’une petite révolution et s’intéressait au vêtement. Les manifestes de Marinetti (1914) imaginèrent d’abord un nouveau vêtement masculin, mais ce n’est qu’en 1920 que la femme eut voix au chapitre. Une tentative de révolution par le vêtement, mais aussi un exemple concret que, ex nihilo, on ne peut modifier le cours de l’histoire, ni trop influencer des comportements.

«Les formes nouvelles ne devront pas cacher mais accentuer, développer, exagérer les golfes et promontoires de la péninsule féminine»

Volt (écrivain et poète)

Au masculin, deux textes de Giacomo Balla pour que l'homme se libère d‘un style romantique, oublie «coupes et coloris pédants», «motifs rayés et à carreaux», «boutons inutiles». Le vêtement futuriste se veut simple, dynamique, pratique... Quelques propositions intéressantes: l'asymétrie, l’utilisation de matériaux divers, pas d’harmonie colorielle. Mais ces manifestes prônaient aussi un bellicisime outrancier dans le contexte d’une période qui précède la Première Guerre mondiale.

Pour la mode féminine, c’est le poète Volt qui développe ses idées en 1920 pour une mode féminine sous l’égide de la praticité et de l’économie; le tout dans le contexte de l’après-guerre. La femme futuriste aura des paradoxes, «ne sera jamais assez extravagante» et en même temps demeure très féminine: «Les formes nouvelles ne devront pas cacher mais accentuer, développer, exagérer les golfes et promontoires de la péninsule féminine.»

Des précepts très loin de tout ce qui va se passer pour les femmes. Ce mouvement qui prona la vitesse, la modernité, est demeuré un feu de paille.

Mai 68

Sur les barricades, le vêtement de la contestation sera le jean. Si le pantalon au féminin s’octroie désormais droit de cité, les filles succombent à l’air de la mode et portent aussi la mini-jupe. Le tee-shirt est manifeste, mais sur les photos de mai 68 figurent encore beaucoup d’étudiants en vestes et chemises.

L’air des manifs joue un rôle dans la mode introduisant de micro-révolutions de style. Yves Saint Laurent popularise la saharienne chic. En 1968, Sonia Rykiel imposera de nouveaux codes: les rayures, la maille, les coutures à l’envers. Aux États-Unis débute Calvin Klein.

L’émergence des créateurs emboîte le pas à un besoin de changements à tous les étages. Face à ces filles en pantalon, un conseiller de Paris demande en 1969 une modernisation de la réglementation de 1800 puisque «la désuétude ne peut se substituer à un texte formel». Le préfet répond qu’il n’en voit pas l’utilité: «Changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité.» Pas vraiment visionnaire!

Aux États-Unis, lors d’un concours de miss America, des féministes débarquent et jettent leur soutien-gorge. D’un côté on s’empare d’un signe masculin, le pantalon –et de l’autre on évacue les stigmates de la féminité.

Hippies

Optimistes un peu rêveurs, les hippies prônent le peace and love et cela se traduit avec des robes à fleurs, des cheveux longs, des tuniques indiennes, des bandeaux, des vêtements venus d’ailleurs, exotiques. Les hommes osent la couleur et un parfum de patchouli embaume les boutiques et les rues.

Woodstock... c'était doux. | Via YouTube.

Autour du Summer of Love en 1967 à San Francisco ou du Woodstock de 1969 flotte une utopie psychédélique. Dans les brumes de paradis artificiels sur les chemins de Katmandou, l’exotisme d’un flower power se dessine, farouchement non violent.

Punk

Mouvement de rébellion face à la société, aux affres de la consommation, les punks ont développé une esthétique très marquée avec des codes tellement forts que finalement ils sont devenus un vocabulaire de mode à leur corps défendant. Le mouvement tire ses origines de la musique déjà dans les années 1960, et devient très populaire dans les années 1970.

Le rejet du système par les punks recelait des codes esthétiques qui ont nuit à sa démarche au point de devenir un style plus qu’un vrai mouvement de rébellion.

Les couleurs sombrent dans le noir (jean, blouson), s’invitent des épingles à nourrice, des déchirures, des bijoux en métal hurlant, des chaînes... Aux pieds, des godillots, type Doc Martens. Des badges viennent alimenter le discours. Un look destroy? À Londres, Malcolm McLaren, manager des Sex Pistols, en couple avec Vivienne Westwood, popularise cet esprit dans leur magasin de King’s Road –avec aussi des accessoires issus de sex shops.

Cheveux rasés ou en pétard, crête d’iroquois, pointes agressives; du noir, du rouge, du violet, des couleurs dans les cheveux. Ce look vient s’opposer à l’attitude passive et béate des hippies. L’optimisme de Woodstock n’est plus de mise. No Future. Un pessimisme militant succède à l’optimisme des hippies.

Sex Pistols - «God save the Queen». | Via YouTube.

Mais la mode s’empare du style, opte pour les blousons, broie le noir, se pique d’épingles, se lacère destroy. Zandra Rhodes, Vivienne Westwood en Grande-Bretagne et aussi des collections plus contemporaines comme celles de Junya Watanabe s’inspirent de l’esthétique punk, source infinie d’inspiration.

Le rejet du système par les punks recelait des codes esthétiques qui ont nuit à sa démarche au point de devenir un style plus qu’un vrai mouvement de rébellion.

Jeunesse rebelle

Aujourd’hui une forme de résistance, d’opposition au «système» peut passer par la case mode. Le choix d’un code vestimentaire comme la capuche est symptomatique. Historiquement ce type de vêtement fut même interdit au XIVe siècle avec une loi sur ce que l’on appelait alors les «faux visages».

Aujourd’hui le sweat à capuche (hoodie) est emblématique et associé souvent à une jeunesse en rupture. Assimilé à un code d’une jeunesse proche de la délinquance, il est parfois interdit comme à Londres où son port fut proscrit en 2000 dans l’enceinte d’un centre commercial.

Kery James - «Racailles». | Via YouTube.

Pantalon trop large qui descend en dessous de la taille, le baggy s’est inspiré du pantalon que portent les détenus et qui, ne pouvant être tenu par une ceinture, «tombe». D’où son choix imprimant une forme de rébellion face à la société en rejoignant une marge. Un style vestimentaire d'ailleurs souvent interdit dans de nombreuses écoles –mais le plus souvent pour des raisons esthétiques: le baggy donnant vue sur les sous-vêtements.

Vêtement égalitaire

L’utopie du vêtement le même pour tous a particulièrement été importante en Chine avec ce que l’Occident a baptisé le costume Mao. Historiquement, à la chute de la dynastie Qing, la Chine impériale disparaissait au profit d’une république (1911-1949). Sun Yat-sen, celui qui renversa le régime, choisit pour lui une tenue de la province du Guandong avec quelques modifications: quatre poches, col rabattu et cinq boutons. Ce costume se popularisa et fut adopté par la population qui se coupa aussi la natte obligatoire en Chine impériale.

Ce costume veste et pantalon prit le nom de Zhongshan. À son arrivée au pouvoir, Mao choisit une variante du Zhongshan et l’imposa comme un standard obligatoire. La veuve de Sun Yat-sen elle, s’occupa plus tard du versant féminin avec le Cheongsam.

Là, c’est face à l’obligation d’un vêtement universel que les Chinois déployèrent des trésors d’inventivité discrète pour ajouter de petits détails pour échapper à l’austérité d’un costume unique: l’ajout d’un crayon, d’une épingle pour égayer la silhouette... Ce costume et son col Mao devinrent célèbres en Occident. Là aussi les créateurs de mode s’en emparèrent et si Thierry Mugler en fit des costumes pour hommes, c’est Jack Lang qui, en 1985, fit sensation et scandale dans l’hémycycle avec sa veste.

Le costume de Jack Lang et l'Assemblée Nationale - Archive INA. | Via YouTube.

Quant à Jean Ferrat, il choisit dans sa chanson «Les jeunes imbéciles» de prendre l’exemple du col Mao pour se gausser des révolutionnaires de pacotille qui ont oublié mai 68: «Ils ont troqué leur col Mao / Contre un joli costume trois-pièces / La plage est loin sous les pavés...»

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