«Il faut nettoyer au Kärcher cette violence qui tue nos enfants dans les cités.» C'est ce qu'a déclaré Fadela Amara au quotidien «Le Progrès» après la mort d'un adolescent de 12 ans, lors d'une fusillade en pleine rue à Lyon. Les propos choc de la secrétaire d'Etat à la Ville ont été critiqués à gauche où on l'accuse de faire le jeu du FN. Mais ils ont aussi énervé le groupe Kärcher, bien connu pour ses machines de nettoyage.
Pour ses dirigeants, l'utilisation de la marque «en association avec une question politique polémique et négative porte préjudice à l'ensemble du groupe, à ses valeurs, à ses clients, à ses collaborateurs». Ce n'est pas une première. Quatre ans plus tôt, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait provoqué la colère de l'entreprise en déclarant vouloir «nettoyer au Kärcher» une cité de Seine-Saint-Denis. La société avait alors protesté via une vaste campagne de communication contre l'amalgame dont elle se prétendait victime.
Campagne de pub
Pour Kärcher, il est clair que ce genre de petites phrases, comme celle lâchée par Fadela Amara, nuit à l'image de la marque. La société (1,4 milliard d'euros de chiffre d'affaires) «ne se reconnaît pas dans les propos auxquels est associé son nom». Elle s'estime mêlée malgré elle à «des débats politiques qui ne la concernent pas». Manque de chance pour l'entreprise, elle s'apprête à lancer une vaste campagne de publicité télévisée «pour célébrer ses 75 ans d'innovation». La polémique risque de brouiller les messages positifs qu'était censé délivrer son coûteux plan de com'.
On peut néanmoins s'interroger sur l'existence d'un véritable préjudice. Les clients potentiels de ces machines de nettoyage, qu'ils soient particuliers ou professionnels, seront-ils influencés au moment d'acheter? On ne voit pas pourquoi. La qualité du produit, la manière dont il est fabriqué, ses caractéristiques techniques ne sont pas en cause. L'impact de la polémique sur les ventes sera donc nul. Car ce n'est pas la société qui est critiquée, mais l'expression utilisée par Fadela Amara.
En réalité, la marque est victime de son succès. Cela fait des lustres qu'elle écrase son marché au point que n'importe quel engin de nettoyage à eau est appelé maintenant un Kärcher. Peu à peu, ce nom est rentré dans le vocabulaire courant au même titre que Frigidaire qui désigne en fait un réfrigérateur. Idem quand vous allez faire vos courses. Vous dites Caddie pour nommer un chariot de supermarché alors que c'est une marque protégée. Un poil tatillonne, l'entreprise qui en a les droits exclusifs ne manque pas de le rappeler régulièrement par courrier aux journalistes qui la citent dans leurs articles.
Dans sa lettre adressée à Fadela Amara, le champion du nettoyage reprend cet argument juridique [PDF]: «Le nom Kärcher est une marque déposée appartenant à la maison mère Alfred Kärcher Gmbh & Co Kg.» Il faudrait donc le citer uniquement pour désigner les produits du groupe. Sinon, vous ne respectez pas «les droits de la marque».
Expression culte des années Sarkozy
Malgré tout, difficile pour l'entreprise d'empêcher les politiques, les médias et monsieur tout le monde d'employer, à bon ou à mauvais escient, l'une des expressions cultes des années Sarkozy. Les scénaristes du film «Neuilly, sa mère!», sorti l'été dernier, ne s'y sont pas trompés en l'utilisant dans une scène. C'était presque une obligation. Dans cette comédie sans prétention qui a fait un carton au box-office, un gamin d'une cité de Chalon est propulsé «dans l'enfer de Neuilly-sur-Seine».
Finalement, la marque devrait se résigner à faire partie du vocabulaire courant, quitte à être involontairement l'objet d'un débat politique très sensible. Mieux encore, selon certains spécialistes du marketing, elle devrait s'en réjouir. Quand son nom est cité par Fadela Amara, c'est une campagne de pub gratuite. Super pour le business que d'obtenir une sorte de caution gouvernementale. Pour les plus cyniques des experts, la «promesse» du produit s'en trouverait même renforcée puisque dans la bouche de la secrétaire d'Etat, Kärcher est associée à une efficacité radicale. Pas sûr que le groupe allemand apprécie cette fine analyse marketing.
Bruno Askenazi
Image de une: Mschel/Wikimedia