Je suis un criminel: je n'ai pas d'enfant. Du moins à ma connaissance. Certes, il se pourrait que dans la fougue de ma jeunesse, en un moment d'égarement bien regrettable, lors d'une rencontre impromptue avec une demoiselle de passage, j'eus déposé là où il n'aurait pas fallu quelques gouttelettes de ma précieuse semence mais franchement, au regard de ma vie amoureuse qui fut tout sauf scandaleuse, qu'il me soit permis d'en douter.
Car non seulement, je n'ai pas d'enfant mais mon cas est encore plus gravissime puisque jamais je n'en ai voulu. Ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Ce fut probablement là le seul principe de base de mon existence auquel je n'ai jamais dérogé: aussi longtemps que je vivrais sur cette terre, personne ne pourra venir prétendre que je suis son père. Est-ce que j'en ai nourri des regrets? Aucunement. S'il m'était donné de remonter le fil du temps ou qu'une puissance céleste m'accordât une seconde vie –compte dessus et bois de l'eau fraîche– agirais-je pareillement? Sans le moindre doute, votre Honneur.
Quelle cruauté d'imposer cette épreuve qu'est la vie
C'est que j'ai du mal, beaucoup de mal même, à voir en quoi la vie serait une merveille telle qu'il serait répréhensible de ne pas la partager avec d'autres chez qui coulerait alors le même sang que le mien. J'ai beau chercher, je ne trouve aucune raison valable à condamner un être qui, sans mon recours, n'existerait pas, à arpenter cette terre où, une fois passées les belles heures de l'enfance –et encore!– il devra se farcir une existence qui ressemblera, la plupart du temps, à un interminable chemin de croix, à une lente et longue décrépitude, à un véritable jeu de massacre durant lequel, projeté dans un monde plein de bruit et de fureur, un monde terrifiant dont personne n'a encore trouvé jusqu'ici la moindre explication à son origine, il lui faudra aller, supportant sur ses frêles épaules le poids des épreuves, des blessures, des renoncements, des deuils, avec comme seule et unique perspective, celle de finir sa route dans une tombe creusée au beau milieu d'un cimetière municipal à l'abandon.
Faut-il donc être assez cruel pour infliger à un être innocent tout ce par quoi nous sommes passés, toutes ces années où nous avons cru à la magnificence de l'existence, avant de s'apercevoir qu'elle n'était, au bout du compte, que source infinie de tracas, de chagrins, de déceptions, de rancœurs égoïstes, de désillusions, d'ennuis avec dans le fond de la gorge, ce goût amer de la défaite, du désespoir le plus absolu quand l'esprit découvre, stupéfait et un brin scandalisé, l'aveuglante solitude de toute destinée humaine –cette parenthèse qui s'ouvre pour mieux se refermer comme le claquement sec du cercueil sur le corps à jamais engourdi– funeste destinée, que rien, absolument rien, ne viendra jamais éclairer ou réchauffer.
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Désir égoïste et pression sociale
Pourquoi croyez-vous donc que l'homme passe le plus clair de son temps à se fuir, à s'enivrer, à recourir à toutes sortes de drogues, à tout entreprendre afin de cesser de cohabiter avec lui-même, avec cet espèce d'avorton stérile et à moitié débile qui ne sait comment vivre, qui doute de tout, à commencer de lui-même, qui n'est que larmes, plaintes, récriminations adressées à un Dieu dont on ne sait rien, si ce n'est son penchant à ne jamais répondre à nos sollicitations au point de se demander s'il ne vaut pas mieux qu'il n'ait jamais existé.
D'ailleurs, n'est-ce pas précisément pour combler ce manque, afin d'attendrir cette douleur à être, que nous procréons, dans ce désir égoïste de ne pas se retrouver abandonné quand nos forces se retrouveront sur le déclin, lorsque l'esprit déclinant, nous n'aurons même plus assez de forces pour changer la chaîne de notre téléviseur, obstinément et affreusement bloqué sur TF1? Ou alors ce serait la pression sociale qui nous obligerait à nous reproduire dans cette obstination de la société à se renouveller afin de ne pas dépérir et jeter dans la misère ces millions qui la composent.
Autant je puis comprendre le désir, le besoin même d'une femme à donner la vie, au cœur de cette relation unique qu'elle entretient avec le fœtus par son ventre tendrement couvé, autant je trouve quelque peu dérisoire qu'on puisse attacher une véritable importance à cette gouttelette de sperme qui, faraude comme pas une, s'en va tracer sa route, dans les encombrements d'une anse féminine, avant de franchir, on ne sait comment ni pourquoi, la ligne d'arrivée en vainqueur.
Quelle valeur accorder à cette particule de semence, une parmi des millions, qui saura su se montrer assez téméraire pour triompher des obstacles dressés sur son chemin et découvrir un ovule assez hospitalier pour le laisser entrer tel un misérable ivrogne qui, titubant dans les rues d'une ville inconnue, achève son errance nocturne dans les draps de soie d'une princesse enivrée d'amour? Aucune!
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Quant à la question de la survie de l'espèce, il me semble que l'homme sans conscience n'est rien, et que si conscience, il possède, il lui reste alors à tirer les conséquences de sa réflexion et laisser à d'autres le soin de peupler cette terre.
Cela nous fera des vacances (c'est fou ce que j'ai la pêche en ce moment!)
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