Société

Procès d'Edith Scaravetti: «Je suis un monstre, je suis un monstre! J’ai retourné l’arme contre lui»

Temps de lecture : 15 min

[Episode 1] Août 2014, Laurent Baca disparaît après une dispute avec sa compagne. Mars 2018, celle-ci comparaît pour meurtre devant la cour d'assises de Toulouse. Récit.

 Volcan Olmez via Unsplash License by
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Edith Scaravetti a tué son mari. Un accident? Un acte impulsif et désespéré contre un époux particulièrement violent? Ou bien un meurtre de sang-froid?

Récit en quatre épisodes du procès d'Edith Scaravetti.

Épisode 1: «Je suis un monstre, je suis un monstre! J’ai retourné l’arme contre lui»

Épisode 2: «Il n’y avait pas de bleus, pas de traces, et elle marchait très bien»

Épisode 3: «Je m’y suis mal prise, c’est vrai. Mais je voulais vraiment l’aider»

Épisode 4: «Je veux que Maman reste le moins longtemps possible à la maison d’arrêt»

Tout semble limpide. Ils sont rares ces procès d’assises où l’on est, dès la première heure, frappé par l’évidence. Au milieu des jurés de la cour d’assises de la Haute-Garonne, le président Michel Huyette lit l’ordonnance de renvoi rédigée par la juge d’instruction.

À leur droite, dans le box des accusés, Edith Scaravetti semble avoir vécu bien plus que trente-deux printemps. Par un drôle de signe du destin, le soleil est enfin sorti de sa trêve hivernale et n’éclaire qu’elle. Un rayon de lumière tombe sur ses cheveux bruns, glisse sur ses épaules et descend jusqu’à ses mains serrées entre les genoux sans toucher rien ni personne d’autre.

Le 11 août 2014, Edith Scaravetti pousse la porte du commissariat. Son compagnon Laurent Baca a disparu depuis le 6 août. Ils se sont disputés, et le père de ses trois enfants est parti sans téléphone, sans vêtements de rechange, sans voiture et sans argent. La commandante de police chargée de la protection de la famille à Toulouse ouvre le jour même une enquête pour «disparition inquiétante de personne majeure». Dans ce cadre juridique, on ne peut mettre quelqu’un en garde-à-vue. On recherche une personne disparue et non une infraction. Dans notre pays nous sommes parfaitement libres de circuler et de disparaître sans donner de nouvelles à nos proches. «C’est le terme “inquiétant” qui nous intéresse», explique-t-elle à la barre.

«Nous étions convaincus du décès de Laurent Baca. Mais nous ne savions pas pourquoi, ni comment.»

La commandante de police

Entre la disparition et la déclaration de disparition, cinq jours se sont écoulés. C’est beaucoup, surtout lorsqu’il s’agit du conjoint. C’est un premier signal. Edith Scaravetti évoque une déprime: le fils aîné de Laurent Baca, Gaetan*, vit à Nîmes avec sa mère, et ce dernier lui manque terriblement. Sauf qu’on ne trouve aucune trace de l’homme de trente-sept ans, ni dans les prisons (il est consommateur et revendeur de cannabis et cocaïne pour arrondir ses fins de mois), ni dans les hôpitaux du coin. Aucun mouvement sur ses comptes bancaires n’est relevé.

Suite aux auditions des proches –la famille et les amis de Laurent Baca– la police s’aperçoit que le disparu aimait beaucoup trop ses enfants et était bien trop proche de sa mère, qu’il appelait tous les jours ou presque, pour être parti seul, à pied, et volontairement. Un détail surtout, retient l’attention des enquêteurs:

«Le comportement d’Edith Scaravetti nous laissait très perplexe», explique à la barre la commandante de police.

Durant les investigations, la jeune femme paraît «détachée et non concernée par cette disparition. Sa belle-famille trouve très étrange qu’elle s’isole et ne participe pas aux recherches. Il n’y a aucun contact de l’initiative d’Edith Scaravetti avec la brigade, pour demander où en sont les recherches ou apporter des éléments».

La commandante de police poursuit: «Cela nous a amené à demander l’ouverture d’une information judiciaire. Ce qui nous permettait d’avoir des moyens supplémentaires, comme par exemple la mettre sur écoute, mais pas seulement. Nous étions convaincus du décès de Laurent Baca. Mais nous ne savions pas pourquoi, ni comment.»

«Pardonnez-moi l’expression, mais ça sentait la mort»

Pendant trois mois et demi, les enquêteurs auditionnent des dizaines de témoins. Certains vont se présenter spontanément après avoir vu l’appel dans la presse locale. Pendant tout ce temps, Edith Scaravetti se rend invisible; elle ne passe ni ne reçoit d’appel téléphonique; les volets sont tout le temps fermés; elle perd du poids à vue d’oeil, tremble de tous ses membres, fume cigarette sur cigarette.

Le 20 novembre 2014, la brigade débarque à huit heures du matin chemin Tucaut, dans le quartier résidentiel de Saint-Simon, à quelques kilomètres du centre-ville de Toulouse. Les enfants d’Edith Scaravetti sont confiés aux voisins dès le début de la perquisition.

Le chien spécialisé en recherche de cadavre n’est pas disponible ce jour-là, mais c’est inutile. À peine ont-ils posé le pied dans la maison immaculée que les enquêteurs sont saisis par l’odeur.

«Pardonnez-moi l’expression, mais ça sentait la mort», dit à la barre un policier de la sûreté départementale. Une odeur que, de par leur métier, ils ne connaissent que trop bien. Ils inspectent le garage, la cuisine, le jardin et même le terrain vague à proximité. Rien. Et puis il y a ce puits, qui pourrait être une cachette idéale. Les sapeurs-pompiers le sondent, en vain. Sur le canapé, Edith Scaravetti plie le linge d’un air absent. La SRPJ veut passer le salon au «Bluestar», un révélateur de traces de sang. Pour cela, la pièce doit être plongée dans le noir complet. Tout le monde, à l’exception de la police technique et scientifique, doit quitter le rez-de-chaussée. Edith monte dans la chambre, s’asseoit sur son lit. Elle parle d’une arme posée en haut de l’armoire, emballée dans une serviette éponge. Une carabine 22 Long Rifle qui appartenait à son grand-père. Puis elle s’effondre, la tête dans les mains:

«Je suis un monstre, je suis un monstre! J’ai retourné l’arme contre lui.»

L’enquêtrice lui demande:

«-Où est le corps?

-Il est au-dessus de vous.»

Dans les combles en travaux, au-dessus de la chambre, l’équipe découvre entre deux piliers de briques un coffrage fait de béton, de plâtre et de cartons. À l’intérieur, le corps de Laurent Baca gît dans des sacs-poubelle remplis de liquide de putréfaction. Il est 11h10, une instruction pour meurtre est ouverte.

Dans la maison, il y a Edith, Laurent, et puis autre chose

Dès le départ, un élément important émerge du dossier. Des amis de Laurent Baca et Edith Scaravetti évoquent les «relations chaotiques» du couple. Laurent Baca ne travaille pas et reste à la maison. Sa propre mère admet qu’il a un problème avec l’alcool. Les témoignages, quasi unanimes, confirment que Laurent boit plus que de raison. Que ivre, il devient une autre personne, agressive, voire délirante, le verbe haut et mauvais. («Quand il buvait il pouvait devenir con», dit un de ses copains.)

À tel point que la famille Scaravetti ne vient plus leur rendre visite et ne les invite plus non plus («Les repas de famille, on n’arrivait pas à aller jusqu’à la fin, explique le grand frère d’Edith à la cour. On n’arrivait pas à le gérer. On le gérait pas.») Les enfants ont déjà appelé leur mère sur son lieu de travail parce qu’ils avaient peur. Laurent Baca est maniaque. Sa maison, ses enfants, doivent être impeccables. Edith s’occupe de tout. Le ménage, la cuisine, les trois enfants qu’il faut emmener à l’école et au centre de loisirs, puis aller chercher après le travail. Les devoirs, le jardinage, les courses aussi. Un des copains de Laurent Baca précisera aux enquêteurs:

«Je n’ai jamais vu de femme comme elle, comme dans l’ancien temps. [...] Je la décrirais comme exceptionnelle. Laurent a beaucoup de chance de l’avoir.»

Le soir elle dépose toujours la capsule de café dans la machine pour que le matin, il n’ait plus qu’à appuyer sur le bouton.

Ce n’est un secret pour personne. Laurent Baca se cuite comme si les lendemains n’existaient pas. Il y a la drogue, aussi. Les joints et la cocaïne. Tout ça est entendu. Il n’est peut-être pas junkie, ni même vraiment alcoolique. Ce qui se passe, c’est que Laurent Baca est excessif dans tout ce qu’il entreprend. Tout le monde le sait et le prend tel qu’il est, plus ou moins.

Mais il existe bien un secret. Un secret si puissant qu’il rétrécit tout. Dans la maison, il y a Edith, Laurent, et puis autre chose. C’est la maladresse d’Edith qui se cogne aux portes, ou le sommeil agité de Laurent pendant la nuit. C’est le geste un peu trop ample qui ouvre le placard et la rampe d’escalier un peu trop loin pour qu’on l’attrape à temps quand on y trébuche.

«Les histoires de couple, c’est des histoires de couple. C’est difficile de s’immiscer. On fait tous un peu la même chose, on fait la politique de l’autruche, et on s’éloigne.»

Un témoin

Edith garde le silence, et son silence devient collectif. Les bras serrés contre sa veste noire, le grand frère d’Edith raconte à la cour:

«Elle me disait: “t’inquiète pas Jocelyn, y a rien de mal.” Et du coup… j’ai laissé faire.»

Une amie d’enfance confirme: «On aurait pu taper du poing sur la table, dire quelque chose… Le problème c’est que nous après on rentrait à la maison. Edith restait chez elle.»

«Les histoires de couple, c’est des histoires de couple. C’est difficile de s’immiscer. [...] On fait tous un peu la même chose, on fait la politique de l’autruche, et on s’éloigne», explique une autre témoin.

L’enquête autour de la disparition de Baca a délié les langues. Les discours provocateurs, les marques de doigts sur le bras, les bleus sur les jambes, et Edith toujours plus réservée, plus discrète, parfois ailleurs. L’absence de plainte –et même l’absence de main courante– est une chose. Mais ce qui trouble les enquêteurs, c’est que la seule à ne pas saisir leur perche est Edith Scaravetti elle-même. Lors d’une seconde audition au commissariat, elle est confrontée aux déclarations de ses connaissances. La jeune femme minimise: «Faut pas exagérer, ce n’est pas si grave que ça.» Quand les choses deviennent trop graves, il faut en même temps qu’elles deviennent dérisoires.

«C’est quelqu’un qui est là pour les siens»

Edith Scaravetti est née un matin de mai 1985. Elle doit son prénom à quelqu’un qui avait de la voix, Édith Piaf, et que sa mère adorait presqu’autant qu’elle. Enfant, on lui a raconté des centaines de fois l’histoire de sa naissance. Sa mère avait mis au monde deux beaux garçons. Elle aurait bien voulu une fille, mais son père ne désirait pas de troisième enfant. Il était heureux avec sa famille comme ça, et pensait que sa femme aussi finalement. Mais les choses qui apparaissent trop dérisoires peuvent aussi devenir graves, et la mère d’Edith est tombée en dépression. Tant et si bien que le médecin de famille a dû intervenir pour convaincre le père d’avoir un troisième enfant. Une fille.

Quand Edith a douze ans, elle part en vacances au camping avec sa famille. À la plage, elle ne se sent pas bien, alors elle décide de retourner au camping. Dans les douches, un homme l’attrape par derrière et la viole. Quand ses parents et son frère rentrent de la plage avec des amis, elle se tait.

«Ils avaient l’air tellement content. Je ne voulais pas leur gâcher la journée», expliquera-t-elle des années après.

À partir de là, tout s’enchaîne. Peu de temps après, ses parents se séparent et Edith part vivre avec sa mère chemin Tucaut, à Saint-Simon, chez son grand-père. La mère va de plus en plus souvent chez son nouveau compagnon, encouragée par la fille. À 15 ans elle se retrouve presque seule à s’occuper d’un grand-père dont l’état physique et mental se détériore au fil des mois. Atteint d’Alzheimer, il a des crises de colère et un certain goût pour la liqueur. Edith décroche de l’école, a de moins en moins de copines. Mais elle ne se plaint pas. C’est un peu dur parfois, car elle va aussi une semaine sur deux chez son père, inconsolable depuis sa rupture. Mais elle ne se plaint pas.

«C’est quelqu’un qui est là pour les siens», soulignera une experte dans son rapport de personnalité. Son grand frère connaît une peine de coeur et déraille, alors elle va lui rendre visite aussi souvent qu’elle le peut. Mais elle ne se plaint toujours pas.

À dix-sept ans, son grand frère Jocelyn lui présente Laurent Baca. Elle prend la pilule mais tombe enceinte quelques mois à peine après leur rencontre et à l’été 2004. Laurent emménage avec elle et son grand-père. Alors qu’elle est dans son huitième mois de grossesse, Laurent et Edith rendent visite à Jocelyn et à sa petite amie.

«On était assis sur le canapé, tranquillement... Et je ne sais pas ce qui s’est passé, elle était enceinte, elle avait un joli petit ventre, et d’un coup Laurent s’est levé et l’a empoignée par les cheveux. Je ne sais même pas pourquoi. Aujourd’hui je ne sais toujours pas pourquoi», témoigne celle qui est toujours la compagne de Jocelyn.

Edith accouche en mars 2005.

«Je me souviens, pour fêter la naissance de leur fille aînée et la présenter aux amis, un apéro avait été organisé, raconte son amie d’enfance. La petite passe de bras en bras. Laurent Baca s’énerve. Je l’ai vu donner un coup de pied à la cheville d’Edith en lui disant “va chercher ma fille”.»

L’année suivante, Edith donne naissance à un garçon, Franck*, puis à une autre fille, Justine*, en 2007. À vingt ans, Edith est maman de trois enfants à qui elle consacre toute son énergie et son temps libre. Laurent Baca, lui, ne s’assagit pas. Ses amis lui font bien remarquer que c’est «pas cool, de parler comme ça à Edith». Lui ne répond rien. Voisins et proches le voient dans des états impossibles, sous l’emprise de l’alcool, attrapant Edith par la nuque et lui intimant de faire à manger.

«Si nous à l’extérieur on l’a vu capable de violences, je pense qu’à la maison il devait être plus libéré», admet une témoin à la barre. La seule chose qui paraît le calmer, c’est lorsque ses parents sont appelés à la rescousse. Une témoin se souvient d'une scène où Laurent, ivre, dépassait les bornes en pleine rue. «Il avait la tête en arrière, en train de baver, hurlait. Il s’est métamorphosé quand ses parents sont arrivés», se remémore-t-elle.

Une balle tirée dans le lit conjugal

Une nuit de janvier 2014, Laurent Baca –qui s’est accaparé la carabine 22 Long Rifle de fabrication soviétique qui appartenait au grand-père d’Edith (il l’a nettoyée, rénovée et en a poli le canon)– tire une balle dans le lit conjugal alors qu’Edith s’y trouve. Balle qui sera retrouvée onze mois plus tard lors de la perquisition. Edith prend peur, elle jette le chargeur et les balles à la poubelle avant de cacher l’arme au-dessus de l’armoire de la chambre à coucher.

Début août, après une semaine passée en famille à Palavas-les-Flots, la réalité la rattrape et Edith n’arrive pas à se concentrer au travail. Chez une personne âgée dont elle s’occupe, elle aperçoit un tube de Valium, en avale quelques uns... et puis c’est le trou noir. Malaise vagal. Laurent vient la chercher. Le médecin ordonne des examens à l’hôpital, et le couple récupère les enfants qui ont dîné chez leurs grands-parents pour rentrer à la maison («Laurent était tendu car il avait passé la journée à l’hôpital», se souviendra lors de son audition Jennifer, la soeur de Laurent.) Nous sommes le 5 août 2014. La famille Baca ne reverra plus Laurent.

Edith se couche, épuisée. Vers trois heures du matin, Laurent débarque ivre dans leur chambre, la tire par la cheville et la fait tomber du lit. Il la frappe tandis qu’elle est au sol, dos à la fenêtre. Il la traite de mauvaise mère, de bonne à rien, de grosse vache, lui dit que c’est pas à lui de faire le taxi, et qu’en plus «elle avait rien». Edith ne réagit pas.

Laurent attrape une chaise dans le coin de la chambre: «En plus, tu me prends pour un con.» Il monte sur la chaise, plonge la main au-dessus de l’armoire et sort la carabine 22 Long Rifle de sa cachette. Il pointe le canon vers Edith et, comme elle ne bouge toujours pas, se dirige vers la porte de la chambre de leur fille aînée. Quand il a la main sur la poignée de la porte d’Élodie*, Edith l’attrape par le bras («c’est bon, c’est bon»). Il la repousse d’un coup de coude. Elle dévale les escaliers sur les fesses. Il rit, lui dit qu’elle est pathétique. Ils se disputent au rez-de-chaussée. Laurent gifle et donne un coup de tête à Edith, elle tombe face la première sur le bord de la cheminée du salon. Puis Laurent Baca s’allonge sur le canapé, et pose le bout du canon de l’arme sur sa tempe. Il défie la jeune femme de tirer: «Vas-y, mais vas-y! Bouge-toi, sers à quelque chose au moins une fois de ta vie! T’es même pas capable de ça!»

L’arme n’est-elle pas neutralisée, puisqu’elle en a retiré le chargeur et jeté les munitions? Edith se sent toucher la crosse de la carabine, et le coup part. Une balle était chambrée. Alors elle court se réfugier dans la salle de bains («la seule pièce de la maison qui ferme à clé») et attend. Il va la rappeler. Elle attend qu’il la rappelle, parce que c’est comme ça que ça se passe. Et puis le jour se lève, et Laurent Baca ne la rappelle pas.

*Les prénom ont été changés.

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