Dimanche 4 mars, Sergueï Skripal était en train de marcher avec sa fille lorsqu’ils furent pris d’un malaise et s'effondrèrent sur un banc avant d’être rapidement emmenés à l’hôpital, où ils demeurent actuellement dans un état critique. Jeudi 8, la police britannique a annoncé que 21 personnes avaient dû être prises en charge par les services médicaux après avoir été exposées au poison. L’officier de police ayant porté assistance à Sergeï Skripal et à sa fille est dans un état stable. Il est conscient et peut parler.
Mercredi 14, Theresa May a jugé la Russie «coupable» de l'empoisonnement de cet ex-espion russe. La Première ministre britannique a annoncé la «suspension des contacts bilatéraux» avec Moscou lors d'une allocution devant les députés britanniques et l'expulsion de vingt-trois diplomates russes du Royaume-Uni.
Poison mortel
Un tribunal russe avait reconnu Sergeï Skripal coupable d’espionnage pour le compte de la Grande-Bretagne en 2006, mais il avait été ensuite rendu à l’Angleterre dans le cadre d’un échange d’espions en 2010.
«Cela permet d’envoyer un message clair à ceux qui songeraient entrer en dissidence ou déserter les rangs: où que vous soyez, nous vous retrouverons.»
Lorsque la police britannique a annoncé qu’un agent neurotoxique était impliqué, les soupçons sont immédiatement tombés sur les services secrets russes, qui ont un certain passif en matière d’assassinats de dissidents et d’espions renégats –parfois avec du poison.
Le Kremlin a immédiatement nié toute implication et aucune preuve formelle n’a permis pour l'instant de lier directement les services de sécurité russes à cette tentative d’assassinat.
Cependant, les agents hautement neurotoxiques ne sont, en principe, employés que par les services de sécurité d’État. La Russie n’est d’ailleurs pas la seule à les utiliser contre ses ennemis. L’année dernière, des agents nord-coréens ont ainsi assassiné le demi-frère de leur leader Kim Jong Un en ayant recours à l’agent neurotoxique VX. De même, en 1997, des agents israéliens avaient tenté d’assassiner un chef du Hamas, Khaled Mashal, avec une dose létale de Fentanyl.
Mais il faut reconnaître que la liste de femmes et d’hommes visés par des assassinats après s’être mis le Kremlin à dos inclut bon nombre d’empoisonnements.
«Cela permet d’envoyer un message clair à ceux qui songeraient entrer en dissidence ou déserter les rangs, déclare Steve Hall, en charge des opérations russes pour la CIA jusqu’à son départ en retraite en 2015. Où que vous soyez, nous vous retrouverons.»
Alexander Litvinenko
Le cas d’Alexandre Litvinenko est de loin le plus célèbre exemple d’assassinat par empoisonnement. Le dissident russe fut tué en 2006 après avoir ingéré du polonium-210, une substance hautement radioactive, qui avait été versé dans son thé.
Ayant fui la Russie en 2000, Litvinenko était devenu l’un des plus virulents critiques de Vladimir Poutine et des services de sécurité russes. Il avait écrit un livre accusant le FSB russe –successeur du KGB– de complicité dans les attentats de 1999 en Russie, attribués par Poutine aux séparatistes tchétchènes. Ils servaient, selon lui, de prétexte à une relance des opérations militaires dans la région et de tremplin à Vladimir Poutine pour se maintenir au pouvoir.
L’utilisation du polonium pour tuer Litvinenko avait une autre utilité...
«C’est une manière de mourir particulièrement horrible, explique Hall. Cela envoie un message extrêmement fort.»
Il est probable que Litvinenko n’ait pas été trop surpris de son sort.
«Le principe chez nous était que le poison était une arme comme une autre, au même titre qu’un pistolet, avait-il déclaré au New York Times deux ans avant son assassinat. Ce n’est pas de cette manière qu’il est perçu en Occident, mais chez nous c’était une arme ordinaire.»
Vladimir Kara-Murza
Politicien de l’opposition russe, Vladimir Kara-Murza détient un record dont il se passerait sans doute bien: il a survécu non pas à une tentative d’assassinat par empoisonnement… mais à deux.
Vladimir Kara-Murza en février 2018 | DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
La première eut lieu en 2015, lors d’une réunion durant laquelle il se sentit soudainement mal:
«En l’espace d’une vingtaine de minutes, alors que je me sentais parfaitement bien, mon rythme cardiaque s’est emballé, ainsi que ma pression sanguine. Je me suis mis à transpirer et à vomir partout, et puis j’ai perdu conscience», a raconté Kara-Murza au New York Times en 2016. Les médecins lui ont dit qu’il avait été empoisonné.
Puis, en 2017, c’est à nouveau arrivé. «J’ai tout de suite su de quoi il s’agissait, parce que c’était la deuxième fois que ça arrivait en deux ans. Et cela a commencé presque exactement de la même manière», a dit Kara-Murza à NBC.
Ses médecins l'ont prévenu: il ne survivrait sans doute pas à une troisième tentative.
Georgi Markov
En septembre 1978, Georgi Markov attendait son bus près de Waterloo Bridge à Londres lorsqu’un homme lui planta son parapluie dans la jambe. Il se sentit immédiatement mal et fut conduit à l’hôpital.
Il s’avéra que le parapluie était équipé d’un mécanisme injectant de la ricine, toxine obtenue après pressage de graines de ricin. Dans l’histoire des assassinats russes par empoisonnement, Hall déclare que c’est «leur ancêtre à tous».
Écrivain bulgare dissident, Markov s’était enfui de son pays en 1968 et avait commencé à travailler pour des médias occidentaux. Il était en route vers son travail aux bureaux de la BBC lorsqu’il fut tué par un agent travaillant, estime-t-on depuis longtemps, pour le compte des services secrets bulgares, appuyés par le KGB.
Ibn al-Khattab
En 2002, le commandant Khattab, combattant islamiste né en Arabie saoudite devenu chef des rebelles tchétchènes, reçut une lettre. Ce fut la dernière qu’il ouvrit de sa vie. Elle contenait, pense-t-on, une dose mortelle de sarin ou de l’un de ses dérivés. L’opération fut probablement organisée par des agents du Kremlin.
Peu de temps après sa mort, le FSB annonça que Khattab, dont le vrai nom était Samir Saleh Abdoullah, avait été tué lors d’une «opération spéciale».
Viktor Iouchtchenko
Au beau milieu de l’élection présidentielle ukrainienne de 2004, le candidat Viktor Iouchtchenko tomba soudainement malade et disparut de la circulation. Lorsqu’il réapparut, son visage avait été ravagé suite à l’ingestion de ce que ses médecins décrivirent comme une dose presque mortelle de dioxine.
Viktor Iouchtchenko reprit sa campagne et finit par gagner cette élection très contestée, qui culmina par d’importantes manifestations de rue en sa faveur, un mouvement baptisé «révolution orange». Bien qu’aucune responsabilité n’ait été formellement établie pour cet empoisonnement, les soupçons se portèrent immédiatement sur les services de sécurité russes et ukrainiens.
À LIRE AUSSI Iouchtchenko: les leçons d'un empoisonnement
Alexandre Perepilitchni
En novembre 2012, l’homme d’affaires Alexandre Perepilitchni sortit faire un jogging sur les terrains de sa très chic résidence fermée de Londres. Après avoir couru une trentaine de mètres, il s’évanouit et décéda.
Perepilitchni avait fourni des preuves aux enquêteurs suisses prouvant les allégations d’une vaste affaire de fraude menée par les autorités russes sur un fonds d’investissement, Hermitage Capital Management, géré par l’homme d’affaires américain Bill Browder.
Si les circonstances exactes entourant son décès restent floues, les enquêteurs ont retrouvé des traces de gelsemium, une plante toxique rare, dans l’estomac de Perepilitchni.
Karinna Moskalenko
Karinna Moskalenko devait rentrer de Strasbourg à Moscou en 2008 afin d’assister au procès du meurtre de l’une des ses clientes les plus connues –la journaliste Anna Politkovskaïa.
Karinna Moskalenko en novembre 2011 | FRANCOIS GUILLOT / AFP
Mais l’avocate spécialisée dans les droits de l’homme dut retarder son retour en Russie, prise de maux de tête intenses et d’étranges vertiges. Après inspection de leur voiture, Karinna Moskalenko et son mari découvrirent des billes d’un métal liquide, sans doute du mercure, sous l’un des sièges avant.
Anna Politkovskaïa
Avant d’être assassinée dans l’ascenseur de son immeuble en 2006, la journaliste Anna Politkovskaïa avait été la cible d’une tentative d’empoisonnement.
Politkovskaïa, qui s’était fait une quantité innombrable d’ennemis en couvrant l’invasion de la Tchétchénie par la Russie, essayait de rejoindre l’Ossétie du Nord en 2004, afin de participer aux négociations de la prise d’otages dans une école de Beslan. Elle monta dans un avion et commença à se sentir mal après avoir bu un thé qui devait, selon elle, contenir du poison.
Dans un article écrit en 2004 pour le Guardian, elle décrivit le moment où elle se réveilla à l’hôpital, une infirmière penchée sur elle: «Ils ont essayé de vous empoisonner, ma belle», lui avait murmuré l’infirmière.