Un petit parfum malsain flotte sur Twitter, à 9.000 kilomètres de la Guyane. Celui d'une rumeur complotiste autour du résultat de l'élection législative partielle du 11 mars, qui a vu la réélection de Lenaïck Adam dans la seconde circonscription de ce département d'outre-mer.
Le candidat de La République en marche (LREM) a obtenu 50,65% des suffrages exprimés. Il a à nouveau devancé Davy Rimane, qui avait troqué son étiquette régionaliste de juin 2017 contre celle de La France insoumise (LFI), dont il avait le soutien pour cette élection.
Les résultats du précédent scrutin ont été annulés par le Conseil constitutionnel en décembre, en raison de l'absence d'assesseurs dans deux bureaux de vote. Le candidat macroniste l'avait alors emporté avec 50,21% des voix.
Scrutin serré
Jean-Luc Mélenchon et ses partisans plaçaient beaucoup d'espoir dans cette consultation partielle pour infliger une défaite au président de la République –une estocade que le chef des insoumis recherche depuis plusieurs mois. Pas tout à fait accessoirement, il espérait également renforcer son groupe de dix-sept députés à l'Assemblée d'une unité supplémentaire.
À dire vrai, cette hypothèse n'était pas infondée. Le second tour des élections générales de 2017 s'était soldé par un très faible écart entre Adam et Rimane: cinquante-six voix sur plus de 13.000 suffrages exprimés. Le premier tour de la partielle de 2018, malgré un écart de huit points en faveur du député invalidé –43,1% contre 35,1% pour l'insoumis, pouvait entretenir le doute sur l'issue finale.
L'abstention, toujours très élevée, était en net recul par rapport à 2017 –65% contre près de 74%, révélant un véritable intérêt pour le remake de cette consultation. D'autant que deux autres candidats éliminés totalisaient 15% des voix, qui allaient peser lourd au second tour –même si les consignes de vote sont rarement suivies d'effet dans ce département d'outre-mer.
La ballotage n'était pas si aisé pour Adam. Le second tour a tenu ses promesses; la participation a encore grimpé. Il a fallu que parviennent les résultats du vote de la dernière commune, Saint-Laurent-du-Maroni, pour que les scores provisoires basculent et que le macroniste l'emporte sur l'insoumis.
Relent complotiste
Il n'en fallait pas plus pour que certains au sein du camp du battu commencent à mettre en doute la sincérité du scrutin sur les réseaux sociaux et laissent planer, l'air de rien, un non-dit sur l'organisation d'un vote communautaire, voire ethnique.
Autant dire tout de suite que Rimane s'est lui-même immédiatement désolidarisé de ce type d'interprétation. Interrogé par la chaîne locale du service public Guyane - La 1ère sur l'existence d'un tel vote, le candidat de La France insoumise a clairement refusé d'entrer dans ce débat polémique.
Mélenchon y a pour sa part mis un pied, en rédigeant nuitamment un tweet au léger relent complotiste subliminal.
Encore une fois, encouragé par le silence complice du parti médiatique au premier tour, les résultats de Grand Santi en Guyane campent en zone Corée du nord : 98% pour le candidat de Macron.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 11 mars 2018
L'ancien candidat à la présidence de la République n'a pas manqué de s'en prendre une fois de plus au supposé «parti médiatique» et de s'interroger, de façon assez transparente, sur le résultat de l'une des quatorze communes de la circonscription.
Il se trouve que dans le département de la Guyane, comme dans certaines régions de la métropole, il existe des spécificités électorales locales, sans que cela signifie forcément qu'il y ait trucage, manipulation ou instrumentalisation.
Spécificités électorales locales
La forte implantation catholique en Bretagne a longtemps été un frein à la montée du Front national. A contrario, l'existence d'un autonomisme alsacien ancien a plutôt été un facteur favorable à la percée de l'extrême droite.
Plus au sud, la tradition d'une «gauche-cassoulet» a permis l'enracinement du radical-socialisme mâtiné de franc-maçonnerie, façon IIIe République –à moins que le mécanisme n'ait fonctionné dans l'autre sens. On pourrait multiplier les exemples.
La Guyane aussi a ses spécificités. Les résultats du second tour de la partielle sont, à cet égard, éclatants: il y existe un vote de l'ouest et un vote de l'est. Toutes les communes situées en bordure du Maroni et comprises jusqu'au fleuve Mana, à l'ouest du territoire, ont placé Adam, candidat LREM, en tête. Et toutes les communes situées en bordure ou à proximité de l'Atlantique, au nord-est, ont donné la préférence à Rimane, candidat LFI.
Le département est traversé par une verticale invisible qui part d'Iracoubo, au nord, pour aller jusqu'à Saül, au sud, en passant par Saint-Élie.
Saint-Laurent, Mana, Maripasoula, Apatou, Papaïchton et Grand Santi sont des communes majoritairement acquises à Adam, qui est un Bushinengué, c'est-à-dire un descendant direct des esclaves africains évadés à partir du XVIIIe siècle de la Guyane néerlandaise voisine –aujourd'hui le Surinam. Toutes les autres communes ont placé Rimane en tête.
Soit Mélenchon ignore ces particularismes locaux, soit il feint de les ignorer. Il est venu en Guyane faire campagne pour son candidat, pendant plusieurs jours, avant le premier tour: il serait très étonnant qu'on ne l'ait pas entretenu de ces choses-là, d'autant que le président du groupe insoumis de l'Assemblée nationale est à la fois un homme curieux, cultivé et intelligent.
Bien arrivé à Cayenne en #Guyanne avec @Deputee_Obono et @YounousOmarjee. Merci à @DavyRimane et à la #TeamDavy pour leur accueil chaleureux ! #LegislativesPartielles #Circo97302 #FaisonsLE pic.twitter.com/ZkhpCNvxXd
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 26 février 2018
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Vote des Bushinengués contre étiquette régionaliste
Mélenchon ne peut pas découvrir qu'à Grand Santi, berceau de la famille bushinenguée du candidat macroniste, on vient voter en pirogue de tous les villages voisins qui bordent le Maroni. Grand Santi –1.022 électeurs inscrits, 684 suffrages exprimés au second tour– a pour maire un oncle de Lenaïck Adam.
Plutôt considérés comme des «citoyens de seconde zone» par la République, les Noirs marrons tirent en toute logique une certaine fierté de voir l'un des leurs réussir une carrière académique –Adam est diplômé de Sciences-Po, professionnelle et politique, à 26 ans seulement.
Adam est le premier Bushinengué à entrer au palais Bourbon. À cette aune, il est un peu compréhensible que dans sa commune d'origine et aux alentours, il bénéficie d'un soutien plus que massif qui lui donne un score... nord-coréen: il a recueilli 667 des 684 suffrages exprimés. Davy Rimane en a quant à lui drainé dix-sept, comme au premier tour.
Le candidat insoumis a pour sa part a fait le plein de voix à Kourou, sa ville d'origine où il est connu comme agent EDF et syndicaliste –il est secrétaire général de l’Union des Travailleurs Guyanais (UTG) Éclairage et fait partie de ceux qui ont animé le large mouvement social de mars-avril 2017 dans le département. Rimane a également été placé en tête par les électeurs à Macouria, Sinnamary, Iracoubo et Montsinery.
Porte-parole du collectif Pou Lagwiyann Dékolé («Pour que la Guyane décolle»), Davy Rimane représente la mouvance indépendantiste de l'opposition guyanaise au pouvoir central de la métropole. Pour lui, passer sous la bannière de La France insoumise s'est finalement avéré moins payant que l'étiquette régionaliste.