Économie

La France a perdu la bataille commerciale

Temps de lecture : 4 min

Ce n'est pas la relocalisation partielle en France de la production de la Clio 4 qui redressera notre balance commerciale.

Au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré, Nicolas Sarkozy veille aux intérêts de la France et rappelle la petite Clio à ses devoirs. Carlos Ghosn s'est rendu, une partie des Clio 4 seront assemblées à Flins. Aux frontières, les douaniers veillent et dépriment. Ce n'est pas la Clio qui leur pose problème. Eux regardent passer les marchandises, toutes les marchandises. Ils tiennent un compte précis de ce qui entre, de ce qui sort. Et depuis de longs mois, le douanier n'a plus le moral. Cela fait six ans que nos guetteurs voient la balance des paiements constamment négative. Les chiffres peuvent varier d'une source à l'autre, mais le constat demeure. La France a perdu la bataille commerciale contre le reste du monde.

Produire en France

Fort heureusement, Nicolas Sarkozy compte redresser les choses et le voilà qui s'en prend à la Clio, la petite Renault. Quoi? On vendrait aux Français des voitures venues d'ailleurs. Il faut que cela cesse. Pas sûr que ce soit le bon dossier, mais il faut bien commencer par un bout pour redresser la balance des paiements. Ce sera donc la Clio. C'est vrai que des Clio neuves sont immatriculées en France et viennent d'ailleurs. Au cours des 6 premiers mois de l'année, 157.447 Clio II ou III ont été assemblées dans six pays. Les ouvriers de Flins en ont assemblé 64.000 (1), Cela fait 42% de la production mondiale. Dans le même temps, 66.000 Clio ont été immatriculées en France. Il faut donc importer 2.000 Clio pour satisfaire la demande en France. Pas de quoi réveiller le président de la République. Eh bien si, justement. Le ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, le disait le week-end dernier. Nicolas Sarkozy l'a redit ce week-end à Carlos Ghosn, le président de Renault: les Clio vendues en France doivent être produites en France.

Soit, l'intention est bonne. A priori en tout cas. Mais quelle est la situation de notre commerce extérieur? Prenons les chiffres de l'OCDE qui ont l'avantage de permettre une comparaison internationale. En 1999, la balance des paiements est largement positive: 46 milliards de dollars. Nous vendons au reste du monde plus que nous ne lui achetons. D'accord, c'est un record, ce chiffre de 1999, mais cela fait déjà sept ans que les douaniers voient entrer plus d'argent qu'il n'en sort. Pourquoi cela s'arrêterait-il? La France est sur une bonne dynamique, le Made in France se vend bien. Que cela continue.

La balance des paiements penche

Curieusement, non seulement ça ne va pas se prolonger, mais ça va sérieusement se gâter. Les années 2000 ne seront qu'une lente et inexorable descente? En 2005, la balance des paiements devient négative de 10 milliards de dollars. Le fond du gouffre, c'était en 2008. Il semble que personne ne l'ait vu: -64,4 milliards de dollars. Et l'année dernière, si les choses se sont arrangées, c'est uniquement parce que le commerce mondial est entré en léthargie. A fin septembre, le trou était déjà de 40 milliards de dollars!

Les plus patients peuvent aller faire un tour dans le kiosque statistique des Douanes, il n'est pas facile de trouver un secteur, un sous-secteur ou un produit industriel dont la balance aux frontières soit supérieure à 0. Avant, il y avait l'automobile. Tous les ans, elle dégageait un solde positif de 7 milliards d'euros. L'année dernière, c'est un solde négatif de 7 milliards que l'automobile devrait afficher. Aujourd'hui, seul le tourisme semble positif et fait rentrer des recettes. Peut-être que la haute couture et les produits se transportent mal. L'idéal est de vendre une voiture dans un rayon de 2.500 km autour de l'usine. Le papier toilette, ça ne va pas au-delà de 400 km. Alors là, notre balance commerciale du «papier crêpe à usages domestiques, d'hygiène ou de toilette», cote 48030031, est positive. Sur les douze derniers mois, nous en avons vendu pour 69 millions d'euros au reste du monde et nous en avons importé pour 59 millions. C'est un peu comme si aux Jeux olympiques nous avions enlevé la médaille d'or de la boule lyonnaise.

Plus sérieusement, peut-on faire en sorte que les voitures vendues en France soient construites en France? Non. Que ce soit heureux ou malheureux, la réponse est négative. Les frontières sont ouvertes, la Commission européenne veille à ce qu'aucune préférence nationale ne vienne gêner la circulation des marchandises dans l'Union européenne et chacun peut acheter la voiture de son choix. D'ailleurs, le consommateur français peut s'inquiéter de voir des voitures fabriquées en Turquie arriver en France, il peut aussi choisir librement de le faire ou pas.

Et le consommateur?

Le consommateur n'est pas sans responsabilité. Quand il décide d'acheter, il compare les prix, évalue seul le rapport qualité/prix. Après, il se démène pour arracher 5, 10 ou 15% de rabais. Bref, il a le choix et il marchande. En face, le vendeur de Renault, de Peugeot, de Skoda ou d'Audi va raboter ses prix et le patron des usines va limer ses coûts et réduire les emplois... Pour redresser la balance commerciale, chacun peut agir et refuser d'acheter une Volkswagen, une Seat, une Fiat. Aucune n'est assemblée en France. En même temps, nous sommes en 2010 et Renault vend ou tente de vendre des voitures en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Revenir à une bataille de tranchée semble un peu suranné.

Que faire? Pour reprendre la question de Lénine. Regarder sérieusement la question. A quoi ressemble Renault. A Boulogne-Billancourt, le berceau du groupe, il ne reste que le siège, le design et la cabane où Louis Renault a assemblé ses premières automobiles. La plus grande usine de Renault se trouve aujourd'hui en Turquie, à Bursa, au sud d'Istanbul, à 3.478 km. En même temps, Renault possède 44% de Nissan, contrôle le coréen Samsung et détient Dacia, une marque qui peut lui permettre d'aller en Afrique, en Amérique du Sud ou en Europe centrale. La contrepartie est évidemment que 20% des voitures particulières estampillées Renault ou Dacia sont construites en France, contre 63% en 1999.

Maintenant, la France a-t-elle définitivement perdue la guerre face à la Chine, à la Corée ou au Japon? On peut le dire... Mais il faudra alors expliquer pourquoi l'Allemagne a réalisé un parcours exactement inverse. En 1999, sa balance des paiements est négative de 28 milliards de dollars. Dix ans plus tard, elle est positive de 244 milliards de dollars. Sans doute faut-il regarder plus sérieusement la question de la compétitivité des entreprises françaises que de montrer du doigt la petite Clio.

Philippe Douroux

LIRE EGALEMENT: Ce qui est bon pour Renault n'est pas bon pour la France et L'inévitable déclin de l'industrie auto française ne doit surprendre personne.

Image de Une: La Renault Clio Benoit Tessier / Reuters

(1) La première version de ce papier comportait une inversion de chiffre: la France construit bien 64.000 Clio et non 66.000 comme initialement écrit. Avec nos excuses.

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