Monde

La dette architecturale de Dubaï

Temps de lecture : 3 min

Le plus haut gratte-ciel au monde, le Burj Khalifa de Dubaï doit beaucoup à Frank Lloyd Wright.

Après les tours Petronas de Kuala Lumpur, le Taipei Financial Center à Taiwan, c'est au tour du Burj Khalifa de Dubaï - plus de deux fois plus haut que l'Empire State Building de New York - de devenir le plus haut gratte-ciel du monde. Les Etats-Unis qui les ont inventés et détenaient tous les records de hauteur ont perdu il y a plus de 10 ans leur avance dans ce domaine. Cinq —voire six si on compte les deux tours Petronas— gratte-ciel dépassent aujourd'hui l'immeuble le plus haut des Etats-Unis, la Willis (ex-Sears) Tower construite il y a 37 ans.

Un symbole, mais de quoi?

Mohamed Alabbar, président de la société publique responsable de la maîtrise d'ouvrage, cité par le Guardian la considère comme le symbole «de la détermination et de l'optimisme de Dubaï en tant que ville mondiale. Un symbole fort pour tout le monde arabe». Mais de quel symbole au juste? Comme le remarquait Al Jazeera «avec une économie locale en état de choc après le rééchelonnement de la dette de Dubaï, personne ne saurait aujourd'hui prédire quel sera le taux d'occupation du plus haut gratte-ciel du monde» qui, avec son hôtel de 15 étages, ses 37 étages de bureaux et ses 1.100 appartements aura coûté 1,5 milliard de dollars. L'avenir nous dira si le Burj Khalifa restera comme un symbole de détermination, d'optimisme et d'énergie ou au contraire comme le symbole de la mégalomanie — ou simplement de la richesse passée — de l'Emirat.

Mais quoi qu'elle symbolise par ailleurs, c'est avant tout un symbole de la technologie américaine, car si les Américains ne battent plus de records de hauteur chez eux, ils continuent de le faire chez les autres. Le Burj a en effet été conçu par Adrian Smith et Bill Barker, respectivement architecte et ingénieur chez Skidmore, Ownings & Merrill de Chicago, (l'agence qui a conçu cinq des dix plus hauts immeubles du monde) et la maîtrise d'œuvre confiée à Turner Construction de New York (même s'il appartient désormais à un groupe allemand). Ses 57 ascenseurs, un point névralgique avec ses 206 étages, ont été fournis par —devinez?— Otis. Le cabinet responsable des permis était britannique et les travaux ont été réalisés par des Sud-coréens.

Mais le Burj est également américain pour une autre raison. La plupart des articles qui lui ont été consacrés ont essentiellement parlé de sa hauteur et de sa situation géographique, mais son architecture aussi est intéressante. Il ne représente pas un minaret comme les tours Petronas ou une flèche stylisée comme le Financial Center de Taipei. Adrian Smith (qui a depuis quitté SOM) et Bill Baker n'ont pas imaginé un empilement de boîtes à chaussures comme la Sears Tower, un immeuble high-tech comme la tour Hearst de Norman Foster ou une sculpture hélicoïdale à la Santiago Calatrava. Ils ont au contraire opté pour une forme organique volontairement surannée qui fait penser à une stalagmite.

Les connaisseurs ont été nombreux à observer les nombreuses similitudes entre le Burj et un projet d'immeuble de 528 étages en bordure du lac à Chicago, deux fois plus haut que le Burj, conçu par Frank Lloyd Wright en 1956 et jamais réalisé. Le Mile-High Illinois: béton armé, des plateaux dont la surface diminue au fur et à mesure que l'on s'élève ce qui leur donnent une forme de fusée, une structure centrale partant de la base et se terminant en aiguille au sommet, un plan triangulaire de l'Illinois et un tripode du Burj dont les trois ailes font office de contreforts.

Les projets de Wright

Je ne sais pas si Wright, qui n'était pas connu pour être facile, aurait considéré ce plagiat comme un hommage, mais il aurait certainement été flatté de voir une version de ce projet être réalisé au Moyen-Orient, où l'un de ses projets les plus spectaculaires a été annulé. En 1956, le jeune roi d'Irak, Faysal II, qui voulait moderniser Bagdad avait commandé des projets à différents architectes occidentaux, dont celui de nouvelle université à Walter Gropius, le musée national à Alvar Aalto, un stade et un complexe sportif à Le Corbusier et l'Opéra à Wright.

Le vieux magicien, comme l'appelle son biographe Brendan Gill, avait conçu pour ce projet une mise en scène fantastique de Shéhérazade sur le Tigre, un opéra circulaire entouré de colonnades et de jardins aquatiques, et surmonté d'une flèche ouverte abritant une statue d'Aladin et sa lampe magique. Mais le projet terminé, le roi Faysal et sa famille étaient assassinés lors d'un coup d'Etat, et le nouveau régime n'a pas donné suite à ce projet. Les projets les plus audacieux de Wright comme l'Opéra de Bagdad et le Mile-High Illinois sont en général considérés comme un peu fous, des rêves éveillés d'un magicien sur le tard. Le Burj montre que le vieux magicien a encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Witold Rybczynski

Traduit par Francis Simon

Image de Une: La Tour Burj à Dubaï, la plus haute du monde. REUTERS/Ahmed Jadallah

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