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Qui veut la peau de Gilbert Arenas?

Temps de lecture : 8 min

La NBA profite des mauvaises blagues d'un joueur star pour s'en débarrasser.

A la suite d'un entretien en tête à tête avec Gilbert Arenas, le patron de la NBA David Stern a confirmé la suspension du joueur jusqu'à la fin de la saison.

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Les grands sportifs ont le rare talent de rassembler les gens. Prenez Gilbert Arenas: qui d'autre aurait pu inciter [le politicien défenseur des droits civiques] Al Sharpton et le New York Post [conservateur] à rejoindre la même clique?

Et pourtant, dans une chronique du Washington Post la semaine dernière, Sharpton a ajouté le célèbre arrière des Wizards de Washington à la liste des sportifs «vitrines d'un comportement violent et destructeur» (qu'il considère comme la manifestation d'une «maladie» culturelle), et approuve la décision de la NBA de suspendre Arenas pour une période indéterminée.

Ou encore, comme le dit un commentateur du site Internet du New York Post: «Les joueurs se comportent comme s'ils étaient dans la rue, pas comme des professionnels...Sales bêtes.»

Les deux réagissaient, chacun dans son registre culturel, à un article du New York Post. Au cours d'une dispute de vestiaires au sujet de dettes de jeu, Arenas a pointé une arme sur son coéquipier Javaris Crittenton, et Crittenton a menacé Arenas avec sa propre arme à feu.

Pas en condition

En annonçant la suspension d'Arenas pour une durée indéterminée, le commissionnaire de la NBA David Stern avait l'air de vouloir apaiser la foule remontée contre la «sale bête». Il n'est pas «en condition pour participer à un match de la NBA», a justifié Stern. Entre-temps, les Wizards ont enlevé du mur du Verizon Center une bannière géante montrant leur joueur vedette, retiré tous les maillots portant son numéro, le zéro, des stands de souvenirs, l'ont effacé de toutes les vidéos branchées d'avant-match et ont fait disparaître toute trace de lui de leur site Internet. Le 0 du maillot de la mascotte de l'équipe, G-Wiz, a disparu, remplacé par une inoffensive étoile.

Pourquoi Arenas se fait-il traiter comme Michael Vick [joueur de football américain condamné à une peine de prison ferme pour avoir pendu et noyé des chiens de combat]? C'est moins pour l'histoire du vestiaire que pour ce qu'il a fait après. Quand l'article du New York Post a été publié, Arenas a tweeté: «(Je me) lève ce matin et j'vois que je suis le nouveau JOHN WAYNE..ptdr» Après quelques jours de tweets bien vantards, il a salué ses coéquipiers avant un match en pointant ses doigts comme un pistolet pour faire mine de leur tirer dessus. Une photo des Wizards écroulés de rire a circulé -que la NBA a rapidement essayé de faire disparaître avant de revenir sur ses positions- et les ennuis ont commencé pour Arenas, exclu par le commissionnaire invoquant son «comportement actuel.»

En d'autres termes, Arenas a été suspendu -et pourrait voir les 80 millions de dollars restant de son contrat lui passer sous le nez- à cause d'une plaisanterie. Parmi les joueurs que le commissionnaire estime dignes d'entrer sur le terrain en ce moment, il y en a un qui a tiré cinq fois en l'air devant un club de strip-tease, et un autre accusé d'avoir dissimulé trois armes chargées lors d'un trajet en moto, notamment un fusil de chasse, dans un étui à guitare.

Stupide et irresponsable

L'infraction d'Arenas est stupide et irresponsable, et c'est très clairement une violation de la loi locale sur les armes à feu et du règlement de la NBA. Mais la couverture médiatique qui a suivi laisse à penser que si l'article d'origine du New York Post ne se trompe pas sur les noms propres et communs-Arenas, Crittenton, vestiaires, armes à feu-les verbes sensationnalistes sont probablement erronés. Plutôt qu'un affrontement épique à la John Woo, une autre version, plus bizarre mais mieux renseignée des événements, décrit une dispute et des sarcasmes entre les deux joueurs, qui auraient pour origine des dettes de jeu contractées pendant un voyage en avion de l'équipe de basket, au cours duquel Crittenton aurait dit qu'il allait tirer dans le genou gauche boiteux d'Arenas. Celui-ci aurait donc sorti plusieurs de ses armes non chargées et invité Crittenton à en choisir une pour mettre sa menace à exécution.

À ce moment-là, il ne fait pas de doute que de bizarre, la situation est devenue exécrable et dangereuse, car Crittenton aurait sorti son propre révolver et, selon le Washington Post, «chargé une balle» (mais sans menacer personne). Et pourtant, le 11 janvier dernier, le site Internet de la NBA permettait toujours d'acheter un maillot portant le numéro 8, celui de Crittenton. Arenas, en revanche, a non seulement disparu du menu des maillots, mais si vous essayez d'en créer un sur mesure avec le numéro 0 et le nom d'Arenas, votre demande est refusée car «déplacée, discriminatoire ou blasphématoire».

Aux yeux de la NBA, Arenas n'existe pas. C'est sa punition pour ne pas avoir pris la situation au sérieux. Mais quelle était-elle vraiment, cette situation? Arenas a coopéré avec les enquêteurs de la police au sujet de ses armes à feu. En revanche, il refuse de coopérer au procès que lui impose le tribunal de l'opinion publique.

Racaille

«Vous pouvez sortir la racaille du ghetto... [mais pas le ghetto de la racaille]», a réagi un autre commentateur à l'article du New York Post. Les auteurs anonymes d'injures ont anticipé la discussion du grand public, qui érige en principe qu'Arenas est un truand. Le Washington Post a publié une lettre signée, qualifiant Arenas de «voyou immature et surpayé». Dans le journal de la ville des Wizards, la chroniqueuse Sally Jenkins a qualifié Arenas de «mec tendre qui se fait passer pour un dur».

Mais qui joue à quoi? Jenkins -qui coécrit des livres avec un sportif notoirement accusé de dopage, l'érigeant en modèle- déplore l'incapacité d'Arenas à montrer une image publique respectable et convaincante. Sharpton a quant à lui comparé la génération d'Arenas à la sienne, et regrette que les jeunes aient perdu l'ambition «de ne pas se soumettre à une sous-culture qui confirmerait les pires représentations de ce que nous étions».

Qu'a fait Arenas, si ce n'est refuser de se soumettre à cette représentation? La plaisanterie sur John Wayne, les doigts pointés en guise de flingue au milieu des joueurs, ce n'est pas là l'attitude d'un voyou impénitent, mais celle de quelqu'un qui ne peut s'imaginer un instant être perçu comme une menace. Ses coéquipiers s'esclaffent parce qu'ils ont compris la plaisanterie.

David Stern, lui, n'a pas trouvé ça drôle. Le commissionnaire prend toujours très au sérieux les accusations selon lesquelles un joueur serait un voyou. Ça et les soupçons de malhonnêteté ou de partialité de ses arbitres, voilà qui a le don de le rendre irrationnel et dictatorial: l'idée que des gens -des blancs, qui achètent des billets- puissent penser que les jeunes joueurs noirs de la NBA sont dangereux. Stern a tellement peur qu'ils passent pour des voyous qu'il examine à la loupe leurs moindres faits et gestes pour y traquer tout indice d'attitude racaille.

Depuis 2004 -lorsqu'un fan blanc des Pistons de Détroit a jeté un verre de bière sur un joueur noir des Pacers de l'Indiana et initié une rixe entre joueurs et supporters- la ligue impose un nouveau code vestimentaire, interdisant aux joueurs, lorsqu'ils ne sont pas en tenue, de porter des vêtements de sport, des écouteurs, des chaînes et des médailles apparentes, des baskets et des work boots, ou rien d'autre susceptible d'être arboré par un fan de hip-hop habillé de façon décontractée. La politique disciplinaire de la NBA traite les sportifs comme s'ils étaient capables du pire à tout moment, et sanctionne les gros mots et les petites bagarres comme s'il s'agissait d'incitations à l'émeute.

L'affaire Arenas tombe dans le gouffre séparant les peurs de David Stern et la réalité. La violence liée aux armes à feu est une chose grave, mais Gilbert Arenas n'incarne pas cette violence. Si les dernières informations sont les bonnes, il n'était qu'un homme désarmé suggérant qu'un autre homme puisse lui tirer dessus avec une arme non chargée. C'était idiot, et probablement illégal, mais pas particulièrement gangsta. En ce qui concerne l'image de la ligue, le commissionnaire ferait mieux de moins se soucier [du joueur] Ron Artest et davantage de Tim Donaghy [ancien arbitre accro aux jeux d'argent et accusé de triche]. Si Arenas représente une menace pour l'intégrité de la NBA, ce n'est pas à cause de ses armes, mais plutôt parce qu'il a rejoint la liste des stars victimes d'une incontrôlable accoutumance aux jeux d'argent.

Plus la NBA et les Wizards s'efforcent d'éliminer Arenas, moins l'exhibition de leur pieuse colère est convaincante. On entend dire que l'équipe ne peut tolérer les histoires d'armes parce qu'Abe Pollin, le propriétaire des Wizards décédé récemment, était un ennemi acharné des armes à feu -à tel point qu'il avait changé le nom de l'équipe, de Bullets [balles] à Wizards [sorciers].

Mais comme le souligne Dan Steinberg, du Washington Post, l'équipe continue de commercialiser des produits dérivés à l'effigie des Bullets, «tirant profit d'un nom qu'ils ont jugé trop odieux pour le porter sur le terrain». Le vrai problème du nom des Washington Bullets, c'est qu'il ne sonnait pas bien, et s'il ne sonnait pas bien, c'était parce qu'Abe Pollin avait volé les Baltimore Bullets. C'est ça, le vrai lien entre le nom de l'équipe et une infraction à la loi.

S'il est tellement impensable qu'Arenas puisse être armé dans les vestiaires, comment se fait-il que son coéquipier Crittenton ait eu sous la main son propre revolver et des munitions? Ça fait beaucoup d'armes à feu à la fois pour une ligue et une équipe qui ne les tolèrent pas.

111 millions de dollars

Le problème plus évident que pose Arenas aux Wizards, c'est qu'ils ont décidé de tout miser sur lui, qu'ils lui ont fait signer un contrat de six ans et de 111 millions de dollars, et qu'il s'est détruit le genou gauche. Partout les chiffres sont évoqués, d'un article à l'autre, pendant que fans, responsables et analystes prétendent discuter de la moralité d'Arenas.

La chose est valable aussi pour les anecdotes sur les mauvaises habitudes de travail d'Arenas, son immaturité et son jeu égoïste -dont aucune n'explique ce qui le rend inapte à jouer au basket (ou ne le distingue de ses coéquipiers sous-performants des Wizards), et dont peu sont surprenantes. Les disputes et le harcèlement dans les vestiaires, les mauvaises blagues excessives et dégoûtantes -rien ne bat le comportement de certains sportifs américains adulés et hissés au rang de saints. Ce genre d'histoire n'est ni plus ni moins troublant que quand Arenas marquait des paniers qui faisaient gagner son équipe, ou marquait 60 points contre les Lakers.

La plus grande révélation sur Arenas, en fait, est une non-révélation. Plutôt que de dévoiler le côté obscur et secret d'un joueur porté aux nues, le scandale a simplement confirmé que sa personnalité correspondait à son apparence. Le terme qui convient n'est pas «racaille» mais «pitre». Il est celui qui n'arrête pas d'embêter les autres et de faire le mariole, surtout quand on lui dit de se taire et de s'asseoir. Quand la ligue a finalement réussi à lui arracher des excuses («Mes tentatives de faire de l'humour étaient une grande erreur de jugement»), on aurait dit la lettre d'un otage.

Méchant?

Cela ne signifie pas que Gilbert Arenas soit gentil ou simple. Même lorsqu'il est à son maximum d'amabilité et d'humour, ses plaisanteries ont toujours un tranchant hostile pas particulièrement caché. Tous les pitres de la classe ont le même ressort comique: «Qui a dit que vous êtes le patron, patron?»

David Stern peut accepter que des joueurs enfreignent la loi, parfois même lorsqu'ils sont impénitents. («C'est pas grave», a décrété LeBron James à la presse après avoir été flashé à 162 km/h dans une zone limitée à 104. «Je rentrais chez moi pour me coucher.») Ce qui est inacceptable à ses yeux, c'est qu'on se moque de son autorité.

Si les procureurs parviennent à condamner Arenas pour port d'armes, très bien. Nul n'est censé apporter d'armes à feu sur son lieu de travail à Washington D.C. Mais lors du procès médiatique qui l'accompagnera, je serai du côté du joueur qui refuse de faire semblant d'avoir honte, pas de celui des autorités de la NBA feignant la vertu. Fusillez-moi si vous voulez.

Tom Scocca est un auteur du Maryland. Son ouvrage Beijing Welcomes You sera publié cet automne.

Traduit par Bérengère Viennot

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Image de une: Gilbert Arenas en 2008, REUTERS/Aaron Josefczyk

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