Ce serait comme un rêve de cinéma, une utopie réalisée. Un cinéma qui naîtrait littéralement sous les pas d’une rencontre, d’une promenade, d’un esprit qui vagabonde.
La rencontre est double, et triple, et quadruple.
Double rencontre. Celle entre Hong Sang-soo et Isabelle Huppert s’est produite il y a six ans avec le joyeux et simplement labyrinthique In Another Country. Celle entre Hong Sang-soo et Kim Min-hee, devenue l’interprète de tous les films du plus grand cinéaste coréen contemporain.
Bande annonce du film.
La troisième rencontre a lieu entre Man-hee (Kim Min-hee), employée d’une société de production qui accompagne sa patronne au Festival de Cannes, et Claire (Isabelle Huppert) de passage dans la ville et photographe amateure.
La quatrième rencontre, qui est le film né des deux premières et de la situation mise en place par la troisième, est celle du réalisme et du fantastique, en tirant parti de l’irréalité du Festival de Cannes lui-même, mais aussi des collisions et dérives qu’il rend possible.
Man-hee s’est fait virer, elle erre dans la ville. Un gros chien joue les divinités indifférentes et propices.
Isabelle Huppert sourit et caresse un chien (©Jour2fête)
La «camera», chambre obscure et clairvoyante
Claire fait des photos tout en essayant vaguement de suivre le Festival. Son appareil de prise de vue est un Polaroïd, soit désormais une rareté qui participe activement au glissement vers le fantastique.
Cette petite machine (pas tout à fait) instantanée a-t-elle véritablement des pouvoirs de révélations, et de voyage dans le temps?
C’est le ressort fantastique du film, en même temps qu’une question, où le mot «caméra» doit plutôt se lire «camera», désignant aussi bien l’appareil de prise de vue du cinéma que celui de la photographie –et la chambre obscure des désirs et des affects.
Le jeu reste enjoué, et la question se maintient du côté d’une méditation souriante, légère, à portée de main et de geste. Ce qui n’empêche pas la proposition, qui est une déclaration d’amour, aux puissances du cinéma.
Une vibration solaire
Le vingt-troisième film du prolifique HSS rejoue ses motifs habituels, scènes de café bien arrosées, disputes, promenades, conversations qui dérapent entre small talk et affrontement, séduction et vacheries.
Il le fait en s’imprégnant de cette ambiance inédite pour lui (Cannes, la Côte d’Azur, les échos du grand raout festivalier), avec une souplesse amusée.
Man-hee (Kim Min-hee) et sa patronne (Chang Mi-hee) à une terrasse cannoise (©Jour2fête)
Amusée, c’est aussi assurément l’impression que donne Isabelle Huppert, qui semble en permanence vivre une aventure heureuse, à la fois fragile et décidée. Comme si le film s'inventait au gré de ses promenandes et de ses rencontres.
À LIRE AUSSI Fatale «Eva»
Aux côtés de Kim Min-hee, parfaite d’incertitude sensible (et aussi de Chang Mi-hee, remarquable en patronne jalouse), cette vibration solaire qui émane de Claire Huppert est un véritable cadeau.
Il se trouve de plus témoigner, s’il en était besoin, de l’incroyable palette de la comédienne, alors que sort le même jour Eva de Benoit Jacquot, où elle joue tout aussi admirablement, dans un registre entièrement différent.
Le réalisateur coréen (qui avait, lui, deux films à Cannes 2017, celui-ci et Le Jour d'après) et l'actrice française sont aussi prolifiques l'un que l'autre. Ils ne montrent pas seulement avec ce film tourné au débotté un roboratif appétit de filmer et de jouer et une créativité impressionante.
Ils témoignent qu'il existe encore des possibilités d'un geste libre, rapide, vivant, dans un domaine (le cinéma, de fiction, avec une vedette) si souvent marqué par la lourdeur des contraintes financières, des précautions et des calculs. Pour cela aussi, La Caméra de Claire est une joie.
La caméra de Claire
de Hong Sang-soo, avec Isabelle Huppert, Kim Min-hee, Chang Mi-hee.
Durée: 1h09. Sortie: 7 mars 2018.