Si le guide Pudlo de Paris accorde quelques lignes bienveillantes à Lipp, «une maison mythique où le service sait faire tourner les tables», le Michelin ne cite pas la brasserie alsacienne et auvergnate dont l'actionnaire majoritaire est le Groupe Bertrand. Les inspecteurs du guide rouge ne jugent que l'assiette, les plats et les goûts. Pas l'ambiance rétro ni le plaisir d'être là.
Dira-t-on que l'on ne s'assied pas chez Lipp sur les banquettes de moleskine ou sur les chaises de bistrot pour le régal des papilles: le social passe avant l'artisanat gastronomique. C'est comme ça depuis le début du XXe siècle quand Lindbergh puis Saint-Exupéry ont lancé, sans le vouloir, la brasserie aux faïences et luminaires qui n'a cessé de drainer la plus belle clientèle qui soit, plus attachée au snobisme de l'endroit - j'y étais il y a peu - qu'aux voluptés gourmandes. Ni Robuchon, ni Ducasse n'ont été priés de mettre leur grain de sel dans la carte.
Lipp demeure une authentique institution du Paris des affaires, de la politique, des médias, des arts: en cela, l'établissement bichonné, choyé, développé par Cazes père & fils n'a pas pris une ride. Et les temps d'attente pour les mangeurs inconnus vont jusqu'à deux heures trente... Une manière de record. Lipp ne subit pas la crise d'autant qu'en plus des têtes connues, de Jean-Paul Belmondo à Simone Veil, les prix et les additions restent abordables - la choucroute bien garnie à 18,90 euros, tout comme le jarret de porc aux lentilles, bien copieux.
Avec 180.000 couverts par an pour cinq toques blanches en cuisine - l'heure creuse est celle du thé - les plats de ménage dominent le répertoire. Tout est frais, tant mieux, précise Claude Guittard, l'habile directeur qui a su maintenir l'esprit Cazes en plaçant les convives où bon lui semble: l'aquarium sur la droite, le purgatoire au fond et le premier étage pour les touristes - n'empêche que c'est en haut des marches que Camus, Mendès France et Alain Peyrefitte souhaitaient croiser la fourchette et le verre.
Il reste que dans ce village d'Astérix (dixit le couturier Castelbajac), les poireaux vinaigrette à 7,80 euros pourraient être plus fins, moins végétaux, que le cervelas sans la rémoulade serait sans goût et que le quart de poulet froid mayonnaise, salade mal assaisonnée, est facturé 21,50 euros - l'euphorie d'être bien assis fait passer la douloureuse...
Côté vins, les millésimes manquent pour le Fleurie, le Riesling, le Châteaugay, le Bourgogne de négociant et le bordeaux réserve : un vin a une date de naissance, cher Claude Guittard. Dans la salle toute en longueur où les portables sont interdits, rien n'a changé depuis les déjeuners de Pompidou, Giscard et Mitterrand mais dans un restaurant digne de ce nom, tout est dans les détails et le respect des clients, même si on lit sur la carte: «No salad as a meal».
151, boulevard Saint-Germain 75006. Tél. : 01 45 48 53 91. De 12 h à 0 h 45.
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Apicius, happy few
Quelle est la table parisienne où il est le plus ardu d'avoir deux couverts? Apicius, au bas des Champs-Élysées, niché dans cet ancien château 1860 transformé en grand restaurant par Jean-Pierre Vigato, autodidacte de la haute cuisine bourgeoise, deux étoiles au Michelin. Ce grand gaillard aux yeux rieurs qui voit tous ses clients au début du repas mitonne des préparations des plus classiques, rassurantes et goûteuses - la côte de bœuf saignante et des tourtes de gibier. Certains plats de tradition sont d'un étonnant prix plaisir: les légumes du moment à l'huile d'olive (30 euros), la terrine de viande cuite en casserole (28 euros), la fameuse tête de veau ravigotée (40 euros), le foie gras chaud poêlé (45 euros), les grenouilles au beurre salé (45 euros) et l'exquis soufflé au chocolat, chantilly sans sucre (20 euros). Le succès d'Apicius - et la fidélité de la clientèle - s'expliquent aussi par la modération des additions.
20 rue d'Artois 75008. Tél. : 01 43 80 19 66. Carte de 80 à 150 euros. Fermé samedi et dimanche.
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L'intimité n'a pas de prix sur les Champs
Logé au premier étage du très luxueux palace Fouquet's Barrière, le Diane a souffert depuis l'ouverture de sa voisine, la brasserie Fouquet's, qui draine les habitués du rez-de-chaussée, et la terrasse George V où viennent se restaurer les membres du club et leurs invités. Doté d'un décor opulent, un brin chargé, de Jacques Garcia, le Diane, sous une coupole impressionnante, se veut une table chic et chère pour happy few, discrétion, intimité et bonne chère. Jean-Yves Leuranguer, M.O.F., ancien second de Christian Willer au Martinez de Cannes, vient de prendre en main la cuisine, la carte et le répertoire des plats, reposant sur des produits nobles: on vise le régal des papilles, enfin.
Salade de caille à la figue et foie gras poêlé (32 euros), poireaux et légumes en pot-au-feu dans un bouillon truffé (23 euros), consommé de cèpes et croustade au caviar d'aubergines (24 euros), bœuf Wagyu aux échalotes et courgettes jus Bercy (69 euros), langoustines bretonnes au chou vert à l'orange (56 euros), cabillaud grenobloise aux épinards (48 euros), tout cela n'est pas donné mais la qualité a un prix. Soufflé ananas et service de grande classe. Remarquable menu à 60 euros, une affaire aux Champs-Elysées. Beaux bordeaux au verre. Une adresse élégante pour gourmets recherchant l'intimité.
46 avenue George V 75008. Tél. : 01 40 69 60 60. Carte de 90 à 150 euros. Fermé dimanche et lundi.
Nicolas de Rabaudy
Image de une: CC Flickr carolus124