Le 25 février, le Comité central du Parti communiste chinois supprimait la restriction relative au cumul de plus de deux mandats des président et vice-président chinois. Quelques protestations ont émergé sur l'internet chinois, bien vite effacées par les censeurs du régime.
Mais ce ne sont pas seulement les critiques en bonne et due forme qui ont été passées sous silence: des mots-clefs ou expressions, jusqu'à la seule lettre «N», ont été bloquées sur l'outil recherche de Weibo, l'un des principaux sites de microblogage en Chine.
Critiques détournées et démasquées
Depuis, censeurs et détracteurs rivalisent d'ingéniosité pour parer et parler de façon détournée de cette nouvelle transformation constitutionnelle.
Le sinologue Victor Mair, professeur à l'université de Pennsylvanie, publiait au lendemain de la décision un article sur le blog Language Log racontant cette bataille de mots:
«Naturellement, les censeurs ont pris des mesures rapides et drastiques contre la désapprobation directe et les références ouvertes, de telle sorte qu'ils ont immédiatement bloqué tous les messages de ce genre sur les médias sociaux. Tout aussi naturellement, les internautes étaient préparés aux lourdes suppressions de la police d'internet et ont immédiatement utilisé des moyens plus subtils, et encore plus efficaces, pour s'opposer aux changements proposés par le gouvernement.»
Le China Digital Times tient une mise à jour de la liste des paroles interdites, qui ne fait que s'allonger, avec pas moins de 70 occurrences, dont notamment:
- «Désapprouver» (不同意)
- «Se proclamer empereur» (称帝)
- «Longue vie» (万岁), qui signifie littéralement «dix mille ans»
- «Monter dans un avion» (dēngjī 登机), homophone de «monter sur le trône» (dēngjī 登基), lui aussi interdit
- «Retrouver son autorité» (复辟)
- «Xi Zedong» (习泽东), hybridation des noms de Xi Jinping et de Mao Zedong
- «Culte de la personnalité» (个人崇拜)
- «Le Meilleur des mondes» (美丽新世界), en référence au livre d'Aldous Huxley, censuré au même titre que 1984 et La Ferme des animaux de George Orwell
- «Winnie l'ourson» (小熊维尼), en raison d'une imagerie parodique associant à Xi Jinping la figure de l'ourson jaune et benêt.
- ...
La lettre «N» a pour sa part recouvré sa liberté d'usage le 26 février, à 14h27. Victor Mair suggérait que son interdiction était liée à son interprétation «en termes de fonction», dans lesquels «N» peut signifier «2» comme dans «liánrèn n jiè 连任n届» («n mandats successifs»), «ce qui serait interdit de toute façon en raison de la partie “liánrèn 连任” (“poursuivre son mandat”)».
Escalade de la censure
Ce n'est guère la première fois que la Chine déploie ses talents en matière de censure sur Internet. Les mentions de Winnie l'ourson, au même titre que celles de l'essayiste taïwanaise Lung Ying-tai et de nombreux autres opposants de diverses envergures, ont déjà été effacées par le passé.
Winnie the Pooh gets banned from Chinese social media for looking too much like Xi Jinping https://t.co/5L4DTTPexa pic.twitter.com/KKbcAaZYzJ
— Shanghaiist.com (@shanghaiist) 17 juillet 2017
La figure de Xi Jinping reste néanmoins largement populaire en Chine, et inévitablement soutenue par les médias locaux: si la décision du Parti, qui lui offre en théorie un mandat à vie, a rencontré un écho défavorable dans la presse internationale (mais seulement dans la presse: «les grandes puissances occidentales n’ont soufflé mot», comme le soulignait Mediapart), l'opposition demeure bien plus tempérée au sein des frontières. L'escalade pourrait cependant se poursuivre dangereusement pour les voix les plus dissonantes.