France

Les adversaires d'Hidalgo peuvent-ils vraiment la déloger de l'Hôtel de Ville?

Temps de lecture : 7 min

Voies sur berges, Vélib', rats... Anne Hidalgo traverse une mauvaise passe. Ses adversaires profitent de ce moment de faiblesse pour engager la campagne pour les élections municipales de 2020.

Anne Hidalgo, le 27 février 2018 | Ludovic Marin / AFP
Anne Hidalgo, le 27 février 2018 | Ludovic Marin / AFP

Quasiment placé au centre de la France politique –ce qui ne manque pas de sel au moment où l'on parle de la France rurale en long, en large et en travers pour déplorer son abandon–, l'Hôtel de Ville de Paris est l'enjeu d'une âpre bataille qui se déroulera dans deux ans, au printemps 2020, très probablement en mars. Il faut bien deux années pleines pour préparer le terrain.

Lors des prochaines élections municipales, les acteurs de l'assaut veulent déloger Anne Hidalgo, la maire socialiste de la capitale, de son bureau –le plus vaste de la République, avec ses 155 mètres carrés. Tous sont à la recherche de la bonne stratégie, et surtout du nom du commandant en chef, homme ou femme, qui conduira la manœuvre.

Benjamin Griveaux pour conduire l'assaut LREM

Auparavant, la droite avait une «tête de gondole», certes contestée dans son propre camp. Sauf que NKM, pour Nathalie Kosciusko-Morizet, a décidé de quitter la politique, ou du moins de se mettre en retrait –on ne sait jamais–, après son échec aux législatives de 2017. Elle travaille désormais dans le groupe Capgemini, à New York. Sans figure médiatique pour prendre la tête des troupes, Les Républicains (LR) parisiens sont démunis.

En face, les autres partis potentiellement prétendants ne sont pas beaucoup mieux lotis. Électoralement, le mouvement du président Macron, La République en marche (LREM), est le mieux placé après sa razzia des législatives. Il détient douze des dix-huit sièges de députés de la capitale: il n'en a laissé que trois à LR, un au Modem, un au PS et un à La France insoumise. Dirigée par un premier magistrat socialiste, la ville a basculé sans modération dans le macronisme. Dans ces conditions, il est compréhensible que le plus beau bureau de Paris avec vue sur la Seine attire les convoitises de ce côté de l'échiquier. Mais comment s'y prendre sans chef de file reconnu?

Le nom qui circule pour conduire l'assaut est celui de Benjamin Griveaux. Sans vouloir être désagréable à l'égard du jeune secrétaire d'État auprès du Premier ministre et porte-parole du gouvernement –il a 40 ans–, on ne peut pas prétendre qu'il soit encore très connu du grand public –voire même des Parisiens, bien qu'élu député de la 5e circonscription (3e et 10e arrondissements) en juin dernier.

Avec un score de 15%, le dernier sondage BVA, daté de février, le place dans l'opinion en 34e position pour la «cote d'influence», entre la ministre de la Justice Nicole Belloubet et Yannick Jadot, éphémère candidat écologiste à la présidentielle de 2017. Et si son résultat est meilleur auprès des sympathisants de son mouvement LREM (42%), il est quand même classé dernier parmi les personnalités testées!

Très minces chances pour le FN et la France insoumise

Aux deux bouts de l'échiquier, le Front national (FN) et La France insoumise (LFI) ne font pas un tabac à Paris [aux élections municipales de 2014, les partisans de Jean-Luc Mélenchon se présentait sous l'étiquette Parti de gauche (PG)].

L'extrême droite n'a aucun élu au conseil de Paris. Son chef de file, Wallerand de Saint-Just –l'ancien avocat de Jean-Marie Le Pen rallié à sa fille–, est conseiller régional d'Île-de-France, mais il réalise toujours des scores l'empêchant, lui et ses co-listiers, d'atteindre le second tour des élections uninominales.

À la gauche de la gauche, Danielle Simonnet est la seule «élue insoumise» (dans le 20e arrondissement) au sein du parlement de la capitale. Dans tous les autres secteurs de Paris, ses «camarades» ont obtenu des scores marginaux aux dernières municipales.

Simonnet a déjà annoncé qu'elle sera «probablement» en course en 2020, Saint-Just n'a encore rien dit.

Sans être plus désagréable avec eux qu'avec Griveaux, force est de reconnaître que la candidate de Mélenchon ou le candidat de Le Pen ont pour l'instant des chances assez minces voire inexistantes de devenir maire de Paris. La raison est simple: ni le FN ni LFI ne sont dans une logique d'alliance, ce qui est indispensable dans le cas d'espèce (scrutin proportionnel de liste, par arrondissement) pour des fusions de second tour... à moins d'espérer être majoritaire dès le premier tour dans beaucoup de «gros» arrondissements! Ce qui, pour les deux formations en question, ne peut même pas se concevoir en rêve.

Revers et bévues en cascade

À vrai dire, la question est de savoir si Hidalgo a toujours les cartes de son destin en main. Depuis le début de l'année, elle subit une multitude de revers et collectionne une kyrielle de bévues. Cible récurrente d'une opposition éclectique qui ne supporte pas ses décisions concernant la circulation intra-muros et la destination des voies routières sur berges –la droite et une partie de la gauche les considèrent «sectaires»–, la maire de Paris doit gérer les embouteillages, la mauvaise humeur des automobilistes, la circonspection des écologistes sur la question de la pollution, les interrogations des habitants sur la propreté de leur ville et last but not least la prolifération des rats, mise en évidence par la crue de la Seine.

Du reste, l'année avait mal commencé pour elle. Le changement d'opérateur du système Vélib' –un service qui donnait entière satisfaction aux utilisateurs jusque là– s'est révélé être un fiasco. Il n'y avait rien de mieux pour mettre les défenseurs de la bicyclette en pétard.

Une partie des automobilistes l'était déjà, avec l'aggravation de la verbalisation du stationnement hors délais et surtout avec la piétonnisation de tronçons des voies sur berges. Patatras pour Hidalgo, le tribunal administratif a annulé le 21 février la délibération adoptée au Conseil de Paris en septembre, qui instituait cette piétonnisation. Les juges ont relevé «des inexactitudes, des omissions et des insuffisances» dans l'étude d'impact. L'opposition était aux anges, les écologistes hurlaient au crime et la maire s'est immédiatement retournée vers la cour administrative d'appel de Paris.

Au début du mois, c'est le Conseil d'État qui y était allé de sa décision et avait annulé le marché publicitaire entre la Mairie et une filiale de JC Decaux. Manque à gagner: quarante millions d'euros. Les écologistes –ils font partie de la majorité municipale avec les communistes– avaient cette fois applaudi à quatre mains plutôt qu'à deux.

Entre la montée de la Seine, l'émergence des rats, la grogne des automobilistes et la baisse de popularité de la «reine maire», comme il l'appelle, le Figaro Magazine avait bien senti que le moment était venu de monter au créneau contre Hidalgo. Il en fit sa couverture dans son édition du 9 février avec un dossier au vitriol, dont son directeur adjoint fit la promotion sur Twitter.

Comme si ce n'était pas suffisant, il faut ajouter la «polémique Déon» (le refus initial de voir cet écrivain mort en 2016 en Irlande enterré à Paris) au tableau déjà surchargé de ce début d'année.

Décidément très en pointe contre Hidalgo, Le Figaro a pris la tête de la fronde pour obtenir que les cendres de l'académicien puissent devenir parisiennes. Le quotidien ne l'a pas lâchée, en mettant en avant les «railleries de l'opposition», avant de la faire «capituler» avec l'aide d'une centaine d'écrivains appelés à la rescousse.

Cette polémique a laissé des traces jusqu'au sein de la famille socialiste de la Mairie: Bruno Julliard, premier adjoint et fidèle soutien, a laissé entrevoir des divergences de vue avec la «patronne» de la ville.

Victoire par alliance

À l'évidence, la campagne électorale est déjà lancée. Et deux ans, ça va être long: il peut s'en passer des choses, des retournements, des fâcheries, des alliances et des mésalliances. Pour Jean-Louis Missika, adjoint apparenté socialiste chargé, entre autres choses, de l'urbanisme, de l'architecture, des projets du Grand Paris, de «l'avenir de la majorité», donc celui de la maire sortante, si on le comprend bien, il faudrait s'allier en 2020 avec les macronistes. Il prêche un peu pour sa paroisse, puisqu'il avait officiellement soutenu Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle.

En l'état actuel des choses, le rapprochement paraît un peu compliqué: personne n'ignore que Macron et Hidalgo ne sont pas liés par une franche amitié –on dit même qu'ils sont du genre à ne pas s'encadrer. Par ailleurs, il n'est pas du tout certain que Griveaux , si c'est lui le porte-drapeau de La République en marche, accepterait de passer sous la coupe de son ex-camarade du Parti socialiste, d'autant qu'avec douze députés dans sa besace, on imagine qu'il se verrait plutôt n°1 que n°2.

L'affaire intéresse au-delà des murs de la capitale. Elle intéresse même la droite, qui court après la magistrature parisienne depuis 2001, année qui vit l'élection de Bertrand Delanoë (PS) dans le fauteuil de maire de la capitale. Sa victoire intervenait après vingt-quatre ans de gestion sans partage par la droite, avec Jacques Chirac (1977-1995) et Jean Tiberi (1995-2001) –un quart de siècle marqué par quelques affaires.

En 2020, cela fera donc dix-neuf ans que la droite attend de reprendre les manettes; c'est long quand on est dans l'opposition, mais aussi quand on est au pouvoir.

Jean-François Copé a une solution en tête pour réussir l'exploit de faire battre Hidalgo –car c'est bien là le fond de l'affaire–: il suggère tout simplement aux Républicains de Paris de faire alliance avec LREM. «Cette question ne peut plus être taboue», a-t-il récemment déclaré, en précisant pour enfoncer le clou: «C'est une exigence, ce n'est même pas simplement parce qu'elle est socialiste, c'est parce qu'elle est dangereuse pour la ville».

Pour Anne Hidalgo, la devise de la ville de Paris n'a jamais été autant d’actualité: «Fluctuat nec mergitur».

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