Jordan Peterson, professeur de psychologie à l'université de Toronto, est devenu la coqueluche «savante» de l'alt-right. On l'entendait récemment disserter sur les plateaux télévisés à propos de l'écart salarial entre les femmes et les hommes, la transidentité ou les «féministes radicales» et le «politiquement correct». Il tient également une chaîne YouTube, qui compte plus de 869.000 abonnés et un certain nombre de vidéos, parfois de plusieurs heures, sur divers sujets.
Parmi celles où on le voit intervenir, on en trouve notamment une intitulée «Conseil pour les personnes dépressives», relayée par un autre compte dédié à ses cours magistraux, qui apparaît également dans les premières suggestions du YouTube américain lorsqu'on recherche «depression» ou «depressed». Le titre est générique, attrayant pour qui cherche à se renseigner sur le sujet: en un mot, cliquable.
Fournir un cadre aux dépressifs
Le contenu, lui, est idéologiquement plus douteux. Rien d'étonnant. Le YouTube américain est plein de «suprémacistes blancs en costume donnant des conférences sur le self-empowerment», rapporte The Outline:
«Pendant des années, des membres de l'alt-right ont profité des personnes les plus vulnérables d'Internet, transformant leurs peurs et leur haine de soi en extrémisme au vitriol, et grâce à la galvanisation récente du mouvement, ils ne font que se renforcer.»
De Jordan Peterson à Stefan Molyneux en passant par Millennial Woes (le pseudonyme de Colin Robertson) ou Lauren Southern, des personnalités en vue sur YouTube et charismatiques font le liant avec l'alt-right, en visant notamment une audience fragile, en quête de repères.
Peterson ne cesse de le répéter: «Il faut un cadre», et de fil en aiguille, le cadre proposé est celui d'une idéologie qui s'exprime plus ou moins frontalement, mais qui demeure largement connotée à l'extrême droite et reprise dans les cercles déjà formés.
«Molyneux, un anarcho-capitaliste qui fait la promotion du racisme scientifique et de l'eugénisme, est dernièrement devenu extrêmement populaire parmi les gens de l'alt-right. Ses vidéos —qui affirment, entre autres choses, que le viol est un “droit moral”— sont souvent utilisées pour aider la transition de jeunes hommes vulnérables vers le noyau vitriolique et raciste de l'alt-right», décrit The Outline.
Des réseaux de recrutement
De fait, ces réseaux se proposent d'offrir aux personnes souffrant de dépression à la fois l'acception, et une communauté. Des vidéos d'initiation aux groupes de soutien, il y a tout un travail d'inclusion et, in fine, de «recrutement» qui est mené, comme l'expliquait Christian Picciolini, un ancien néo-nazi co-fondateur de l'organisation Life after Hate (la vie après la haine) dans une interview avec Sam Seder:
«[Les recruteurs] recherchent activement ce type d'individus brisés à qui ils peuvent promettre l'acceptation, à qui ils peuvent promettre une identité aussi. Parce que dans la vraie vie, peut-être que ces gens sont socialement maladroits —ils ne s'intègrent pas; ils peuvent être harcelés— et cherchent désespérément quelque chose. Et l'idéologie et le dogme ne sont pas ce qui pousse les gens à cet extrémisme, c'est en fait, je pense, la recherche brisée d'une acceptation et d'un but et d'une communauté.»
Un groupe tel qu'Incel, au départ rassemblant des personnes en situation de «célibat involontaire», était ainsi devenu un groupe d'incitation à la violence contre les femmes, repaire de masculinistes et autres défenseurs de la culture du viol, avant d'être banni de Reddit, où il avait vu le jour comme de nombreuses autres communautés.
Le plus souvent, les discours véhiculés, notamment par le biais de YouTube, ne sont pas manifestement haineux ou répréhensibles, mais sont plus insidieux et opèrent sur le long cours: c'est ce que racontait récemment un utilisateur de Twitter dans un thread sur sa propre expérience à travers la dépression et les réseaux récupérés par l'alt-right.