C’était il y a vingt ans, lors des Jeux de Nagano, au Japon. L’équipe féminine danoise de curling, composée de Jane Bidstrup, Trine Qvist, Dorte Holm, Margit Pörtner and Helena Blach Lavrsen, décrochait la médaille d’argent. A priori, rien d’exceptionnel. Sauf qu’il s’agissait de la toute première –et de la toute dernière à ce jour– médaille conquise par le Danemark lors des Jeux d’hiver.
En Scandinavie, où les niveaux de vie sont très élevés et semblables d’un pays à l’autre, le Danemark fait pâle figure comparé à ses sœurs suédoise et norvégienne. À travers le temps et au seuil de ces JO 2018, la Suède avait cumulé 144 médailles; la Norvège, qui a de bonnes chances de terminer en tête du classement des médailles au terme de la quinzaine de PyeongChang, avait atteint le total astronomique de 329 médialles, selon le décompte des Jeux d’hiver.
Pire que les Pays-Bas et la Belgique
Dame Nature n’est évidemment pas étrangère à ce contraste saisissant. La neige n’est pas si fréquente aux Danemark et il est plutôt rare que les températures y descendent en dessous de 0°C. Les montagnes y sont absentes –tout juste trouve-t-on des petites collines, qui ne permettent pas de développer une culture de ski alpin.
Mais cette statistique reste tout de même étrange au regard des résultats de nations aussi plates et tempérées que les Pays-Bas qui, à travers une spécialisation –celle du patinage de vitesse– a su se tailler une place de choix dans l’univers des Jeux d’hiver.
La Grande-Bretagne a aussi réussi à «exister», notamment grâce au skeleton –c’est encore le cas en Corée du Sud– ou, spectaculairement dans le passé, par le biais du patinage artistique, avec des champions olympiques comme John Curry (1976), Robin Cousins (1980) et Jayne Torvill-Christopher Dean (1984).
La «petite» Belgique s’est même arrogé cinq médailles dans le froid depuis sa première participation aux JO d’hiver, en 1924. Le dernier médaillé belge est le patineur Bart Veldkamp, en bronze lors du 5.000 mètres à Nagano en 1998.
Dominant aux Jeux d'été
Ce nombre misérable est d’autant plus étonnant pour le Danemark que ce pays occupe la deuxième place des Jeux d’été parmi les trois entités scandinaves, avec 194 médailles –derrière la Suède (493) et devant la Norvège (152).
Avec une population de 9,6 millions d’habitants, la Suède a, il est vrai, un avantage démographique sur le Danemark (5,7 millions) et la Norvège (5,2 millions). Mais au cours des récents JO d'été, les Danois se sont montrés les plus dominants, en décrochant neuf médailles à Londres en 2012 et quinze à Rio en 2016 quand la Suède s’est respectivement contentée de huit et onze médailles. Au Brésil, la Norvège, avec quatre maigres médailles de bronze, a quant à elle réalisé l’un de ses pires scores, ce qui l’a fait reculer à la 74e place du classement des pays il y a deux ans.
Le voisin finlandais traverse des temps difficiles depuis une dizaine d’années, en hiver comme en été. En 2014, malgré des conditions climatiques idéales et des installations optimales en Finlande pour la pratique des sports d’hiver, les Jeux de Sotchi avaient ainsi confirmé la tendance, avec seulement cinq médailles obtenues –une petite récolte au regard d’un passé nettement plus glorieux. Cette édition 2018 n’a guère été plus prolifique –quatre médailles de bronze au mercredi 21 février.
La déroute des Danois aux Jeux d’hiver, ou plutôt leur inexistence, est donc surréaliste à bien des égards. Ils font malgré tout mieux qu’une autre contrée du froid, l’Islande, qui n’a jamais été médaillée aux Jeux d’hiver –pour cinq médailles aux Jeux d’été–, avec le handicap notable d’une population inférieure à 350.000 habitants.
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Focalisation des subventions sur quelques disciplines
Pour expliquer les piètres performances de son pays, Knud Skadborg, l’un des responsables de Team Danmark, l’entité en charge du sport et de la performance de haut niveau au Danemark, avance plusieurs arguments:
«Au-delà de la météo et de la géographie, nous ne disposons pas d’installations en dehors de patinoires pour le hockey sur glace, le patinage artistique et le curling. Dans ces différentes disciplines, nous sommes capables d’exister sur le plan international, mais sans briller outre mesure.
Notre système a également ceci de particulier que ce que l'on appelle le “Danish Act” pour l’élite sportive oblige Team Danmark à se focaliser sur les sports où il existe déjà une forte culture dans le pays et où il est possible de remporter des médailles. Par exemple, si nous décidions de nous concentrer sur le patinage de vitesse, comme aux Pays-Bas, ce serait contraire à la loi danoise. Mais si le patinage de vitesse réussissait de lui-même à se développer en partant de la base, avec quelques résultats chez les jeunes, alors les choses pourraient être différentes. Team Danmark pourrait lui apporter son soutien.»
Ce système élitiste ressemble à celui de la Grande-Bretagne, qui arrose de subventions les disciplines susceptibles de la représenter sur les podiums mais qui abandonne, ou presque, toutes les autres.
À Rio, cette politique sans état d’âme a été un triomphe pour les Britanniques qui, avec 67 médailles, se sont glissés à la deuxième place du palmarès des pays, entre les États-Unis et la Chine. Mais elle est également férocement contestée, à l’image de la récente révolte menée par les dirigeants de sports laissés de côté et peu subventionnés, comme l’escrime, le basket-ball et le badminton.
Comme révélé lors d’un débat parlementaire le 20 février, le basket-ball ne perçoit pas la moindre livre de UK Sport, l’équivalent britannique de Team Danmark, tandis que le pentathlon moderne est subventionné à hauteur de six millions de livres par an. C’est un système à rebours de l’organisation française, qui saupoudre davantage pour servir toutes les disciplines, quitte à se montrer moins efficace en termes de résultats.
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Espoirs incertains
Team Danmark a été fondée en 1984 afin de sortir le pays de son anonymat sportif –une médaille à Munich en 1972, trois à Montréal en 1976– et l’objectif a été clairement atteint, puisque le Danemark est désormais à l’avant-garde des petits pays –3e à Rio au regard de son rapport performance/population, derrière la Nouvelle-Zélande et la Jamaïque.
Le financement de Team Danmark est constitué à 80% de fonds publics et à 20% de fonds privés, mais ses ressources stagnent. Les résultats obtenus à Rio, avec quinze médailles dans neuf sports, sont considérés «comme une exception qui ne sera probablement pas rééditée à Tokyo en 2020» selon Michael Andersen. Chef de projet au Scandinavian Network for Elite Sports, il est encore plus définitif au sujet des JO d’hiver:
«Le Danemark n’a jamais été et ne sera jamais une nation de sports d’hiver. C’est un problème d’installations avant tout. Ce qui peut faire changer certaines choses serait la qualification d’une équipe de hockey sur glace aux JO. En ce sens, l’organisation des Championnats du monde à Copenhague, en mai prochain, pourrait faire bouger quelques lignes. D’un autre côté, nous avions profité, en 1998, de l’apparition du curling aux JO pour décrocher notre unique médaille. Depuis, d’autres pays s’y sont intéressés, comme le Japon et la Corée du Sud, et tout est devenu forcément plus difficile.»
Il n’empêche, ces Jeux de PyeongChang ont été diffusés sur quatre chaînes de télévision au Danemark, alors que nombre de Danois sont partis faire du ski en Suède et en Norvège pendant les vacances d’hiver.
Il demeure le mystère de l’exception du champion. Tandis que le tennis mondial est actuellement dominé par la Danoise Caroline Wozniacki, pourquoi n’y a-t-il jamais eu une patineuse danoise pour se révéler au niveau mondial et atteindre le sommet de l’olympe? «Bonne question, sourit Michael Andersen. Et celle-là est sans réponse.»