Culture

Et Dominique A devint un chanteur social...

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Souvent vu comme le chanteur de l’introspection, Dominique A entame avec «Toute latitude» un virage social et un retour à l’électronique, dévoilant un album contemporain aux saveurs nineties. Coup d’envoi d’une année sous le signe du A.

Dominique A pris en photo par Vincent Delerm.
Dominique A pris en photo par Vincent Delerm.

Comment enchaîner l’indépassable Eléor, l’album de la douceur qui avait aidé à panser les plaies des traumatismes de 2015? Comment continuer après le succès d’une tournée longue mais pleine de doutes. Dans quelles conditions refaire un album? Dominique A répond: «Je veux que chaque album soit différent. En 2018, je sors donc deux disques et ferai deux tournées car les deux sont intimement liés.»

Le premier, orchestré, s’appelle Tout latitude et sort ce printemps (le 9 mars 2018 pour être précis). Le second, plus dépouillé, sera La fragilité, porté par une tournée en solo. Les deux facettes du chanteur réunies en une seule année? Pas si simple, tellement l’œuvre de Dominique A s’est complexifiée au fil des ans.

Pour preuve ce Toute Latitude, à la fois album de transition, évolution et rappel du passé du chanteur. Oui, tout ça à la fois et c’est ce qui fait le charme paradoxal de ce disque, bien plus abrasif que ses prédécesseurs.

Cadeau : en écoute, quatre titres du prochain album de Dominique A - Toute Latitude.

Évoluer à tout prix

Il y a chez Dominique A une volonté viscérale de changer ou plutôt d’évoluer à chaque disque. Même si les points communs entre les différents efforts sont constitutifs d’une œuvre cohérente. Le chanteur s’explique: «Chaque disque se construit en réaction précédent.» À la douceur «chanson» de Eléor succèdent donc les sonorités électroniques rugueuses de Toute Latitude. Mais pas entièrement. L’intransigeance du «grand A» se relâche ou plutôt elle se teinte de pragmatisme: «En tournée on commence toujours par les grosses salles rock pour finir ensuite dans des théâtres et il y a toujours pour moi un rapport tendu dans le fait de présenter un répertoire électrique dans des salles assises.» Il est vrai que dans des petites salles, en tant que spectateur, il faut parfois encaisser un gros volume de son qui passe mieux lorsque l’on est debout. Mais pour les artistes et leurs tourneurs, le réseau des théâtres et des petites salles permet aussi de rentabiliser une tournée et les déplacements.

«J’ai l’impression d’envoyer le boulet devant des gens qui sont en phase post-dinatoire, cela me donne mauvaise conscience. Je souffre parfois pour les premiers rangs. Il y a une aberration. Je me suis dit que l’artistique devait reprendre le dessus.»

La première partie de la tournée 2018 enverra donc du gros son avec une belle part aux guitares, aux batteries et aux machines dans des salles adaptées ou dans les festivals. Dominique A sera plus calme dans les théâtres. Deux salles, deux ambiances. Et deux albums. A l’origine, le chanteur voulait même sortir quatre albums, un par saison:

«Je voulais aller sur tous les terrains: un disque ambient, un disque rock, un disque acoustique et un autre de “spoken word”. Mais c’était un peu présomptueux et commercialement compliqué. J’en suis resté à deux.»

Un disque ambigu

Toute Latitude commence en douceur avec des textures sonores rappelant le disque précédent. Les trois premiers titres introduisent doucement vers le cœur –plus sombre– de l’album. Car plus l’on s’enfonce dans le disque et plus les ambiances sont électroniques et denses. Des tensions apparaissent, les sons se font plus âpres. On quitte la douceur.

«C’est le rythme qui a été le moteur de mon travail pour bâtir les chansons, avec deux batteurs. Je n’avais pas anticipé que la boîte à rythmes ou les sons electro prendraient autant de place.»

Il a fallu faire des choix artistiques et musicaux après une période où «le disque partait dans tous les sens.»

Rage froide

Une autre chose que Dominique A n’avait «pas vu venir», c’est la colère sourde qui émaille le disque. «À un moment donné, on ne savait pas où on allait et j’ai fait en sorte de ne pas faire un “Remué” bis.» Remué, le disque sorti en 1999, l’un de ceux le plus aimé et celui qui a le moins marché commercialement. Alors trentenaire, le chanteur laisse éclater sa colère face à un monde qu’il n’aime pas. Avec le son saturé à l’avenant, comme dans «Comment certains vivent».

«Comment certains vivent»

Mais l’époque a changé, l’homme aussi… et son public s’est élargi. Le voici pris dans ce paradoxe de ne pas vouloir faire fuir ce nouveau public sans lui servir la soupe, ce qu’il abhorre par-dessus-tout. Mais cette colère est là et son don d’observation «clinique» se détourne des sentiments pour regarder le monde autrement.

Dominique A aborde ainsi dans «La Clairière» une situation de guerre et de migration d’une manière hautement singulière, avec une musique dansante. L’auteur raconte:

«Je suis arrivé à quelque chose d’intéressant en termes de concision, ce qui ouvre des portes. C’est la migration, la guerre. On ne sait pas où cela se passe.»

La clairière représente un endroit un peu magique, un havre de paix au cours un long voyage périlleux pour fuir un conflit. Le lien avec l’actualité est facile à établir mais mérite d’être souligné car ce n’est pas une habitude chez Dominique A.

«Je suis heureux de pouvoir injecter de la vraie vie sans être toujours dans cette métaphore que j’affectionne. Je me sens de plus en plus concerné et impliqué dans mes textes.»

«J’ai l’impression de trouver des angles ou des points de vue plus judicieux pour évoquer des situations.» Pour Dominique A, tout est une question de l’endroit où l’on pose sa caméra pour regarder le monde: «Je suis heureux de pouvoir injecter de la vraie vie sans être toujours dans cette métaphore que j’affectionne. Je me sens de plus en plus concerné et impliqué dans mes textes.» Dominique A devient un chanteur social dans la mesure où ses textes se préoccupent de plus en plus du fonctionnement de la société et de ses conséquences.

Après douze albums, les chansons naissent toujours de la même manière: un déclic. Mais c’est ce dernier qui change. On sort de l’introspection pour «se décentrer», (qui est aussi le titre de l’une des chanson, présente dans le clip plus haut) «puisqu’il est désormais acquis que la Terre n’est pas au centre de l’univers.» Un bel exemple de mélange d’introspection et de chanson «consciente», toujours teintée de cette sourde colère contre l’apathie ambiante.

«Il fallait que ça sorte»

Parfois la colère se retourne contre son auteur et se mue en terreur. Le morceau le plus impressionnant de l’album est une extrapolation d’un souvenir d’enfance, visite d’un corps de ferme à l’abandon. Dominique y est clinique, limite flippant dans ses descriptions et dans la manière de nous renvoyer les mauvaises ondes inspirées par ce lieu. Musicalement, on est au corps de l’electro abrasive évoquée plus haut.

Et l’on se rappelle, brutalement, que Dominique A a fait partie de la famille musicale du label Lithium dans les années 1990 et que s’il est l’un des fondateurs de la «nouvelle nouvelle» chanson française, il a aussi pas mal trainé avec Diabologum, Mendelson ou Expérience.

Ce morceau-univers rappelle d’ailleurs les mécanismes narratifs de «1983 (Barbara)» de Mendelson, avec plus de gros son: «On a bossé l’aspect rythmique puis ajouté deux batteries. Ce morceau est l’exacte reproduction d’une peur enfantine. C’est vrai que je suis de l’école Lithium, nous avions tous une accointance pour une certaine glauquerie mais aussi une approche littéraire du texte», s’amuse-t-il aujourd’hui.

«1983 (Barbara)» de Mendelson.

«Il fallait que ça sorte» est une expression qui revient souvent dans la bouche de Dominique A, qui a de plus en plus de mal à planquer des états d’âme derrière des métaphores. Un espoir dans cet îlot de noirceur: la dernière chanson, «Le reflet»; apaise un album tourmenté et fait le lien avec le disque à paraître cet automne, presque jour pour jour pour l’anniversaire du chanteur. 2018 sera l’année du A.

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