Économie

Les mathématiques ne résoudront pas le problème des crises boursières (bien au contraire)

Temps de lecture : 5 min

Après le krach de 1929 aux États-Unis, le gouvernement a demandé à des scientifiques d’élaborer des modèles statistiques et probabilistes capables de prédire les cours boursiers et leurs évolutions. Mauvaise idée, mais toujours d'actualité.

«I'll stay home forever /
Where two and two always makes a five.» | DocChewbacca via Unsplash License by

En 2007, tous les indicateurs étaient dans le vert, aucun expert ni observateur n’avait tiré la sonnette d’alarme, aucune institution ne s’était inquiétée d’un retournement du système. Pourtant la crise des subprimes eut lieu et, avec elle, l’apparition du chômage de masse et des années de marasme économique.

Christine Lagarde, à l’époque ministre de l’Économie, considérait, en août 2007, que «ce n’était pas un krach». Idem côté américain, où Dominique Strauss-Kahn, alors président du FMI, soutenait que «la crise des subprimes n’aura pas d’effets dramatiques sur la croissance».

Même Tim Geithner, le président de la Réserve fédérale de New-York entre 2003 et 2009, affirmait qu’aucune crise durable ne pourra arriver: «Le fait que les banques soient plus fortes et le risque plus largement réparti devrait rendre le système plus stable.»

Comment peut-on expliquer cet aveuglement? Comment peut-on comprendre et accepter que, malgré la modernisation sensible des appareils et des outils financiers, malgré les progrès dans la recherche fondamentale et dans les mathématiques appliquées, malgré les précédents dans l’histoire, personne n’ait vu la chose venir?

Des outils mathématiques biaisés et peu fiables

L’explication ne devrait pas se trouver du côté de la dérégulation ni de la libéralisation financière, éternelles responsables brandies par les opposants au capitalisme mondialisé.

D’après Christian Walter, professeur à l’EM Lyon et spécialiste de la modélisation financière, la cause est toute trouvée:

«C’est une crise de la prévisibilité. […]. Les modèles analytiques ont sous-estimé le risque et ont conduit les acteurs à prendre de mauvaises décisions dans un aveuglement total. […]. Si les agents financiers se sont montrés imprudents, ce n’est pas parce que l’appât du gain les poussait à minimiser les risques attachés aux subprimes, mais parce qu’ils les ont mal mesurés.»

Dans son livre, Le virus B, crise financière et mathématiques, co-écrit avec le journaliste Michel de Pracontal, l’économiste soutient que la finance et la bourse se sont rendues dépendantes aux outils mathématiques, mal utilisés et peu –voire pas du tout– fiables: ils ont amené les agents à prendre les mauvaises décisions, sans pouvoir en anticiper les conséquences.

C’est la métaphore du «tachymètre» des voitures: le compteur chargé de préciser la vitesse est totalement déréglé.

«Considérons un conducteur sobre et respectueux du code de la route. Il ignore que le tachymètre de sa voiture est déréglé: le compteur indique une vitesse cinq fois plus faible que la vitesse réelle du véhicule. À l’abord d’un virage, l’homme ralentit jusqu’à ce que son compteur marque 30 km/h. Il s’engage en toute sérénité dans le virage, et comme il roule en réalité à 150 km/h, il part dans le décor et meurt sur le coup.»

Voilà où en est la finance, un monde totalement déconnecté des réalités empiriques et dépendant d’outils biaisés et imprécis.

Une inspiration française

Il faut remonter aux années 1930 pour commencer à voir apparaître les premières applications scientifiques dans la bourse. Les États-Unis, en 1929, venaient de subir une terrible crise boursière et les autorités américaines souhaitaient se prémunir contre tout risque futur. Ils se sont attachés les services des meilleurs scientifiques de l’époque afin d’élaborer et de construire des modèles statistiques et probabilistes capables d’anticiper un retournement systémique, de prédire les cours boursiers et les évolutions futures.

L’inspiration provenait de la thèse d’un mathématicien français, Louis Bachelier, soutenue en 1900. Intitulée Théorie de la spéculation, elle visait à appliquer et vérifier l’usage des mathématiques dans la finance. Il y soutient l’idée que «les cours sont imprévisibles» mais qu’il est possible «d’établir une loi de probabilité des variations de cours», un moyen d'estimer si un titre va grimper ou baisser.

Il suffirait, pour cela, comme le pose Bachelier, d’associer une loi probabiliste connue, la loi de Laplace-Gauss, et d’estimer des résultats futurs en fonction des cours passés.

Or, c’est justement le problème. Vouloir anticiper ou prévoir des évolutions a posteriori en fonction d’un a priori revient à oublier les risques indétectables, les phénomènes exogènes, les dangers venant de l’extérieur.

C'est comme le PSG

C’est comme si on souhaitait prédire des victoires sportives en fonction des événements passés. C’est comme si on supposait que le Paris Saint-Germain ne pourrait pas perdre ses matchs futurs puisqu’il enchaîne les victoires. Si tout s’est bien passé hier, tout se passera bien demain. Seulement, en raisonnant ainsi, on oublie totalement les risques de bulles et d’éclatement.

Reprenons l’exemple du Paris Saint-Germain. Sportivement, on pourrait très bien supposer qu’une succession de victoires conduise les joueurs à un excès de confiance, à un aveuglement face au risque et que ces derniers tombent contre un adversaire supposé plus faible.

C'est pareil dans la bourse. Si tout se déroule sans accroc, pourquoi la suite ne devrait-elle pas en être ainsi? D’autant plus que cela est confirmé par la science dure, par les statistiques et les probabilités...

On prend des décisions, parfois dangereuses, parfois périlleuses, en étant persuadé que tout se déroulera bien.

Aveuglés par les maths

À la fin des années 1990, les spéculateurs ont soutenu les «valeurs technologiques», celles émanant des secteurs liés à l’informatique et aux télécommunications, sans percevoir l’éclatement d’une bulle. Dans les années 2000, les investisseurs ont parié sur les crédits subprimes, offerts à des ménages non-solvables, sans qu’on s’en inquiète ou qu’on distingue le danger.

«Ils étaient comme aveuglés par la grande modération», rappelait l’économiste John Quiggin, dans son livre, paru en 2012, Économie zombie, pourquoi les mauvaises idées ont la vie dure. La grande modération est une théorie économique apparue au début des années 2000, qui postule qu'avec le progrès technologique, le progrès technique et la mondialisation, tout devrait bien se passer et qu'une croissance stable et pérenne devrait s'installer dans tous les pays –que plus aucune crise ne devrait arriver. Et pourtant.

Seulement, ce ne sont pas les individus qui seraient responsables... mais les outils mathématiques qu'on leur a opposé et auxquels ils ont accordé trop de confiance.

«Personne ou presque n’attendait ce qui s’est produit. Il n’est pas juste de nous reprocher de ne pas avoir prédit l’impensable», se défendait, à juste titre, Daniel Mudd, l’ancien président du fonds souverain américain Fannie Mae, en 2008. Ce n’est pas un problème de régulation ou de libéralisation, c’est un problème de prévision, de prévisibilité.

Et qu’en est-il aujourd’hui? Est-ce que la micro-crise qui a eu lieu dans les différentes bourses occidentales, il y a deux semaines, est une illustration de l’impuissance mathématique? Les choses ont-elles changé depuis 2008?

Sans vouloir voir le verre à moitié vide, on ne peut qu’être sceptique à l’idée d’un changement. Aucun observateur, aucun spécialiste, aucun expert n’avaient anticipé cette «correction sur les marchés». Rares étaient ceux qui estimaient qu’un éclatement devait arriver et qu’un nouveau pourrait encore se produire. La bourse allait bien, alors pourquoi vouloir paniquer?

Conclusion: rien n’a été fait, rien n’a évolué et tout devrait continuer comme avant…

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